Homélie du 26e dimanche du Temps Ordinaire

26 septembre 2022

“S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.”

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs, Jésus est-il un rabat-joie qui veut nous culpabiliser d’être riches ou de faire la fête ? Si nous limitons notre compréhension de l’évangile à cela, il y a quelques chances qu’il nous donne mauvaise conscience mais que nous ne changions pas grand-chose dans notre vie.

Ce matin, j’aimerais aller un peu plus loin avec vous pour mieux percevoir ce que Jésus veut nous dire. D’abord, le riche de la parabole est peut-être un honnête homme mais pas un saint. Ensuite, qu’est-ce qui l’a conduit à une telle indifférence ? Et enfin, qu’est-ce qui aurait pu lui ouvrir les yeux et le cœur au pauvre Lazare ?

Le riche de la parabole est peut-être un honnête homme mais pas un saint

Ce que Jésus lui reproche, ce n’est pas tellement d’être riche, vêtu de pourpre et de lin fin, et de faire chaque jour des festins somptueux. C’est son indifférence à l’égard du pauvre Lazare.

Jésus ne nous dit pas qu’il est méchant et a une vie dépravée (cf. 1 Co 6, 9-10). Il était sans doute très agréable de faire partie de ses amis. La suite de l’évangile nous montre qu’il est attentif à ses frères et veut leur éviter la souffrance : « père Abraham, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture ! » Sous cet angle, nous pourrions dire qu’il n’est pas complètement égoïste. Dans le « Je confesse à Dieu », nous ne pouvons pas dire qu’il ait « péché en pensée, en parole, par action ». En revanche les projecteurs sont braqués sur son péché par omission !

A plusieurs reprises dans l’évangile, Jésus attire notre attention sur le fait que notre vie chrétienne ne consiste pas d’abord à éviter le mal mais à faire le bien. Le but de notre vie chrétienne, c’est de déployer notre cœur afin qu’il soit vraiment aimant ; c’est de répandre l’amour. Celui qui verrait la vie chrétienne d’abord comme une somme d’interdits passerait complètement à côté de la pensée de Jésus.
Nous pourrions rapprocher cette parabole de celle du Bon Samaritain chez Saint Luc ou du jugement dernier chez Saint Matthieu :

« Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire … » (Mt 25, 41-42)

Être proche de Dieu, ce n’est pas être impeccable, c’est se faire proche des autres, en particulier des malheureux comme le décrit si bien le psaume du jour :

« Aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin. »

Cet homme fait partie des « satisfaits » dont parle le Psaume 48 que l’on chante aux vêpres du mardi de la deuxième semaine. Ce psaume prend une image très forte : il compare l’homme satisfait au bétail déjà engraissé qui est bon à abattre. Un refrain revient à deux reprises :

« L’homme comblé ne dure pas : il ressemble au bétail qu’on abat. » (v13 et v21)

Les risques que comporte la richesse

La Parole de Dieu nous alerte souvent sur les risques que comporte la richesse. Saint Jacques n’y va pas de main morte :

« Vous les riches ! Pleurez, lamentez-vous sur les malheurs qui vous attendent. Vos richesses sont pourries, vos vêtements sont mangés des mites, votre or et votre argent sont rouillés. » (Jc 5, 1-2)

Les apôtres sont perplexes lorsque Jésus leur déclare :

« Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Lc 18, 25)

Je vois au moins trois risques qui vont avec la richesse :

S’endormir ; tomber dans une sorte de léthargie et dans l’indifférence

Voici ce que le Père Lamy, notre fondateur, nous dit à propos de la pauvreté :

« Sans elle, éprouverions-nous le besoin de crier vers Dieu nos nécessités, les nécessités du prochain, nécessités pour l’âme, nécessités pour tous les besoins de la vie. Hélas, souvent non : nous nous endormirions dans un néfaste sommeil, dans un repos dangereux, mais la pauvreté est là qui veille sur nous pour nous tirer de l’engourdissement mortel dans lequel nous glisserions si facilement. » (ES 92, 4)

Ce sont les ronces de l’évangile du semeur :

« Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie, et ne parviennent pas à maturité. » (Lc 8, 14)

La richesse, c’est un peu comme le gaz, cela nous asphyxie et nous tue sans qu’on le voie venir. Cela nous fait perdre l’éveil du cœur. C’est ce que pensait l’homme riche, dont le domaine avait bien rapporté :

« Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. » (Lc 12, 19)

Il n’éprouve plus le besoin de travailler.

Ne pas avoir besoin des autres

Comme on le dit souvent d’une personne aisée : elle a les moyens. Quand on est pauvre, on est obligé d’être dépendant. La richesse nous rend indépendants : nous n’avons pas besoin des autres.
C’est en ce sens que le riche n’éprouve plus le besoin d’être sauvé.

L’argent doit être au service de la relation :

« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » (Lc 16, 9)

Il est intéressant de voir que la requête de l’homme, lorsqu’il est au séjour des morts n’est pas d’être auprès d’Abraham (de l’ordre de la relation) ; son désir se limite à « rafraîchir sa langue ».

C’est maintenant l’heure de la rencontre. Plus tard, il sera trop tard :

« Un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous. »

Se croire au-dessus des autres

Il est intéressant de voir que le riche opulent a tendance à considérer Lazare comme son larbin. À deux reprises, il demande à Abraham d’envoyer Lazare :

« Envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. » « je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. J’ai cinq frères : qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ! »

Il se met plutôt dans une position dominante à son égard. Lazare doit être à son service.
L’argent nous place dans une situation de supériorité.

Comment ne pas tomber dans ces travers ?

Rechercher une certaine sobriété

Une chose est d’être riche, une autre d’être « vêtu de pourpre et de lin fin » et de faire « chaque jour des festins somptueux ». Notre fondateur nous avertit ainsi :

« Ô sainte pauvreté du Christ, ne me quitte jamais. (…) Éveille ma vigilance pour la prière, pour la pénitence, pour la ferveur dans l’amour de Dieu et pour la pratique intensive, pour la charité envers le prochain. » (ES 92, 5)

Il s’agit de mettre une limite à notre recherche du confort. Le pape François nous met en garde contre la culture du bien-être. Sinon, nous serons trop pris dans l’immédiateté du plaisir.
Comme les riches décrits par le prophète Amos, nous vivrons dans l’insouciance, sans nous préoccuper des autres. Grégoire le Grand nous avertit que l’attachement aux richesses engendre l’insensibilité du cœur.

Rencontrer les personnes que Dieu met sur notre route

Jésus ne nous appelle pas à notre niveau à résoudre le problème de la pauvreté à un niveau planétaire. Ce n’est pas d’abord un problème à résoudre mais des personnes à rencontrer. Il ne s’agit pas seulement de rencontrer nos amis et nos proches mais ceux qui peut-être nous dérangent. Cela nous fait sortir de notre zone de confort.

Accueillir la Parole de Dieu sans éliminer son tranchant

Nous avons tendance à trouver des justifications pour élimer le tranchant de la Parole de Dieu. C’est la réponse d’Abraham à l’homme riche :

« Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! »

Comme aime le dire le Pape François :

« L’évangile doit être pris sans calmants ! » (25 nov 2016)

Dans la lettre qu’il nous a adressée pour nous inviter à la sainteté, il déclare en commentant le jugement dernier dans l’évangile de saint Matthieu :

« Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir de supplier les chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, “sine glossa”, autrement dit, sans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force.
Le Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut pas être comprise ni être vécue en dehors de ces exigences, parce que la miséricorde est ‘le cœur battant de l’Évangile’. » (Gaudete et exsultate n° 97)

En conclusion, je vous propose de laisser résonner en votre cœur les trois indications que je viens de vous donner : rechercher une certaine sobriété, rencontrer les personnes que Dieu met sur notre route, accueillir la Parole de Dieu « sans calmants » !

Que Marie, qui a accueilli le Verbe de Dieu en personne, nous y aide, à la fois pour notre bonheur et pour celui de ceux qui sont sur notre route,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Amos 6,1a.4-7.
  • Psaume 146(145),6c.7.8.9a.9bc-10.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 6,11-16.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,19-31 :

En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens :
« Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux. Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères.
Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra.
Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui. Alors il cria :
— “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
— Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua : “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit : “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !“ – Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit : “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »