Homélie du 24e dimanche du Temps Ordinaire

14 septembre 2020

« Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs, même si nous commençons une année mariale, nous avons gardé les lectures de ce 24e dimanche ordinaire. En effet le pardon a une importance considérable pour notre vie humaine et chrétienne. Je dois dire que je m’attriste souvent de voir des personnes végéter dans la tristesse et l’amertume simplement parce qu’elles n’arrivent pas à pardonner. C’est comme si le fleuve de vie était bloqué par un gros rocher qui est le manque de pardon.

La Vierge Marie a eu Elle-aussi à pardonner. C’est pourquoi je me propose de contempler la Vierge Marie et de Lui demander de nous aider à pardonner :

  • Tout d’abord, Marie nous apprend à « pardonner » (entre guillemets) des choses difficiles mais qui ne sont pas pour autant des offenses : on le voit bien quand elle retrouve Jésus au Temple après trois jours de recherche angoissée.
  • Ensuite, ce qui a aidé Marie, c’est la conscience très vive qu’elle avait d’avoir bénéficié elle-même de la miséricorde de Dieu.
  • Et enfin, même dans le moment le plus tragique de la Croix où Jésus Lui demande de devenir notre mère, Marie a pu rester attentive à ce que vivent Ses enfants.

Distinguer offense et souffrance

Marie nous fait du bien en nous aidant à regarder les choses avec vérité. Dans notre vie, il y a beaucoup de choses qui nous font mal mais qui ne sont pas pour autant des offenses. Pour Marie, le moment où elle retrouve Jésus au temple après trois jours en est un exemple significatif (Luc 2, 41-52) :

« C’est au bout de trois jours qu’ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs de la Loi : il les écoutait et leur posait des questions, et tous ceux qui l’entendaient s’extasiaient sur son intelligence et sur ses réponses.
En le voyant, ses parents furent frappés d’étonnement, et sa mère lui dit : ’Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme ton père et moi, nous avons souffert en te cherchant !’ »

Les parents qui sont ici n’ont aucune peine à comprendre l’angoisse et la souffrance de Marie et Joseph qui ont cherché Jésus pendant trois jours. Et cela d’autant plus que Jésus est assis tranquillement au milieu des docteurs en les écoutant et en leur posant des questions. Pour corser le tout, Jésus leur déclare :

« Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »

Saint Luc nous dit bien :

« Mais ils ne comprirent pas ce qu’il leur disait. »

Joseph et Marie ont-ils dû pardonner cet « écart » de Jésus ? Au sens large « oui », si l’on veut dire qu’ils ont du digérer cela pour ne pas rester bloqués sur cela. Mais au sens strict « non », car il n’y a pas d’offense. L’offense suppose qu’il y ait une injustice. C’est pourquoi dans le vocabulaire du pardon, on parle souvent de « dette » :

« Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs. » (Mt 6, 12)

Dans l’évangile de ce jour, il est question d’une dette, c’est-à-dire de quelque chose que l’on doit en toute justice. La dette du deuxième personnage correspond ici à quatre mois de travail, ce qui n’est tout de même pas rien.
Il importe de bien distinguer offense et souffrance. Ce dont l’autre est directement responsable, c’est de l’offense, pas de la souffrance. La souffrance n’est pas toujours proportionnée à l’offense ; cela dépend de la manière dont on la reçoit, de la caisse de résonance qu’elle a en nous du fait de notre amour-propre blessé, de notre susceptibilité et de bien d’autres paramètres.

Quelle a été la réaction de Marie dans cette situation difficile ? Est-elle allée sur la place du village pour partager avec les autres : « vous savez : Jésus nous en fait voir des vertes et des pas mûres ! » ? Ce n’est pas ce que rapporte l’évangile, il nous dit :

« Sa mère gardait dans son cœur tous ces événements. »

Elle ne ressassait pas les choses avec amertume mais elle demandait la grâce de comprendre. Il s’agit de « ruminer » non dans le sens de ressasser mais dans le sens où l’on reprend les choses à plusieurs reprises pour s’en nourrir et l’assimiler.

Savourer le pardon de Dieu (et des autres !)

Ce qui est impressionnant dans la parabole que donne Jésus, c’est la disproportion entre la dette qui a été remise au premier serviteur (l’équivalent de 200.000 années de travail) et celle du deuxième serviteur (4 mois de travail).

Le premier serviteur n’a certainement pas mesuré l’immense chance qui lui avait été faite. S’il était resté dans l’émerveillement de la grâce dont il avait bénéficié, jamais il n’aurait pu se jeter sur son compagnon pour l’étrangler. S’il avait véritablement mesuré et goûté la grâce qui lui avait été faite, jamais il ne serait jeté brutalement sur son compagnon, sans aucune pitié.

A l’école de la Vierge Marie, nous pouvons demander la grâce de grandir dans la gratitude par rapport à la miséricorde dont nous avons bénéficié. C’est ce que fait Marie dans Son Magnificat :

« Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur ! Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. Le Puissant fit pour moi des merveilles ; Saint est son nom ! Sa miséricorde s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. » (Lc 1, 46-50)

Comme le dit la petite Thérèse, Marie n’a pas péché, mais dans Sa miséricorde, Dieu a fait mieux encore pour Elle : Il L’a préservée du péché. Et Marie était bien consciente de cette grâce immense.

Notre risque est de ne vivre la gratitude qu’à un niveau cérébral. Il ne suffit pas de reconnaître que nous avons reçu un bienfait. Il faut encore prendre conscience de la gratuité de ce bienfait : Dieu n’était pas du tout obligé de nous accorder ce bienfait.
Il faut aussi prendre le temps de détailler ce don gratuit. Sinon nous passons trop vite et cela n’a pas le temps de nous pénétrer, un peu comme une bûche qui ne serait qu’effleurée par les flammes. Il faut s’attarder à énumérer les différentes facettes de ce don. Le premier serviteur aurait pu penser :
"Quelle chance j’ai eu de ne pas être vendu. Et pas seulement moi, mais ma femme et mes enfants. Et aussi tous mes biens.
Et en plus, le maître est allé beaucoup plus loin que ce que je lui demandais : je lui demandais la patience pour être remboursé et il m’a tout remis. De toute façon, jamais je n’aurais pu éponger ma dette et je serais mort sans avoir le sentiment d’être quitte.
Quelle chance j’ai eue que le maître ait été saisi de compassion car il n’est pas idiot : il savait bien que de toute façon, jamais il ne serait rentré dans ses biens.
Quelle chance j’ai eue qu’il m’ait laissé repartir : je suis libre !
Que le pardon de Dieu est grand : il ne s’arrête pas à sept fois !"

Manifestement, ce premier serviteur n’a pas pris le temps de goûter la paix et la joie que cette prise de conscience des bienfaits aurait pu éveiller en lui. « En sortant », il se jette sur son compagnon pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !”.
Ce n’est pas un hasard si, à plusieurs reprises, l’Évangile nous dit :

« Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur. » (Lc 1, 19)

Dans cette attitude, Marie n’essaie pas seulement de comprendre mais se laisse aussi toucher dans sa sensibilité et son affectivité par la grâce de Dieu.
Pour nous aussi, nous gagnerions à ne pas faire une action de grâce rapide et superficielle après une confession mais prendre le temps de mieux mesurer la grâce qui nous a été accordée, l’amour que Dieu nous a manifesté ! Ce n’est pas la première fois que nous lui demandons pardon, … Il nous faut donc travailler notre conscience d’être pardonné.

« Quel est celui qui aimera le plus : celui à qui on a beaucoup remis ou celui à qui on a peu remis ? » (Lc 7, 42s)
« Celui à qui l’on pardonne peu, aime peu. »

Il importe d’avoir notre regard tourné vers la grâce dont nous avons été les destinataires.

Garder les yeux ouverts sur l’autre

Dans la parabole, le serviteur mauvais est resté complètement insensible à la supplication de son compagnon. Son regard est resté fixé sur le tort pas sur la personne, à tel point qu’il est resté inaccessible à l’humanité et à la détresse de son compagnon. Il ne voit plus que la dette. Il ne voit que l’offense dont il a été victime. C’est précisément ce que lui reprochera son maître :

« Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.
Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? »

Le serviteur mauvais est incapable de prendre de la hauteur et du recul. Il fait tellement corps avec sa revendication qu’il ne voit plus la personne en face de lui. Il a en quelque sorte perdu son humanité.

Là aussi Marie peut nous enseigner. Je trouve très déroutant que Jésus ait demandé à Marie d’être notre mère au moment précis où les hommes mettent Jésus à mort (cf. Jn 19, 25-27). La souffrance peut nous inciter à nous fermer sur nous-mêmes. Mais ce n’est pas le cas de Marie. La souffrance ne L’empêche pas de voir ceux que Jésus confie à Sa maternité.

On voit combien – comme le dit Saint Paul dans la deuxième lecture – Marie n’est pas centrée sur Elle-même ! Marie peut prendre assez de hauteur pour ne pas Se contenter de voir de notre péché mais voir notre personne avec Sa détresse et Sa vulnérabilité.

Chers frères et sœurs, laissons-nous éduquer par Marie pendant cette année mariale. Le pardon, c’est comme le travail des poumons qui vient réoxygéner le sang. Sans pardon, nous sommes comme les malades atteints du Covid : nous avons besoin d’être mis sous respirateur artificiel car sans oxygène, on meurt d’asphyxie.
Mais de même, sans pardon, la vie humaine et spirituelle est asphyxiée.

Que Marie nous aide dans ce chemin du pardon !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 27,30.28,1-7.
  • Psaume 103(102),1-2.3-4.9-10.11-12.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 14,7-9.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 18,21-35 :

En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander :
— « Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ? Jusqu’à sept fois ? »
Jésus lui répondit :
— « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
Ainsi, le royaume des Cieux est comparable à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
Il commençait, quand on lui amena quelqu’un qui lui devait dix mille talents (c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).
Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et tous ses biens, en remboursement de sa dette.
Alors, tombant à ses pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai tout.”
Saisi de compassion, le maître de ce serviteur le laissa partir et lui remit sa dette.
Mais, en sortant, ce serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent pièces d’argent. Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !”
Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers moi, et je te rembourserai.”
Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.
Ses compagnons, voyant cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.
Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?”
Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait.

C’est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur. »