Texte de l’homélie
On aime bien considérer cet évangile sous l’angle de la compétition : le Seigneur dit bien :
« Marie a choisi la meilleure part… »
Donc Marthe a perdu la partie. Dommage pour elle, elle est du côté des perdants…
Est-ce vraiment l’intention du Seigneur ?
En lisant cette page d’Évangile, j’ai une conviction : la meilleure part, elle est pour tous ! Pourquoi Jésus serait chez Marthe et Marie, pour quoi se serait-Il fait homme ? pour quoi vient-Il visiter Abraham, rentre-t-Il dans son intimité, pour quoi faire tout cela si ce n’est pour se donner ?
Simplement la meilleure part, il faut à tout prix s’en saisir, car la meilleure part, on ne la devine pas toujours. Nous nous sommes à côté d’un trésor et nous l’ignorons, elle est un « mystère qui était caché depuis toujours ».
A une époque ancienne, il y avait des concours poétiques. Un thème était donné autour duquel il fallait inventer. L’un d’entre eux revenait souvent : « je meurs de soif auprès de la fontaine »
Il me semble qu’en l’occurrence, celle qui meurt de soif auprès de la fontaine c’est Marthe, parce qu’elle n’a pas vu qu’il y avait là une eau vive qui pouvait la combler.
A l’inverse, que fait Marie ? elle boit, elle boit les paroles du maître, mais plus encore elle boit une eau vive, celle de l’Esprit, que répand le Christ à travers sa personne, ses paroles. Et son âme en est toute désaltérée, recréée.
Voilà ce que produit en nous la lecture de la parole, l’oraison. Vous le savez bien, c’était comme cela que Sainte Thérèse d’Avila décrivait l’oraison : l’irrigation d’un jardin, à l’arrosoir pour commencer, puis à la noria, puis par les canaux, puis enfin aux plus hauts degrés de l’oraison, par une pluie abondante.
Comment pouvons nous vivre sans cela ? tout simplement parce que nous l’ignorons, notre âme a soif, mais elle ne se tourne pas toujours dans la bonne direction.
Et quel est l’effet de cette prière ? l’union à Dieu ! Le curé d’Ars disait :
« La prière est un avant-goût du ciel, un écoulement du paradis. »
Et ce brave curé devait marcher des kilomètres et des kilomètres dans cette région déshéritée, marécageuse des Dombes. Mais voilà, il priait, et il ne sentait plus sa peine, car il disait :
« Elle ne nous laisse jamais sans douceur. C’est un miel qui descend dans l’âme et adoucit tout. Les peines se fondent devant une prière bien faite, comme la neige devant le soleil.
La prière fait passer le temps avec une grande rapidité, et si agréablement qu’on ne s’aperçoit pas de sa durée. Tenez, quand je courais la Bresse, dans le temps que les pauvres curés étaient presque tous malades, je priais le bon Dieu le long du chemin. Je vous assure que le temps ne me durait pas. »
Quel est l’enjeu ? c’est de découvrir ce trésor. Nous avons souvent l’impression que la prière est une obligation, un pensum… Le Curé d’Ars dit bien encore, que la prière un privilège, car :
« Nous avions mérité de ne pas prier mais Dieu, dans sa bonté, nous a permis de lui parler. »
Alors si nous avons compris ce secret, l’action ne nous coûte plus de la même façon. Marthe, ne peut faire autrement que de s’épuiser. Ce qu’elle fait lui consume toutes ses énergies, elle est pure donatrice. Mais l’homme n’est pas fait pour cela car il aura besoin de rétribution. Alors il va exiger à tout bout de champ la reconnaissance… Quand elle vient de nos frères, la reconnaissance est bonne, bien sûr, mais nous n’y pouvons prétendre, pas plus que de nous faire prendre pour des victimes du sort de l’injustice…
Il faut réparer les injustices si elles sont criantes, mais attention à ces fois où c’est notre ressentiment qui parle : « je fais tout, personne ne me remercie, ne le remarque » comme ont dit ces personnes généreuses. Par manque de discernement parfois, elles créent de la dette, elles sont en attente perpétuelle d’un retour, pauvres mendiants (attention je ne parle pas ici des mères de famille épuisée gérant souvent leur famille en plus de leur métier).
Mais plus grave encore, ce serait de perdre la faculté de s’émerveiller, que le réel, le quotidien ne nous alimente plus. Mère Térésa, grande contemplative qu’elle était, recevait beaucoup quand elle soignait un malade : ce service désaltérait aussi son âme, parce que ce faisant, elle rencontrait le Christ, le Christ espérance de la gloire comme dit saint Paul. Elle saisissait ce que disait Saint Bernard à propos de l’amour authentique, de la charité :
« L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, à lui-même sa récompense.
L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit. Son fruit, c’est l’amour même. »
Mais c’est tout le réel qui est destiné à nous alimenter. Une grande pédagogie qui est donnée aux jeunes pour qu’ils puissent grandir dans la joie profonde, c’est leur demander de trouver deux moments dans la journée où ils ont pu s’émerveiller…
Alors oui, il faut s’arrêter, regarder, contempler, dans la nature notamment : le monde n’est pas là simplement pour que nous l’exploitions, le soumettions, mais il est là pour notre réfection spirituelle, via l’émerveillement, la contemplation. Le Seigneur nous l’enseigne aussi avec les lis des champs, les oiseaux, du Ciel…
Alors vous l’avez compris, il ne s’agit pas de choisir son camp… Il nous faut être d’autant plus Marie si on est Marthe : ne pas perdre la présence de Dieu comme disait le Père Lamy, ni dans le travail, ni dans les relations, ni même dans les crises. Alors le réel ne nous broiera pas.
Mais il faut être aussi Marthe si on est Marie, car, que serait une prière sans travail, sans peine qu’on se donne ? Simplement une bonne digestion !
Vous le savez bien, les pères de l’Église utilisent des images du travail domestique pour parler du labeur de la lecture de la Bible :
- il faut lire la Bible, comme si nous frottions deux pierres ensemble, frotter son intelligence contre la parole de Dieu pour en faire jaillir l’étincelle
- autre image : la parole de Dieu est comme une noix. Si on veut la savourer, il faut la casser… « il faut se donner de la peine » pour reprendre l’expression de Jésus à Marthe.
Ainsi il faut extraire cette présence du Christ des Écritures.
Marie, Mère de Jésus se confrontait avec cette Parole vivante qu’était son Fils Jésus, elle retenait, méditait, organisait, puis accédait à la Vérité. Alors elle en vivait. Qu’elle nous donne part à Son cœur, à Sa contemplation.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de la Genèse 18,1-10a.
- Psaume 15(14),2-3a.3bc-4ab.4d-5.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 1,24-28.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 10,38-42 :
En ce temps-là, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service.
Elle intervint et dit :
— « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit :
— « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »