Homélie du 25e dimanche du temps ordinaire

24 septembre 2018

« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Un groupe de terminales est venu dernièrement à l’Abbaye. Ils ont suivi un petit parcours d’évangélisation comportant quelques questions dont celle-ci : « Comment vous voyez-vous dans vingt ans ? ». C’est une question importante quand on a 18 ans.

Je m’occupais d’un groupe de garçons de terminale S, et l’un d’eux me répond sans détour : « Je veux être le roi du monde ! » et ses camarades de le réprimander : « Arrête tes bêtises ! », mais, je poursuis le dialogue en lui demandant : « Pourquoi ? » et il me répond : « Pour être le meilleur, pour avoir du pouvoir ! »
Il le disait un peu par bravade, mais ce qui peut nous interpeller le plus c’est que ces réponses ne conviennent pas à un Chrétien qui lui, doit trouver humblement sa place, chercher à être le dernier, et non pas le premier, se réconcilier avec sa petitesse…

Chers frères et sœurs, voilà ce que l’on serait peut-être tenté de répondre à ce jeune hommes, mais il est fort probable qu’il ne se laisse pas convaincre si facilement : chercher la petitesse quand on a 18 ans, est-ce vraiment le moment ?
Lui dire : « Ravale donc ton ambition et ta mégalomanie, cela peut-être dangereux pour ton équilibre psychologique ! » ne va pas non plus l’aider…

Voici bien le hiatus avec ces réponses-là. Et si l’on regarde l’évangile d’aujourd’hui, nous voyons que le Seigneur est confronté à ce genre de délire. Une autre fois, deux disciples veulent – à défaut d’être le premier – au moins occuper le peloton de tête et siéger l’un à la droite, l’autre à la gauche de Jésus – sans doutes un peu comme des ministres de l’intérieur. Aujourd’hui, ils veulent savoir qui est le plus grand, le premier, comme notre élève de Terminale S.
Et aussi curieux que cela puisse paraître, Jésus ne se scandalise pas, ne fait nullement la morale en disant : « Ravale ton désir de grandeur, sois humble, soit petit ! » Autrement dit, il prend acte de ce désir et ne le juge pas comme étant mauvais, mais il rebondit : « Vous voulez ? être grand ? très bien ! Vous voulez être les premiers ? très bien ! Je vous en montre le chemin, mais celui de la vraie grandeur. »

Chers frères et sœurs, Jésus ne vient pas contrecarrer ce désir d’excellence qui ne sont pas mauvais en soi : Il vient les évangéliser, Il vient leur donner leur vrai sens.
Oserai-je dire « Malheur aux jeunes qui ne voudraient pas être quelque chose, quelqu’un, qui ne voudraient pas exceller… » Portons simplement un regard humain. Il m’apparaît que la richesse des pédagogies comme celle du scoutisme ou celle du patronage, c’est qu’elles proposent un panel d’activités maximales : la topographie, le théâtre, le chant, la liturgie, le dessin, le sport, etc… pour qu’à travers l’une de ces activités au moins, le jeune puisse rencontrer son lieu d’excellence. Et un jeune qui l’a découvert est sur le bon chemin, comme « sauvé », si l’on peut s’exprimer ainsi. Il sait qu’il vaut quelque chose, il sera plus fort dans la vie.
A l’inverse, celui qui n’a pas trouvé son lieu d’excellence risque fort de tomber dans la jalousie comme l’évoque Saint Jacques dans la deuxième lecture : « Vous êtes jaloux, vous n’arrivez pas à vos fins, alors, vous entrez en conflit. »

Comment se guérit la jalousie si ce n’est en commençant par discerner le bien qui est en nous, de cesser de prendre les critères des autres et ceux du monde pour s’évaluer soi-même. Le QI et la feuille de paye, est-ce vraiment cela qui nous définit ?
Le sage et le saint ne sont pas jaloux, car ils savent que les biens auxquels ils sont attachés sont des bien incomparables. Quine souffre pas le plus et le moins ? c’est la beauté, la profondeur de cœur, la richesse et l’unicité d’une personnalité.

Jean Vanier nous dit que chacun a un don absolument personnel, et personne d’autre ne peut l’accomplir ni l’offrir. On peut faire une analogie avec le patrimoine génétique : l’ADN d’une personne est unique. Chacun de nous est responsable de ce don. Et c’est vraiment rendre hommage à notre créateur que de découvrir ce don, et de nous aider les autres à faire de même, dans nos amitiés, dans nos mouvements.
Jean avait repéré le don très simple d’une personne avec handicap : c’était de nommer chaque soir avec une ferveur très particulière chaque membre qui constituait le foyer, au moment de la prière. On faisait cette litanie quotidiennement, et chacun se sentait profondément rejoint, et ému, voire consolé par ce nom prononcé. Un don tout simple, tout modeste - mais si essentiel : révéler la singularité de chacun…

Il est vrai qu’il y a tous ces dons qui viennent de nos aptitudes, de nos possibilités, de nos talents, mais il y a ces dons plus cachés : le sens de la personne, le sens du réconfort, les qualités de cœur, une profonde humilité qui serait naturelle à la personne. Et les parents de fratrie comptant un membre apparemment moins doué le savent bien : ils s’efforcent de tout mettre en œuvre pour discerner ce qu’il y a d’unique dans cet enfant qui semble moins fort que les autres et pour mettre à jour ce don pour qu’il vienne réorganiser toutes les valeurs.

Cela semble très humain, mais on est déjà proche du divin. Et Jésus nous emmène plus loin et nous dit : « Tu dois reconnaître en toi ces dons ces talents, ce nom unique et secret, ta singularité, la splendeur que tu es… Elle vient de Dieu, du créateur, qui t’a fait chef d’œuvre irremplaçable. Ne passe pas côté, ce serait comme recevoir un cadeau qu’on n’ouvrirait pas… »
« Mais si tu veux être le premier, je te propose un chemin extraordinaire, difficile, c’est vrai… mais qui vaut la peine. Ta valeur, ta stature, tu la trouveras en t’abaissant. »

« Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »

Oui voilà le chemin ! Et des grands ambitieux ne s’y sont pas trompés !
Prenons l’exemple de Saint Ignace de Loyola : noble espagnol - sourcilleux pour les questions d’honneur - est blessé au siège de Pampelune. Il doit garder la chambre et il lit, il lit les livres qui sont dans sa chambre. Les romans de chevaliers, les romans de la gloire humaine, tous y passent, puis il s’ennuie. Il met alors la main sur les livres des rayons suivants, les vies des saints : Saint Dominique, Saint François… Et aussitôt une question s’éveille dans son cœur : « Pourquoi pas moi ?! »
Et il va ainsi s’employer à les imiter, se laisser terrasser par la grâce et devenir le serviteur de ses frères. Et voilà cet homme qui transformera le monde et, par ses intuitions géniales, va préparer le rentrer dans les temps modernes.

Et Sainte Thérèse de Lisieux - que l’on prend parfois pour une sainte à l’eau de rose - que désirait-elle si ce n’est la gloire, rien moins que la gloire ? La gloire de Dieu certes, mais être elle-même glorieuse ! Rayonner, laisser une trace sur son époque sur le monde…Comment va-t-elle s’y prendre ? C’est par ses mille et uns gestes de la vie quotidienne, en passant régulièrement à côté de l’infirmerie, pour que les sœurs qui sont malades puissent l’appeler, en se proposant pour les services les plus cachés et les moins honorés… Et voilà qu’elle rayonne aujourd’hui, et qu’elle sillonne le monde entier – à travers ses reliques – et qu’elle laisse ces traces de lumière partout où elle passe. Voilà qu’elle touche les cœurs.

Ainsi, nous pouvons nous demander quelle est notre ambition, quelle trace nous voulons laisser sur notre époque, quelle sont les personnes qui ont compté pour nous ? souvenons-nous que la trace qu’ils ont laissée en nous, ou sur le monde, c’était le fruit de bien des renoncements, le fruit de la décision de ne pas s’arrêter à ses propre caprices, de poursuivre coûte que coûte son idéal, de payer jusqu’au bout le prix de ses bonnes intuitions, et de ses dispositions généreuses. C’est par cela qu’on laisse une trace, c’est cela avoir de la personnalité.
Je me permets de citer le Père Lamy, notre fondateur, icône de la lutte contre la volonté propre, qui est aussi l’apôtre des vraies personnalités. Il dit ceci :

« On constate que quelqu’un est grand, généreux, quand il donne largement.
Il est grand et généreux précisément dans la mesure de ce qu’il donne.
Ce n’est pas celui qui reçoit qui est grand et généreux. C’est celui qui donne beaucoup et volontiers. Celui-là est vraiment un être, il a de la personnalité, il affirme sa volonté personnelle.
Souvent, il a su prendre sur ses inclinations, sur le fond même de sa nature, de son caractère. »

Chers frères et sœurs, si le vrai moyen d’avoir de la personnalité - en ces temps où l’on parle tant de ces humanités clonées - c’était justement de suivre l’évangile jusqu’au bout ? _ Car c’est cela qui détruit les forteresses, qui ébranle les cœurs, qui force l’estime.
Vous vous souvenez de cette sainte, qui s’était donnée passionnément pour des vieillards, maltraités, oubliés, qu’elle avait décidé de recueillir. Et pour subvenir à leurs besoins, il lui fallait aller quêter. Elle allait faire bravement du porte à porte, et les gens n’étaient pas toujours tendres avec elle. Il lui arrive même une fois qu’un couple lui crache tous deux au visage ; elle s’essuie patiemment la face, puis leur dit sereinement :
« ça c’était pour moi ; maintenant pour mes pauvres !… »
Comment ne pas être profondément ébranlé par une telle attitude, comment ne pas voir que dans un geste semblable se joue ici la révolution de l’amour ? Mesurons bien l’impact que produisent en nous des personnes qui semblent ne jamais se rechercher elles-mêmes, qui font passer les autres avant elles ; nous n’avons pas d’argument à leur opposer, car à une vie toute donnée, on ne peut rien opposer.

De notre côté, nous avons bien des occasions des vivre de situations similaires : regardons la dernière fois que nous avons répondu à une parole piquante ou mauvaise : n’est-ce pas l’agressivité qui a d’abord surgi dans notre cœur ? le désir « d’emporter le morceau » ?
Comment essayer de réagir différemment dans des circonstances semblables, laisser la trace du royaume, manifester que le ciel fait déjà son œuvre en nous, et dans le monde, tout en respectant la vérité…
Chers frères et sœurs, efforçons-nous de servir en toute chose, c’est à dire de servir une cause plus grande que notre pauvre petit « moi », battons nous sur tous les points. On aura encore pendant bien longtemps nos petitesses d’amour propre blessé, mais si nous nous y efforçons, si nous sommes de bonne volonté, les choses changeront peu à peu en nous et autour de nous. Et puis, peut-être découvrirons-nous autre chose à un moment donné, qu’il nous apparaîtra que le chemin que nous avons voulu emprunter, c’est le chemin même du Christ :

« Le fils de l’homme livré aux mains des pécheurs… »

La première lecture décrit ce juste persécuté. Mais, nous voulons connaître la douceur extraordinaire de ce juste : quel émerveillement lorsque l’on en prend conscience. Cette douceur n’est pas factice, elle est forte de l’infini et de la force même de Dieu.
Nous nous rendons compte que la force qui se dégage mystérieusement de nos renoncements, c’est finalement la force de Dieu Lui-même. Et nous que, peu à peu et finalement, nous ne formons qu’un seul être avec Lui.
Alors, nous comprendrons aussi que nous sommes grands et glorieux parce que nous sommes unis à l’abaissement du Christ pour être avec Lui unis à Sa Résurrection Que Marie qui, par Son abaissement et Son humilité, par Son intense charité, a été élevée plus haut que tous les saints, plus haut que tous les anges, nous enseigne le chemin de la vraie grandeur,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du Livre de la Sagesse 2,12.17-20
  • Psaume 54(53),3-4.5.6.8
  • Lecture de la Lettre de saint Jacques 3,16-18.4,1-3
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 9,30-37 :

En ce temps-là, Jésus traversait la Galilée avec ses disciples, et il ne voulait pas qu’on le sache, car il enseignait ses disciples en leur disant : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera. »
Mais les disciples ne comprenaient pas ces paroles et ils avaient peur de l’interroger.

Ils arrivèrent à Capharnaüm, et, une fois à la maison, Jésus leur demanda : « De quoi discutiez-vous en chemin ? »
Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand.
S’étant assis, Jésus appela les Douze et leur dit : « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous. »
Prenant alors un enfant, il le plaça au milieu d’eux, l’embrassa, et leur dit :
« Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille. Et celui qui m’accueille, ce n’est pas moi qu’il accueille, mais Celui qui m’a envoyé. »