Homélie du 26e dimanche du Temps Ordinaire

30 septembre 2019

« S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. »

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Texte de l’homélie :

« On ne peut pas servir deux maîtres : et Dieu et l’argent… »

Dimanche dernier, le Seigneur nous a invités à méditer sur la réalité de l’argent et le rapport que nous avons avec l’argent : est-ce que nous le considérons comme un maître ou plutôt comme un serviteur ?
Au premier abord, il semblerait que ce soit à nouveau sur l’usage des richesses que le Seigneur nous invite à méditer, mais permettez-moi une autre lecture. Nous approchons de le fin de l’année liturgique, et les différentes lectures que nous allons entendre traitent du Royaume de Dieu et de la Vie Eternelle. Nous en avons un premier exemplaire avec Lazare et l’homme riche qui n’a pas de nom – il est anonyme – et c’est intéressant car cela peut être chacun d’entre-nous.

Il me semble que ce passage d’évangile traite davantage de la vie spirituelle que du rapport aux richesses, on le voit à la fin de la parabole. En effet, il est dit :

« S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. »

Il est certain que cette parole lue après le Résurrection du Christ est d’une grande actualité.
Dans ce passage d’Évangile, le Seigneur nous parle de la vie spirituelle, de rentrer dans la Vie Éternelle. Il nous donne des moyens habituels pour rentrer en contact avec Lui, des moyens simples et répétitifs. La messe fait partie de ces moyens répétitifs, et c’est pour cela que l’on peut regretter que nos concitoyens délassent ce temps de prière dominicale.
On voudrait quelque chose de plus extraordinaire pour rentrer en contact avec Dieu : on voudrait qu’Il frappe Lui-même à la porte !

On voudrait avoir des apparitions, quelque manifestation différente… Et Jésus nous dit que la vie spirituelle consiste à écouter Moïse et les Prophètes, et cette parole s’adresse particulièrement pour les Pharisiens qui estimaient enseigner dans la chaire de Moïse et être les vrais porteurs de sa loi. Mais ces paroles nous sont aussi adressées : « Écoutez ce que l’Église nous donne au quotidien et qui suffit amplement à vous guider vers le Ciel ! »

Ne soyons donc pas en recherche de choses inhabituelles ! Si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, telle est notre foi dans le Christ, nous voyons que cela ne change pas grand chose pour certains. Le dimanche matin, beaucoup sont à la brocante, ou en train de laver leur voiture par exemple, ces choses étant très sympathiques par ailleurs, mais trouvent-ils un moment pour se préoccuper de leur âme et de la vie spirituelle ?
Il s’agit bien d’un oubli de la présence de Dieu. Et quand bien même on proposerait quelque chose d’extraordinaire, peut-être y aurait-il un tout petit peu plus de monde parmi nous, mais sans doutes seulement pour un temps.

C’est aussi le cas de celles et ceux qui sont trop attachés à la dimension sensible dans leur vie de Foi. Bien entendu, la dimension affective est importante dans notre foi : ça remue le cœur et nous nous sentons parfois plus sollicités, mais le Seigneur nous dit que non, la conscience que la Vie Éternelle se prépare ici et maintenant c’est ce que nous disent Moïse et les Prophètes, et les évangiles, bien entendu. C’est ce que propose l’Église au quotidien.

L’Église propose les sacrements, et notamment la messe pour citer le plus répétitif. Il y a aussi l’oraison, la lecture de la Parole de Dieu, il y a les dévotions comme celle du chapelet, des prières aux anges, à l’ange gardien. Il y a des tas de choses qui nous préparent au Royaume de Dieu et rentrent dans le Royaume de Dieu ceux qui y vivent déjà. Ils y vivent déjà par la Foi et ils peuvent y rentrer. Mais ceux qui ont oublié, du fait de cette amnésie spirituelle, ce désintérêt chronique n’y sont pas encore rentrés.

Beaucoup de gens n’ont rien contre la foi. J’ai rarement rencontré quelqu’un de complètement opposé et les gens disent habituellement : « si c’est votre choix, c’est très bien ! »
Mais il y a un tel désintérêt, un tel oubli… Et Saint Paul nous donne ce conseil dans la deuxième lecture :

« Garde les commandements du Seigneur !
Demeure sans tâche et irréprochable jusqu’à la manifestation du Seigneur.
Garde ce qui t’a été donné ! »

Et l’Évangile nous donne beaucoup de commandements : il y a le commandement « nouveau », celui d’aimer son prochain comme soi-même, et l’on voit bien que le riche qui n’a pas de nom oublie ce commandement qui est si ancien : il n’y a pas que l’Évangile qui donne ce commandement de prendre soin de celui qui est dans la nécessité. Cela traverse tout l’Ancien Testament, et pourtant, on oublie, on se laisse enivrer…
Il est vrai que le confort, l’excès de biens matériels, le côté parfois routinier de la vie spirituelle est parfois lassant… c’est vrai que d’une messe à l’autre, cela se ressemble beaucoup ! et peut-être, certains d’entre vous qui êtes parents ont de la difficulté de traîner-les-ados-à-la-messe, et ont entendu dire : « on connaît ! » « ça fait déjà 500 ou 600 fois que j’y vais !! »
Et c’est pourtant là où il faut aller plus loin : est-ce que ce n’est pas dans ce côté habituel que se révèle le vrai visage de Dieu… N’est-ce pas dans ce quotidien avec Dieu que se révèle Sa présence ?
Ne soyons pas en recherche de choses extraordinaires, car ce n’est pas cela qui nous fera grandir spirituellement. Ce n’est pas cela qui nous prépare au Royaume, nous avons tout ce qu’il faut dans la Foi de l’Église pour pouvoir cheminer paisiblement vers le Royaume. Il faut juste s’en emparer, il faut juste prendre du temps pour et admettre que c’est une priorité.

Bien entendu, il est important de laver ma voiture ainsi que de trouver une bonne affaire à la brocante, et c’est très bien de s’en occuper. Mais est-ce que je consacre aussi du temps à ma vie spirituelle ? Est-ce qu’intérieurement, je prends soin de mon âme, est-ce que je profite des moyens habituels que me donne l’Église pour prendre soin de mon âme ?
Ce côté de la vie spirituelle, de la vie intérieure, de découvrir qu’en nous, il y a une source qui ne vient pas de nous mais qui nous habite… Et cette source, si on ne la désensable pas, elle se tarit petit à petit, et le Seigneur se retire sur la pointe des pieds, pas complètement grâce à Dieu, mais on perd ce contact habituel avec Dieu que l’on peut avoir dans la vie de prière.
Nous pouvons nous poser la question de là où nous en sommes de notre temps de prière personnelle…

Pour nous, frères engagés dans la vie religieuse, ce n’est pas plus facile : dans la prière, c’est le mystère de Pâques qui est donné, car cela demande de sortir de nos « choses habituelles ». Nous avons tous des tas de choses bonnes à faire, mais pour rentrer dans la prière, il y a une sorte de mort à soi-même à consentir.
Ce qui est difficile dans la prière, c’est que nous n’avons pas la main. Or, dans tout le reste de nos activités, c’est nous qui décidons, et c’est valorisant. Rester assis une demie-heure en silence, en demandant que Dieu veuille bien révéler Son visage, c’est loin d’être simple, reconnaissons-le. Et cela contribue à l’éloignement de la Foi, à la sécularisation que l’on observe, car il y a une vraie sortie, un vrai exode de soi-même. Et dans ce monde qui valorise l’hyperactivité, rentrer dans une dimension plus contemplative, c’est tout à fait au rebours de notre société moderne !

C’est tellement beau de vous voir ce matin dans cette assemblée, vous qui avez fait le choix de la dimension contemplative par la prière commune… vous vous occupez de votre âme et de celle des autres, car on prie aussi pour les autres : on porte les autres dans la prière, c’est ce que je vous ai dit au commencement de cette messe.
Et sachez-le, avant la première prière que le prêtre prononce et que l’on appelle la collecte, il y a un temps de silence pendant lequel nous remettons intérieurement au Seigneur les intentions que nous portons pendant la messe. Aller à la messe n’est pas qu’une démarche personnelle et portative : c’est ce côté individualiste qui fait que l’on perd ce sens. Et pourtant, c’est bien là que l’on porte les autres dans la prière, et c’est tout cela qui nous prépare au Royaume.

Le mauvais riche est condamné car il a perdu le sens qu’il était en lien avec les autres. Il est victime d’une sorte d’enfermement, d’aveuglement, auxquels contribuent les richesses, mais pas seulement : il y a le pouvoir, l’amour de soi-même, l’activisme, cette maladie liée au temps, ce rapport au temps qui est malade, le manque de patience…
Car pour entrer dans une vie spirituelle, il faut accepter de rentrer dans un temps long. Or, à l’inverse, nous sommes dans le « maintenant - tout de suite » ! Et nombreux sont celles et ceux qui veulent voir le résultat tout de suite… Et il faut pourtant y renoncer.
C’est comme le travail intellectuel : avoir des joies intellectuelles demande du temps.

Il nous faut donc revisiter notre rapport au temps. Et parce que je suis rentré dans ce temps long, j’aurai cette vision, cette pré-connaissance de l’Éternité.

Demandons-nous où nous en sommes de notre vie spirituelle. Si nous sommes là aujourd’hui, c’est que nous y consacrons du temps et c’est beau, c’est bien ! Sans doutes voyez-vous la difficulté à inviter dans vos familles : « on connaît déjà », « laissez-nous faire la grasse matinée ! » « j’ai d’autres choses à faire ! » « je suis attendu ailleurs… » il y a des tas de bonnes raisons, mais quand le Seigneur viendra et frappera à la porte, qu’auras-tu à Lui présenter ? En voilà une question intéressante à poser… « seras-tu en tenue de service ? ».
Voilà ce que le Seigneur nous demande.

Bien entendu, cette parabole nous parle des richesses – nous aussi entendu une méditation sur ce sujet là dimanche dernier - mais il me semble qu’elle nous parle surtout de la vie spirituelle, de prendre soin de son âme, de découvrir qu’à l’intérieur de nous, le Seigneur a déposé une source, un trésor. Ce trésor est caché, bien sûr - comme tous les trésors, mais dont il faut progressivement aller à la recherche.

Demandons alors par l’intercession des Saints Archanges, eux que nous fêtons aujourd’hui et qui sont des créatures spirituelles, qui sont devant la face de Dieu et qui Le louent pour l’Éternité, demandons-leur qu’ils soient les gardiens de notre vie spirituelle.
Les Archanges sont justement ceux qui nous rappellent l’importance de la vie spirituelle : toute la Bible, et particulièrement l’Ancien Testament, est parsemée de l’évocation des anges. Il y a bien quelqu’un avec nous pour nous aider. Vous connaissez la prière à l’Ange Gardien, et si vous ne la connaissez pas, il est facile de la retrouver.

L’ange n’est que spirituel et nous rappelle l’importance de la dimension contemplative. Il n’y a pas que les moines qui sont contemplatifs : nous sommes tous appelés à l’être, à contempler, à nous émerveiller, à ralentir et à regarder !
C’est ça la vie spirituelle : ralentir et regarder…

Alors, nous allons demander au Seigneur, parce que nous sommes tous consacrés, que ce soit dans la vie religieuse ou par le baptême, et c’est compliqué face à l’hyperactivité et l’immédiateté de ce monde dans lequel nous vivons qui nous atteint, nous contamine…
Rentrons dans ce temps long, dans cette contemplation et cette intériorité.

Que les anges nous aident, et que la Vierge-Marie nous soutienne par Sa prière pour que nous soyons des témoins là où nous sommes, de l’importance de la vie spirituelle,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Amos 6,1a.4-7.
  • Psaume 146(145),6c.7.8.9a.9bc-10
  • Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 6,11-16.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,19-31 :

En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens :
« Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.

Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
Alors il cria : “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
— “Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit :
— “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !”
— “Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit :
— “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »