Homélie du 16e dimanche du temps ordinaire

20 juillet 2016

« Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Aujourd’hui nous avons cette magnifique lecture de la Genèse et puis de l’Évangile de Marthe et Marie, cette lettre aux Colossiens aussi, et quand on reprend ce texte de la Genèse, de l’hospitalité d’Abraham, nous avons cette scène bien connue et finalement assez surprenante, et peut-être que nous n’y prenons pas assez garde.

Parce que c’est l’heure la plus chaude du jour.
Et où est Abraham ? Et bien Abraham n’est pas dans son petit bureau climatisé, il est dehors. Et quand on sait ce qu’est la chaleur de l’Orient, de l’Afrique, etc, on se dit qu’il y a quelque chose qui ne va pas.
Personne n’est dehors à une heure pareille…

Donner, une disposition du cœur qui sait offrir

Et c’est magnifique parce que cela signifie énormément de la disposition de cœur d’Abraham : à l’intérieur de ma tente je n’ai pas tout, il me manque quelque chose, j’ai besoin de sortir. Je ne sais pas très bien pourquoi, peut-être encore. Mais quelque chose me viendra que je n’ai pas en moi-même.
Et c’est effectivement cette visite qui lui est faite et qui donne raison à son attitude. Il a comme senti, comme par un instinct à l’intérieur de son cœur, que c’était la juste place.

Et cette visite va lui permettre de donner, de préparer quelque chose pour ces trois visiteurs, de préparer ces quelques aliments qui leur permettront de poursuivre leur route.
Ensuite, Abraham peut entrer dans son repos lorsqu’il a donné.

Le don n’est pas une fatigue, mais un repos, parce qu’il correspond à ce que nous avons au plus intime de nous-mêmes.
Très mystérieusement Abraham pourrait sentir que les richesses qu’il a, ses troupeaux, la compagnie de son épouse, etc., le service de ses domestiques, tout cela peut se retourner contre lui si finalement il n’a pas ce cœur ouvert, s’il ne sait pas offrir, s’il ne sait pas faire profiter de tous ses biens à ceux qui le visitent.

Nos biens, nos dons, sont comme l’eau : l’eau, dans un étang, l’eau dans un espace figé, croupit, pourrit, sent mauvais.
Si l’eau coule, si l’eau se donne, elle garde sa fraîcheur et sa pureté.
C’est très significatif de toutes nos richesses intérieures. Si nous savons les donner comme Abraham, notre cœur reste jeune, notre cœur est pur.

Voilà quel est le secret de la pureté du cœur, et non pas un regard toujours anxieusement posé sur soi, mais un cœur qui sait tout donner, ses biens, mais aussi son propre péché.
C’est aussi le mystère de la miséricorde de Dieu, savoir tout donner à Dieu, ce que nous avons de meilleur et ce que nous avons de pire, pour que tout soit transformé par la miséricorde de Dieu.

Accueillir, une attitude risquée source de fécondité

Abraham en même temps a cette attitude risquée, si l’on peut dire : accueillir, c’est toujours se risquer.
Être à l’heure la plus chaude du jour, c’est quelque chose de risqué, comme finalement le Christ qui accepte d’être auprès de ce puits à l’heure la plus chaude du jour pour rencontrer la Samaritaine.

Il ne faut pas se leurrer, parce qu’accueillir c’est toujours accueillir l’inconnu : nous ne savons jamais qui est l’autre, ami ou ennemi, il ne faut pas se faire d’illusion.
Je pense à Charles de Foucault qui avait son ermitage perpétuellement ouvert et qui a fini par donner sa vie parce qu’il a été attaqué.
Je pense aux frères de Tibhirine qui, par cette hospitalité du cœur, ont choisi de rester en Algérie jusqu’au bout et on sait comment cela a fini.
Mais on sait aussi que cette hospitalité du cœur c’est ce qui permettra de dire à l’autre sa véritable identité :

Et si nous nous fermons, nous interdisons de dire cette Bonne Nouvelle, et parfois c’est le drame de notre Europe qui dresse des murs et qui s’interdit de dire cette Bonne Nouvelle à ceux qui veulent partager quelque chose d’elle, sans bien sûr être dans l’illusion sur les difficultés que cela peut poser.

Il faut donc aller au-delà de notre peur, aller au-delà de ce réflexe de la nature, comme le manifeste bien Abraham, dehors à l’heure la plus chaude du jour.
Et à ce moment-là le monde peut échanger autour de nous.
Abraham fait de ce moment où la nature est écrasée de soleil, un moment de fête avec ceux qui viennent le visiter. Et le fruit de tout cela c’est justement une fécondité, un monde qui croît, un monde qui se déploie, il va lui naître un fils car cet accueil suscite la vie, une vie qui s’accroît de plus en plus.

Abraham ne se contente pas d’accueillir ces trois visiteurs, il accueille la vie, il accueille sa propre postérité en même temps qu’il accueille ces trois visiteurs.
Et, bien plus que sa propre postérité, il accueille celui qui sera l’ancêtre du Messie, Dieu au milieu de nous, l’Emmanuel, Jésus, fils d’Abraham, fils d’Isaac…

Voilà quels sont les enseignements que nous pouvons tirer de cette première lecture.

Dieu nous accueille le premier

La deuxième lecture nous dit de manière magnifique aussi que le premier qui accueille ce n’est pas nous, c’est Dieu.

Quel est le projet de Dieu, son mystère ?
Saint-Paul nous dit magnifiquement que Dieu a voulu intégrer tous les hommes à sa propre vie et cela se manifeste de manière particulière par l’accueil de païens.Tous doivent partager l’héritage, le désir de Dieu de toute éternité c’est que nous partagions sa vie, c’est l’immense Bonne Nouvelle du christianisme. Nous n’avons pas Dieu d’un côté et nous de l’autre, nous ne devenons plus qu’un, dans le Christ nous sommes un seul être.

Vous connaissez tous cette magnifique icône de Roublev, ces trois anges qui se regardent, mais nous savons bien qu’il y a une place libre : nous sommes ce quatrième qui est invité à rentrer dans la Trinité.
De la part de la Trinité ce n’est pas parce qu’il lui manque quelque chose, ce n’est pas parce qu’elle serait malheureuse et qu’elle a besoin de se compléter ; c’est simplement parce que l’amour de Dieu la porte à partager ce qu’il a de mieux, cette joie intime de l’amour partagé.

Le don, mystère de réciprocité

Une dernière chose avec notre Évangile : Marthe et Marie accueillent le Seigneur et Marthe s’active pour l’hospitalité de son maître.
Mais finalement qu’est-ce qui ne va pas dans Marthe ?

C’est qu’elle oublie que l’hospitalité est toujours un mystère de réciprocité. Elle ne reçoit pas du Christ, elle est là affairée, elle veut donner.
Et Marie est celle qui a compris la priorité. Dieu nous aime le premier, nous avons à recevoir, alors oui nous pouvons rendre, alors oui nous pouvons le servir.
Mais Marthe n’est pas dans une attitude similaire, elle est celle qui veut offrir, et du coup qui reste comme concentrée sur son propre don, et qui oublie la beauté, qui oublie la vérité, elle a oublié la bonté de celui qui est là au milieu d’elle et qui veut partager son être le plus intime.

Voilà pourquoi nous nous fatiguons souvent, c’est que nous avons oublié de recevoir.
Il est bon d’être chrétien, ça n’est pas d’abord une exigence, c’est un bonheur, et si nous oublions cela, nous nous aigrissons, nous nous concentrons sur nos sacrifices, les exigences morales de l’Église, mais cela vient dans un deuxième temps, le Christ vient nous faire partager sa vie. Alors on louche, on voit ce qui font plus, ceux qui font moins, et on perd cette simplicité du regard que Marie porte sur son maître.
Parce que c’est ce regard, pur, qui nous unifie, qui nous permet de ne pas nous disperser, qui nous permet de ne pas être divisé intérieurement et d’aller toujours à l’unique source.
C’est cela qui permet cette paix du cœur et finalement que notre cœur profond sois toujours alimenté par le Christ qui se donne.

Voilà ce que nous pouvons recevoir aujourd’hui de ces lectures, savoir nous exposer pour recevoir, accueillir aussi cette initiative de Dieu qui veut nous sauver est rester dans ce mystère de réciprocité.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 18, 1-10a.
  • Psaume 14 (15), 2-3a, 3bc-4ab, 4d-5.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 1, 24-28.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 10, 38-42 :

En ce temps-là, Jésus entra dans un village.
Une femme nommée Marthe le reçut.
Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole.
Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit :
— « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. »
Le Seigneur lui répondit :
— « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses.
Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »