Homélie du 1er dimanche de Carême

24 février 2015

« Aussitôt l’Esprit le pousse au désert »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs,

« Jésus venait d’être baptisé. Aussitôt l’Esprit le pousse au désert. »

A la suite de Jésus, en ce début de carême, l’Esprit veut nous pousser nous aussi au désert. Pour-quoi ? Quels sont les bénéfices de ce séjour au désert ?
Je retiendrai 2 bénéfices principaux de ce séjour au désert : d’une part fortifier notre relation avec Dieu et d’autre part opérer une sorte de cure de désintoxication de tout ce qui, dans notre mentalité, n’est pas évangélique.
J’ajouterai un troisième point : le but du désert n’est pas de nous rendre indifférent aux autres, bien au contraire.

Fortifier notre relation avec Dieu

Le désert nous apparaît d’abord comme un lieu hostile. C’est le lieu des bêtes sauvages. C’est le lieu où les tentations peuvent être très fortes. Il ne s’agit pas d’une attitude d’imprudence où l’on se met dans des situations impossibles mais simplement de vulnérabilité puisque c’est l’Esprit qui nous emmène au désert.
Tant que tout va bien, nous pouvons avoir l’illusion d’être des saints. Mais dès que nous sommes confrontés à nos limites, nous avons vite fait de voir que nos réactions sont loin d’être toutes évangéliques. Au désert nos motivations sont mises au jour et peuvent ainsi être purifiées.
Finalement, qu’est-ce qui me fait vivre ?

Le désert est aussi un lieu de dépouillement. Toutes les compensations que nous pouvons prendre pour apaiser nos angoisses nous sont enlevées. Dans le désert, pas de compensation dans la nourriture ou les plaisirs terrestres ! Pas de frigo à ouvrir ou de cigarette à allumer pour évacuer son stress. Le désert est le lieu de la sollicitude de Dieu (cf. Dt 8, 2ss, 15-18). L’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu. Le carême est l’occasion de se poser la question : qu’est-ce qui me nourrit ?

A travers cette vulnérabilité consentie et ce dépouillement, nous sommes comme acculés à ne chercher notre secours qu’en Dieu, pas dans les appuis humains. Le désert nous provoque à lever les yeux, à nous ouvrir à la transcendance, à un monde « surnaturel », à quelque chose qui dépasse l’horizon terrestre, à nous ouvrir à Dieu.

Le désert est aussi le lieu où nous pouvons prendre un peu de distance avec nos préoccupations quotidiennes et les resituer dans une perspective plus large. Vous savez bien que, dans la parabole du semeur, les soucis de la vie viennent étouffer le blé qui a germé.
Le but du désert, c’est que notre cœur soit davantage à Dieu.

Désintoxiquer notre mentalité

Le désert est aussi le lieu par excellence où résonne la Parole de Dieu. En hébreu, les mots "désert" et "parole" ont la même racine. Au désert, la Parole de Dieu n’est pas absorbée par des supports calfeutrés qui finissent par l’étouffer.

Cette Parole de Dieu est d’abord une parole d’amour. Pour le prophète Osée, le désert représente le lieu de la rencontre avec Dieu qui prononce des paroles d’amour :

« Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » (Os 2,16)

Cette Parole nous permet également de réajuster ce qui, dans notre mentalité, n’est pas évangélique. Combien de nos réactions ne sont pas évangéliques ! Le carême est une sorte de cure de désintoxication de l’âme. La pollution provoquée par l’oxyde de carbone n’est pas la seule pollution qui existe. Il existe aussi la pollution des idées néfastes, d’une mentalité mondaine à laquelle notre pape François s’attaque avec force.

Derrière le mot “conversion”, il y a le mot grec “metanoia”. Ce mot est composé d’une préposition et d’un substantif : meta est la préposition qui indique l’inversion du mouvement, renversement ; noia est un substantif et signifie l’esprit. Littéralement, “meta-noeô” se traduit par “changer de mentalité”. Nous pourrions donc traduire “convertissez-vous” par “changez de mentalité”, “changez d’état d’esprit”. Il y a souvent des glissements au niveau de la mentalité. L’actualité de notre société le montre bien.

Mais cela est vrai aussi à un niveau personnel : notre mentalité évolue aussi au fil des années. Quand on est jeune, on est tout feu tout flamme, on a un grand idéal. Et puis, peu à peu, on se laisse gagner par la recherche du confort… Nous nous installons. Cela est vrai aussi des exigences de l’Évangile : en voyant qu’on n’y arrive pas, on rabaisse la barre des exigences à notre mesure ; on en vient à considérer l’Évangile comme une utopie ; on le dé-spiritualise. On lime un peu le tranchant de certaines paroles d’Évangile comme aimer ses ennemis, … On élabore tout un système de justifications pour ne pas vivre l’Evangile à la lettre.

Quand l’Église nous fait entendre cet appel vibrant de Jésus : “changez de mentalité et croyez en l’Évangile”, il ne s’agit pas de deux démarches successives mais de deux facettes de la même démarche : c’est en croyant en l’Évangile que que s’opère un changement dans notre mentalité. C’est dans la mesure où je m’ouvre à l’amour de Dieu que je peux aussi changer de mentalité. Inversement, si je n’accepte pas de changer de mentalité, quelque chose de l’amour de Dieu me restera méconnu ou inconnu. C’est aussi l’appel de saint Paul aux Romains :

« Ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que le renouvellement de votre jugement (noia) vous transforme et vous fasse discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait. » (Rm 12, 2)

C’est aussi ce qui se passe pour les disciples d’Emmaüs : Lc 24,45 : Jésus leur ouvrit l’esprit (noia) à l’intelligence des Écritures.

Lutte contre l’indifférence

Si le Seigneur nous invite au désert, ce n’est pas pour nous refermer sur nous-mêmes et nous rendre indifférent aux autres. Vous savez bien qu’une dimension importante du carême est précisément cette ouverture aux autres. C’est pourquoi le pape François a pris la lutte contre l’indifférence comme thème de son message du carême.

« Dieu n’est pas indifférent à nous. Il porte chacun de nous dans son cœur, il nous connaît par notre nom, il prend soin de nous et il nous cherche quand nous l’abandonnons.
Chacun de nous l’intéresse ; son amour l’empêche d’être indifférent à ce qui nous arrive.
Mais il arrive que, quand nous allons bien et nous prenons nos aises, nous oublions sûrement de penser aux autres (ce que Dieu le Père ne fait jamais), nous ne nous intéressons plus à leurs problèmes, à leurs souffrances et aux injustices qu’ils subissent… alors notre cœur tombe dans l’indifférence : alors que je vais relativement bien et que tout me réussit, j’oublie ceux qui ne vont pas bien.
Cette attitude égoïste, d’indifférence, a pris aujourd’hui une dimension mondiale, au point que nous pouvons parler d’une mondialisation de l’indifférence. Il s’agit d’un malaise que, comme chrétiens, nous devons affronter. (…) Nous sommes saturés de nouvelles et d’images bouleversantes qui nous racontent la souffrance humaine et nous sentons en même temps toute notre incapacité à intervenir.
Que faire pour ne pas se laisser absorber par cette spirale de peur et d’impuissance ? »

Le pape nous donne quelques pistes :

  1. « prier dans la communion de l’Église terrestre et céleste. »
  2. « aider par des gestes de charité, rejoignant aussi bien ceux qui sont proches que ceux qui sont loin, grâce aux nombreux organismes de charité de l’Église. »
  3. « vivre ce temps de Carême comme un parcours de formation du cœur (…). Celui qui veut être miséricordieux a besoin d’un cœur fort, solide, fermé au tentateur, mais ouvert à Dieu. Un cœur qui se laisse pénétrer par l’Esprit et porter sur les voies de l’amour qui conduisent à nos frères et à nos sœurs. »

Conclusion :

Nous pourrions appliquer au carême cette parole de Jésus : "de la mesure dont vous mesurez, on mesurera pour vous en retour". Il ne faut donc pas entrer à moitié dans ce carême. Par Marie, demandons la grâce de soigner notre relation avec Dieu, de renouveler notre mentalité et de sortir de toutes nos indifférences.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse (Gn 9, 8-15).
  • Psaume 24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9.
  • Première lettre de saint Pierre apôtre (1 P 3, 18-22).
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Marc (Mc 1, 12-15) :

Jésus venait d’être baptisé.
Aussitôt l’Esprit le pousse au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan.
Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient.

Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu ; il disait :
« Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche.
Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »