Homélie du 24e dimanche du Temps Ordinaire

12 septembre 2016

« Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs, vous connaissez bien la devise du jubilé de la miséricorde ?
« Miséricordieux comme le Père »… Dans cette devise tirée de l’évangile (Lc, 6, 36), Saint Luc nous propose de vivre la miséricorde à l’exemple du Père :

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas, et vous ne serez pas condamnés. Pardonnez, et vous serez pardonnés. Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. » (Lc 6, 36-38)

« La vraie religion consiste alors à entrer en harmonie avec ce Cœur « riche en miséricorde », qui nous demande d’aimer toutes les personnes, même les plus éloignées et les personnes ennemies, en imitant le Père céleste qui respecte la liberté de chacun et attire toute personne à lui avec la force invincible de sa fidélité. C’est le chemin que Jésus indique à ceux qui veulent être ses disciples : « Ne jugez pas… ne condamnez pas… remettez et il vous sera remis. Donnez, et l’on vous donnera…. Montrez-vous compatissant comme votre Père est compatissant. » (Lc 6, 36-38).
Dans ces paroles nous trouvons des indications très concrètes pour notre attitude quotidienne de croyant. »
(Benoît XVI, Angélus du 16 septembre 2007)

Nous avons coutume de lire l’évangile du fils prodigue lors des célébrations pénitentielles.
Dans cette circonstance nous sommes amenés à nous identifier au fils prodigue. Pourtant, ce n’est pas l’angle d’attaque originel de la parabole.
Aussi, je préfère - en cette année de la miséricorde - regarder la figure du frère aîné.
En effet, le but de cette année de la miséricorde n’est pas seulement de bénéficier de la miséricorde mais de la prodiguer autour de nous.

Qu’est-ce qui est premier : réparer le mal ou renouer la relation ?

S’il y a un point commun entre les 3 paraboles que nous avons entendues, c’est bien la joie des retrouvailles.

En contraste avec l’attitude chagrine des pharisiens qui ne comprennent pas l’accueil que Jésus réserve aux pécheurs, Jésus insiste lourdement sur la joie des retrouvailles. Que ce soit pour la brebis perdue, la drachme perdue ou le fils perdu, dans tous les cas, Jésus met en évidence cette joie des retrouvailles.

Lorsqu’un mal a été commis, il y a 2 manières de regarder :

  • regarder le mal commis et exiger la réparation de la part du coupable ;
  • regarder le coupable et - s’il regrette le mal commis - lui donner une nouvelle chance.
    Dans ce cas, la réparation vient seulement ensuite et n’est pas posée comme un préalable.

Ce qui est premier pour Dieu est de retrouver ce qui est perdu, de retrouver la personne, de renouer la relation. Ensuite, on verra comment elle peut réparer le mal qu’elle a fait, comment la dette pourra être payée. Parler du péché comme d’une dette met bien en évidence la dimension relationnelle. Le péché ne se limite pas à une infraction par rapport à une loi impersonnelle.

Pour le frère aîné, ce qui est premier, c’est de réparer le mal, d’effacer le mal, c’est en quelque sorte que la personne paie pour le mal qu’elle a fait. Il n’est pas prêt à effacer la dette. Quelque part, il est obnubilé par la dette contractée.
Les pharisiens seraient prêts à se réjouir mais seulement au terme du processus : quand toute la dette serait remise. Tant que l’on ne regarde que la dette contractée, le péché commis, les dégâts occasionnés, on ne peut pas s’en sortir.

Pour l’instant, au premier abord, le frère aîné n’est pas tellement sensible aux relations : le fait qu’il soit avec son père ne l’intéresse peut-être pas plus que cela. Mais comme le faisait remarquer très finement le pape Benoît XVI, les deux frères ont finalement soif d’une relation :

Pour le fils prodigue, la soif d’une relation avec son Père naît quand il a faim.
Au début, la faim qu’il ressent n’a rien d’un repentir radical. Il cherche encore dans les biens matériels, il regarde vers les caroubes que mangent les porcs, cependant, une précision de l’évangile attire notre attention :
“ Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien ”.
La faim qu’il ressent est donc bien une faim liée à la relation. Car rien ne l’empêchait de se servir lui-même dans l’auge des porcs. Sa souffrance ne vient pas seulement de l’absence nourriture, mais du fait que personne n’avait le souci de lui, personne n’avait l’idée de l’aider à rassasier sa faim.

Il y a quelque chose de similaire pour le frère aîné. Sa revendication immédiate porte sur un chevreau mais elle va plus loin :
“ Tu ne m’as jamais donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. ”
Sans qu’il en ait vraiment conscience, la question ne porte pas vraiment sur le chevreau mais peut-être sur les amis qui lui font défaut, des amis pour faire la fête. Nous ne savons pas s’il en a : peut-être est-il resté esclave de son travail et a ainsi négligé toute relation.

Le retour de son frère a réveillé sa jalousie, ce venin jusqu’alors caché au fond de son âme. »
(Benoît XVI)

Est-ce à dire que le mal commis n’a pas d’importance ?

Évidemment non. Le Seigneur ne nous déresponsabilise pas.
Jésus n’entend pas du tout nous déresponsabiliser. Comme le disait le pape Benoît XVI, il y aura bien un jugement. Et le jugement est un lieu d’espérance car cela signifie que ce n’est pas la même chose de faire le mal ou de faire le bien, d’être Hitler ou Mère Térésa.

Il y a une différence entre les 3 paraboles.
La drachme est inerte. Elle n’a pas pris la décision de se perdre. La brebis s’est peut-être sauvée mais on ne peut lui attribuer une décision libre et volontaire.
Quelque part, la parabole du fils prodigue est la plus forte car elle implique la responsabilité de celui qui quitte.

Cette différence affecte aussi la recherche : pour la brebis et la drachme, il faut aller à leur recherche, elles ne reviendront pas d’elles-mêmes.
Pour l’homme, il faut attendre son retour. Dieu respecte infiniment sa liberté. Il est celui qui nous attend. Dieu est quasi paralysé par l’endurcissement de son fils. Si Dieu ne vole pas à son secours, ce n’est pas parce qu’il ne pense pas à lui mais parce qu’il ne veut pas le contraindre.

Depuis longtemps, le Père attend le retour de son fils. Ce qui est constant dans la Bible, c’est que Jésus n’est pas venu pour condamner mais pour sauver.

« Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (Jn 3, 16-17)

L’objectif de Dieu est clair : nous sauver. D’où l’expression : “Il fallait”. C’est comme une nécessité pour le cœur de Dieu. C’est la même nécessité qui conduit Jésus à sa passion et à sa mort : il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup… C’est encore ce “il fallait” que Jésus rappelle aux disciples d’Emmaüs.

Cette volonté de Dieu est exprimée magnifiquement dans le chapitre 18 d’Ezéchiel :

« Prendrais-je donc plaisir à la mort du méchant - oracle du Seigneur Dieu - et non pas plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive ? » (Ez 18, 23)

Ce qui permet au fils prodigue d’entrer vraiment en relation avec son Père, c’est son attitude de vulnérabilité. Il ne fait pas le fier. Il n’exige rien. Lorsqu’il revient de son exil, le fils cadet a changé profondément d’attitude. Il n’est plus dans une attitude revendicative. Ce n’est plus un rapport de force. Il fait plutôt appel au bon cœur de son père. Cette attitude d’humilité fait toujours fondre le cœur de Dieu.

« Aux humbles, il accorde sa grâce. » (1 P 5, 5).

Il reconnaît humblement : « je ne mérite plus… ».

Dieu regarde davantage si la personne est dans une bonne dynamique, sur le bon chemin. Il fait confiance pour nous aider à aller de l’avant (saint Paul). Pardonner, c’est donner une nouvelle chance. Ce n’est pas purement et simplement effacer l’ardoise. La réparation du mal commis n’est pas un préalable à la restauration de la relation mais plutôt une conséquence qui résulte de la gratitude. La deuxième lecture nous l’exprime magnifiquement.

Dieu, lui, se réjouit dès que la personne se remet dans la bonne direction, même si la dette n’est pas encore remboursée. D’ailleurs, Dieu n’est pas dupe : il y a des dettes qui ne seront jamais remboursées. Quand nous prenons l’évangile du débiteur impitoyable (Mt 18, 21-35), la dette est tellement astronomique qu’elle ne pourra jamais être remboursée.

Le frère aîné n’en est pas là. Il n’a aucune idée du regret de son jeune frère. Il n’a aucune idée du chemin intérieur qu’a accompli son frère avant de revenir. Ce n’est pas ce qui l’intéresse ; ce qui l’intéresse, c’est que de l’argent a été gaspillé et pour l’instant, il y a pas de plan de surendettement. Il en reste à la matérialité de la dette qui n’est pas remboursée. Il voit seulement qu’on fait la fête et cela lui paraît insupportable.

Conclusion

La parabole ne nous dit pas si le frère aîné s’est finalement laissé convaincre par son père. En effet, la conclusion débouche sur la réalité pour nous interroger en direct : accepterons-nous de donner raison à la miséricorde de Dieu et d’entrer dans la fête qu’il a préparée ?
Accepterons-nous de faire confiance à nouveau, de donner sa chance à celui qui a pris un mauvais chemin mais qui le regrette. Nous ne sommes plus spectateurs d’une histoire qui nous est étrangère mais acteurs d’une histoire qui nous rejoint personnellement.

Avec son pragmatisme habituel, le Pape François nous interpelle :

« Que chacun de nous pense à une personne avec laquelle nous ne nous entendons pas, avec laquelle nous nous sommes disputés, que nous n’aimons pas beaucoup. Pensons à cette personne en silence, à présent, prions pour cette personne et devenons miséricordieux avec cette personne. »
(Pape François, 15 septembre 2013)

« Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 32,7-11.13-14.
  • Psaume 51(50),3-4.12-13.17.19.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 1,12-17.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 15,1-32 :

En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux ! »
Alors Jésus leur dit cette parabole : « Si l’un de vous a cent brebis et qu’il en perd une, n’abandonne-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la retrouve ?
Quand il l’a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !”
Je vous le dis : C’est ainsi qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. »

Ou encore, si une femme a dix pièces d’argent et qu’elle en perd une, ne va-t-elle pas allumer une lampe, balayer la maison, et chercher avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ?
Quand elle l’a retrouvée, elle rassemble ses amies et ses voisines pour leur dire : “Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la pièce d’argent que j’avais perdue !”

Ainsi je vous le dis : Il y a de la joie devant les anges de Dieu pour un seul pécheur qui se convertit. »

« Un homme avait deux fils.
Le plus jeune dit à son père : “Père, donne-moi la part de fortune qui me revient.” Et le père leur partagea ses biens.
Peu de jours après, le plus jeune rassembla tout ce qu’il avait, et partit pour un pays lointain où il dilapida sa fortune en menant une vie de désordre.
Il avait tout dépensé, quand une grande famine survint dans ce pays, et il commença à se trouver dans le besoin.
Il alla s’engager auprès d’un habitant de ce pays, qui l’envoya dans ses champs garder les porcs. Il aurait bien voulu se remplir le ventre avec les gousses que mangeaient les porcs, mais personne ne lui donnait rien.
Alors il rentra en lui-même et se dit : “Combien d’ouvriers de mon père ont du pain en abondance, et moi, ici, je meurs de faim !
Je me lèverai, j’irai vers mon père, et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Traite-moi comme l’un de tes ouvriers.”
Il se leva et s’en alla vers son père. Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers.
Le fils lui dit : “Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils.”
Mais le père dit à ses serviteurs : “Vite, apportez le plus beau vêtement pour l’habiller, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds, allez chercher le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé.” Et ils commencèrent à festoyer.
Or le fils aîné était aux champs. Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses.
Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait.
Celui-ci répondit : “Ton frère est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il a retrouvé ton frère en bonne santé.”
Alors le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer. Son père sortit le supplier. Mais il répliqua à son père : “Il y a tant d’années que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais, quand ton fils que voilà est revenu après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu as fait tuer pour lui le veau gras !”
Le père répondit : “Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Il fallait festoyer et se réjouir ; car ton frère que voilà était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !” »