Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Peut-être gardez-vous en mémoire la réponse que le pape François a faite au vice-président américain en février dernier ? Ce dernier mettait en avant le principe de l’Ordo amoris pour justifier la politique du Président Trump vis-à-vis des migrants : « On doit aimer sa famille, puis son voisin, puis sa communauté, ses concitoyens, et ensuite, après tout ça, on peut se concentrer sur le reste du monde. »
Le pape François se référait justement à la parabole du Bon Samaritain pour rappeler que « l’amour chrétien n’est pas une expansion concentrique d’intérêts qui s’étendent peu à peu à d’autres personnes et groupes ».
De fait, dans cette parabole, Jésus renverse la question : il ne s’agit plus de déterminer qui est mon prochain, comme le souhaitait le légiste, mais de se conduire en prochain.
Mon souhait n’est pas de vous emmener sur un terrain politique. Ne partons pas dans de grands principes altruistes qui ne nous engagent pas personnellement. Cela pourrait une manière d’esquiver ce que Jésus veut dire à chacun d’entre nous. À force de réfléchir aux grandes problématiques mondiales, on pourrait oublier de voir notre voisin qui a besoin de nous. N’appliquons pas trop vite cette parabole aux grands malheurs de l’humanité, commençons par l’appliquer vis-à-vis des gens que le Seigneur met sur notre chemin.
D’ailleurs le flot d’informations dramatiques que les médias nous apporte quotidiennement peut finalement sécréter une forme de blindage : c’est trop pour nous. Nous finissons par tomber dans une forme d’indifférence pour nous protéger. Sauf que certaines informations viennent de temps à autre nous secouer : vous vous rappelez de la photo du petit Aylan, ce petit garçon syrien, mort en 2015, échoué sur une plage turque alors qu’il tentait de regagner la Grèce.
Ce matin, je retiendrai trois éléments de la charité du bon samaritain : le fait qu’il est saisi de pitié ; le fait qu’il s’approche ; le fait qu’il fait tout son possible.
Être saisi de pitié
Comme toute parabole, cette histoire du bon samaritain décale le propos, et emmène son interlocuteur ailleurs que dans le registre de la raison, qui voudrait un principe clair à appliquer directement.
Se laisser saisir par la pitié
La première chose par laquelle le bon Samaritain se démarque du prêtre et du lévite est qu’il est saisi de pitié. Il se laisse toucher intérieurement ; il ne peut pas rester indifférent. Ce mot « saisi de pitié » est très caractéristique de la miséricorde, on le retrouve par exemple dans la parabole du fils prodigue. C’est ce qui caractérise le Christ quand il voit les gens comme des brebis sans berger (Mc 6 , 34), devant la femme de Naïm qui vient de perdre son enfant, …
La personne en détresse possède un certain pouvoir d’attraction sur le cœur humain. La “pitié”, au bon sens du mot, est un sentiment très fort dans le cœur humain. Cela vient du fait que nous sommes créés à l’image de Dieu.
J’aime aussi cette parole de saint Paul : « Comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés, revêtez-vous d’entrailles de miséricorde, de bonté, d’humilité, de douceur, de patience. » (Col 3, 12) ou saint Jean :
« Si quelqu’un possède les biens du monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeure-t-il en lui ? » (1 Jn 3, 17)
Cela appelle un discernement
Bien sûr, dans un deuxième temps, il faudra discerner ce qu’il convient de faire ou non. Mais la première phase du discernement consiste à accueillir la réalité qui nous dérange. Plus exactement ce n’est pas tant la détresse qui nous interpelle mais le fait que ce soit une personne en détresse. Comme le dit Isaïe :
« Ne te détourne pas de ton semblable. » (Is 58, 10)
Nous appartenons à une commune humanité.
Avant même de savoir si l’on pourra faire quelque chose ou non, il importe de se laisser saisir par la détresse de l’autre, sans porter de jugement sur sa culpabilité ou non, sur le fait qu’on pourra l’aider ou non.
On voit que l’émotion fait bouger les choses. L’émotion a ceci de bon qu’elle nous sort de notre indifférence. L’émotion nous avertit qu’on ne peut classer trop vite ces questions difficiles en raisonnant de manière trop froide.
Attention à ne pas mettre trop de filtres
Comme le disait Benoît XVI en commentant cette parabole en parlant du prêtre et du lévite :
De fait, les circonstances (le fait que cette route était dangereuse, qu’ils ne savaient pas comment faire, la peur de contracter une impureté, …) peuvent nous aider à comprendre leur réaction.
De soi-disant “bonnes raisons” dissuadent le prêtre et le lévite d’aider le malheureux. Peut-être même se défilent-ils en disant : “il n’avait qu’à ne pas passer par là !” Il arrive très souvent que pour se disculper, l’homme tend à trouver une culpabilité en l’autre. Il peut arriver aussi que l’on accuse les pouvoirs publics, l’humanité, … ce qui ne porte pas du tout secours aux personnes en détresse.
Saint Paul a une très belle parole à ce sujet :
« Ne brisez pas l’élan de votre générosité mais laissez jaillir l’Esprit. » (Rm 12, 11)
S’approcher
Accueillir l’imprévu
A la différence du prêtre et du lévite, le samaritain s’approche :
« un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. Mais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de pitié. Il s’approcha. »
La Providence met des gens sur notre route. J’aime bien le petit mot par lequel sont introduits le prêtre et le lévite dans la parabole :
« Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté. De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté. »
Par hasard. Il y a tellement d’imprévus qui se glissent dans notre vie, de choses auxquelles nous ne sommes pas préparés, d’événements qui font irruption et viennent interférer dans nos beaux projets.
C’était le cas aussi, dans un autre contexte de Moïse dans le désert : il fit un détour pour voir le buisson qui brûlait sans se consumer (Ex 3, 3).
Justement, ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard. Dans certains cas, derrière le « hasard » se cache la Providence. Combien de vies de saints dont la vie a été changée au contact de personnes en détresse. Par exemple saint Vincent de Paul au contact de ce meunier qui avait grand besoin d’une confession ou des pauvres.
C’est en s’approchant que l’on peut discerner
Le prêtre et le lévite ont sans doute une multitude de « bonnes » raisons pour passer de l’autre côté. Mais sans s’approcher, comment peuvent-ils voir qu’il a encore un petit souffle de vie ?
Garder une distance permet de se protéger. S’approcher ferait que la détresse de cet homme roué de coups ne leur serait plus tout à fait étrangère. Il arrive que nous soyons touchés par la détresse des autres mais nous sommes retenus par une certaine peur. En effet, la misère attire et fait peur tout à la fois.
Le renversement : il devient le prochain
C’est précisément à ce moment qu’il y a un renversement : ce n’est plus le malheureux qui est le prochain ; c’est le samaritain qui devient le prochain, précisément parce qu’il s’est approché. Déjà à partir de ce moment, ce pauvre homme roué de coups n’est plus seul avec son problème. La première chose à faire, est de s’approcher, de se rendre présent. Il est le prochain de cette homme avant même de l’avoir chargé sur sa monture.
On ne peut pas être le saint Bernard universel. Il y a besoin de discernement. On ne peut pas toujours s’arrêter. Il faut aussi aller travailler, s’occuper de sa famille, … Mais l’important, c’est de garder le cœur ouvert.
Faire son possible
Faire son possible
Le bon samaritain n’était pas médecin ; ce n’était pas le SAMU. Il n’était sans doute pas plus adroit que les autres. D’autres auraient peut-être même fait les choses bien mieux que lui, mais il a fait son possible :
« Il s’approcha, pansa ses plaies en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui. Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : ’Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.’ »
Le bon samaritain n’en reste pas au niveau des bonnes intentions. Il va jusqu’au bout ; sa charité se concrétise. Du fait qu’il s’est laissé saisir de pitié et qu’il s’est approché, le Bon Samaritain s’est aperçu qu’il pouvait faire quelque chose. Il passe à l’acte : il panse ses plaies.
La loi d’amour de Jésus « n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. »
Accepter nos limites et que ce que nous ferons sera imparfait
Nous ne pouvons pas forcément faire grand-chose. Quelquefois nous aimerions être le sauveur du monde mais de fait, on ne sait pas forcément comment s’y prendre ; on se sent démuni ; on a peur de se tromper. Il ne faut pas attendre d’être compétent sinon on risque bien de ne jamais rien faire.
Bien sûr nous ne pouvons pas venir à bout de toute la misère du monde. Mais nous pouvons tout de même porter secours à des personnes que Dieu met sur notre route (cf. paroles de Mère Térésa). Il est bien de donner à des œuvres qui s’occupent des gens en détresse ; mais il est bien aussi de rencontrer en direct, si je puis dire, des personnes qui traversent un moment difficile et de leur venir en aide autant que nous le pouvons.
Conclusion :
N’oublions pas la question du départ :
« Maître, que dois-je faire pour avoir part à la vie éternelle ? »
Comme le dit le curé d’Ars, le talent fondamental que le bon Dieu nous donne, c’est notre cœur. Il attend que ce cœur soit dilaté au terme de notre vie. Cela ne se fait pas en une fois mais à travers de multiples actes quotidiens envers les personnes que le Seigneur met sur notre route.
Demandons à Marie de nous y aider,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre du Deutéronome 30,10-14.
- Psaume 69(68),14.17.30-31.33-34.36ab.37.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 1,15-20.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 10,25-37 :
En ce temps-là, voici qu’un docteur de la Loi se leva et mit Jésus à l’épreuve en disant :
— « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus lui demanda :
— « Dans la Loi, qu’y a-t-il d’écrit ? Et comment lis-tu ? »
L’autre répondit :
— « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ton intelligence, et ton prochain comme toi-même. »
Jésus lui dit :
— « Tu as répondu correctement. Fais ainsi et tu vivras. »
Mais lui, voulant se justifier, dit à Jésus :
— « Et qui est mon prochain ? »
Jésus reprit la parole : « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba sur des bandits ; ceux-ci, après l’avoir dépouillé et roué de coups, s’en allèrent, le laissant à moitié mort.
Par hasard, un prêtre descendait par ce chemin ; il le vit et passa de l’autre côté.
De même un lévite arriva à cet endroit ; il le vit et passa de l’autre côté.
Mais un Samaritain, qui était en route, arriva près de lui ; il le vit et fut saisi de compassion.
Il s’approcha, et pansa ses blessures en y versant de l’huile et du vin ; puis il le chargea sur sa propre monture, le conduisit dans une auberge et prit soin de lui.
Le lendemain, il sortit deux pièces d’argent, et les donna à l’aubergiste, en lui disant : “Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai.”
Lequel des trois, à ton avis, a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? »
Le docteur de la Loi répondit :
— « Celui qui a fait preuve de pitié envers lui. »
Jésus lui dit :
— « Va, et toi aussi, fais de même. »