Homélie du 26e dimanche du temps ordinaire

1er octobre 2018

« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer. »

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Texte de l’homélie :

Bien souvent, on se plaint qu’il y a des gens qui sont croyants, mais pas pratiquants – ce qui n’est pas votre cas, puisque nous nous retrouvons ensemble autour du Seigneur.
Mais, il me semble que c’est plutôt l’inverse : dans notre société sécularisée où l’on met Dieu de côté, il y a beaucoup de pratiquants, mais peu de croyants…

Beaucoup de personnes qui ont assimilé l’Évangile. Et c’est vrai qu’en cette terre de France et d’Europe, la Parole de Dieu a été - comme des feuilles de thé qui se diffusent dans une tasse - assimilées par des peuples. Et les valeurs évangéliques sont même devenues une base pour les lois, pour le respect de la personne, du plus faible et du plus petit. C’est devenu quelque chose de courant et de naturel, même si on oublié leur raison d’être…

Et il y a beaucoup de gens « pratiquants" qui pratiquent l’Évangile et l’amour du prochain, mais qui ne croient pas en Jésus. Comment faire, quelle attitude avoir avec des personnes qui font le bien, car l’Esprit Saint repose sur qui Il veut - on l’a entendu dans la première lecture.
Rappelons-le : Dieu a choisi Moïse, qui a choisi lui-même 70 personnes pour annoncer et prophétiser, et Dieu choisit deux autres personnes en plus, de façon impromptue, qui prophétisent aussi dans le camp, mais qui ne font pas partie des 70 désignés par Moïse.
Et nous, comme croyants, nous disons que l’Esprit du Seigneur travaille en eux. Et c’est important que nous ayons cette attitude : non pas une attitude d’exclusion, comme nous le voyons avec les apôtres : « il n’est pas des nôtres ; il n’est pas de ceux qui Te suivent et il expulse le démons. Doit-on l’en empêcher ? »
Et Jésus dit très clairement :

« Celui qui n’est pas contre nous est avec nous. »

Cela veut dire qu’il faut que nous ayons un regard différent sur qui - appartenant à une autre tradition religieuse ou n’en ayant pas du tout – font le bien et sont artisans de paix et expriment l’amour là où ils sont, sont pleins d’empathie et de compassion, pardonnent à leurs ennemis… et quand on en est témoin, il est important d’aller dire à la personne : « ce que tu fais, moi, en tant croyant, je le vois comme l’œuvre de Dieu qui s’accomplit par toi. »

Considérons maintenant quelle est la différence entre le fait de faire le bien parce que l’on est croyant, et le fait de faire le bien parce que l’on est humain, et que – comme le disait Charles Péguy – la charité nous est comme naturelle. Si l’on voit quelqu’un qui tombe, une personne âgée ou handicapée, qui ne va pas se précipiter pour l’aider à se relever. Et si l’on voit un accident, on s’arrête ; la non-assistance à personne en danger est même punie par la loi. Humainement, le cœur nous pousse à aller à la rencontre du prochain, particulièrement celui qui est en difficulté.

Et quelle est la différence si je pose ce geste au nom de ma foi en Jésus ou si c’est simplement parce que c’est ma nature humaine ?
Extérieurement, c’est le même geste : donner à manger aux pauvres, vêtir ceux qui sont nus, visiter les prisonniers n’est pas l’apanage des croyants.
La différence n’est donc pas tant dans la réalisation extérieure du geste que dans sa signification ultime. Pour nous, disciples de Jésus, lorsque nous accomplissons des œuvres de miséricorde, nous le faisons en prenant conscience que nous nous adressons à la personne du Christ, et que nos actes retentissent dans l’Éternité. Ce n’est pas pareil.
Nous croyons – et avons cette certitude – en cette parole :

« Ce que vous avez fait au plus petit d’entre mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. »

Cela signifie que nos actes désintéressés retentissent dans l’Au-delà. Ainsi, lorsque l’on pardonne, que l’on se tient au secours de l’affligé, lorsque l’on est dans la compassion et que l’on refuse de céder à la critique et au mal, nous croyons qu’il y a quelque chose de l’amour de Dieu qui se donne. Et dans ce cas-là, c’est plus facile de persévérer car une grande espérance nous habite, une espérance qui a à voir avec la Vie Éternelle. Et lorsqu’on a fait le bien sans la dimension de la Foi, le risque est le découragement. Cela n’arrive pas toujours, mais le fait de n’avoir que cet horizon humain, sans Dieu, fait désirer voir le bonheur sur cette terre, et de voir le fruit de nos actions.
Or, lorsqu’on est au service des plus démunis, lorsque l’on fait le bien auprès des personnes en difficulté, on ne voit pas toujours le fruit de ses actions.

Pendant les années où j’étais en ministère en Argentine, j’étais en aumônier de prison. Et parmi les laïcs qui formaient la pastorale des prisons, j’ai vu des croyants, des baptisés engagés au service qui se lassaient. Il se décourageaient car ils pensaient que les détenus allaient s’améliorer, qu’il y aurait des conversions à foison… En réalité, ils attendaient une trop grande récompense de leurs actes. Or, quand on va à la rencontre des prisonniers, ce sont parfois des personnes aux prises avec une grande violence que l’on côtoie. Je me souviens d’un en particulier qui m’insultait du plus loin qu’il pouvait m’apercevoir, il éructait contre moi… Et quand on oublie cette dimension transcendantale qui nous fait dire : « j’accueille cette violence, non pas comme étant contre moi, mais provenant de la petite enfance, des jours sans amour et des manques de soin, je peux alors porter cette souffrance de cet homme qui crie, je deviens alors le Christ Lui-même. »
Mais, si je n’ai pas cette force, je peux me décourager. Et j’ai vu des croyants qui n’avaient pas conscience que de faire le bien dans la durée sans voir les résultats est une grâce qui dépasse notre simple limite humaine.

Oui, nous nous réjouissons de voir des personnes qui font le bien partout dans le monde et nous les encourageons, mais comme Chrétien, parce que nous participons à la Croix du Christ, parce que nous avons cette vision que Le Crucifié vient rejoindre chacun dans sa détresse et dans son impuissance, Il vient rejoindre celui qui fait le Bien et ne voit pas beaucoup de changement autour de lui.
Et c’est ce que dit Saint Paul :

« Ne vous lassez pas de faire le bien. »

C’est bien le signe que faire le bien peut lasser lorsque l’on entrevoit pas le changement.
Dans sa très belle encyclique sur l’Espérance, le pape Benoît XVI dit :

« Si je ne suis pas porté par la grande espérance dans la Vie Éternelle, je me rends compte qu’enlever le mal, enlever la souffrance et tout ce qui peut être une limite pour l’homme n’est pas possible en ce monde. »

Ce n’est même pas chrétien. Notre but n’est pas d’enlever toute souffrance de ce monde, mais de la rendre habitée. C’est bien différent. Est habité celui ou celle qui va à la rencontre d’une personne en souffrance : habité par une espérance qui va au-delà des transformations. Nous sommes appelés non pas à « être une solution », mais juste à « être un signe ».
Cela nous rappelle les sacrements : signe et sacrement sont synonymes. Quel est le sacrement de l’Eucharistie si ce n’est le signe visible de l’amour du Seigneur qui s’offre sous les espèces du pain et du vin, signe de Sa Croix et de Sa Résurrection.

Comme pour tout sacrement, en acceptant d’être signe, je passe par un certain dépouillement. Et je vais pouvoir persévérer parce que je prends conscience que, même s’il n’y a pas beaucoup de changement – Jésus n’a pas guéri tous les malades, n’a pas ressuscité tous les morts – mais, le fait d’être un signe dans le monde, de témoigner de la bonne nouvelle que l’on peut aimer malgré tout, est énorme.

Mais comprenez que les Chrétiens n’ont pas l’exclusivité : ils ont la responsabilité. C’est bien différent. Ils ont la responsabilité de faire que ce monde soit plus lumineux, plus fraternel, tout en sachant qu’enlever le poids de la faute et du péché de ce monde n’est pas en notre pouvoir.

Au Brésil, où j’ai aussi été pendant un temps, existe une secte qui s’appelle le Règne universel de Dieu qui est très puissante et dont la devise est « Arrêter de souffrir ». Le Maire Rio y appartient. Vous imaginez bien une devise pareil dans ce pays qui se relève petit à petit d’une grande détresse matérielle et humaine (santé, alphabétisme, misère…). Et l’on présente un homme issu des favellas qui, après avoir adhéré à la secte, roule Mercedes. Voilà Dieu à l’action… et nous pensons à juste titre que cette personne n’est pas disciple de Jésus.
Être Chrétien c’est savoir que nous n’avons pas la responsabilité d’enlever tout ce qui est de la faute et du mal. Oui, nous allons à la rencontre des plus démunis, aux marges de l’humanité, depuis le commencement de l’Église, tout en sachant que ce n’est qu’un signe, que l’Église est très pauvre. Et se mettre à l’école des pauvres, c’est prendre conscience de sa propre vulnérabilité, de sa propre fragilité, sinon, nous « faisons » la charité.

Nous croyons que, quand nous sommes près du Seigneur et quand nous contemplons Sa Croix, cela nous donne des forces pour aller à al rencontre des plus démunis, sans nous lasser. Peut-être ne sommes-nous pas appelés à faire de grandes œuvres comme Mère Térésa ? mais faire le bien, ne serait-ce que dans nos familles – avec les tensions familiales, les incompréhensions, les brouilles, les manques d’amour – et dans nos milieux professionnels, ce n’est pas si simple…
Mais je choisis quand même d’aimer et de faire de mon mieux, quelque soit la circonstance, et c’est une grâce. Je ne cèderai pas à cette violence qui m’habite. Nous sommes tous concernés, avec chacun notre océan de violence. Par notre éducation, on apprend à la canaliser. Et, sans céder à cette violence, à la critique, sans me mettre du côté des railleurs, je choisis d’aimer.
Voilà ce qu’est être disciple de Jésus.

Et le Seigneur poursuit : « attention de ne pas céder au scandale, de ne pas décourager les autres, d’être une occasion de chute pour un seul de ces petits qui croit en moi… »
Attention à ne pas se croire meilleurs que ceux qui font le bien parce que nous sommes disciples du Christ. Nous avons plus de responsabilité que tout autre parce que nous Le connaissons davantage. Et plus nous connaissons Dieu, plus nous ressentons une impérieuse nécessité de répondre à Son appel, plus il nous sera demandé.

Ainsi, le fait de rentrer dans cette logique de reconnaître que l’autre fait du bien nécessite une sorte de dés-appropriation de soi-même. C’est dit avec des mots forts, selon la méthode rabbinique :

« Si ton bras t’entraîne au péché, arrache-le !
Mieux vaut entrer manchot dans le royaume de Dieu qu’entier dans la géhenne ! »

Cela veut dire que nous ne sortirons pas indemnes de cette aventure d’un amour jusqu’au bout : nous en sortions blessés. Mais, le disciple n’est pas plus grand que le maître… Et c’est bien avec Ses blessures que le Christ est ressuscité.

Frères et sœurs bien aimés, voyez bien comme il est important de se rappeler ces choses simples que vous connaissez déjà et que nous connaissons tous, mais que nous avons tellement tendance à oublier. Et c’est pour cela que nous venons au pied de l’autel pour supplier la grâce : supplier la grâce d’être signes, supplier la force d’être juste une présence, et même de renoncer à une solution efficace. Jésus le dit bien :

« Les pauvres, vous les aurez toujours … »

Alors, quand on vient à la messe, venons-y comme des pauvres. Supplions la grâce de nous protéger du découragement dans les diverses adversités que nous traversons. Demandons au Seigneur un cœur nouveau. Qu’Il enlève de notre cœur le cœur de pierre et qu’Il nous donne d’être des témoins d’un dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du Livre des Nombres 11,25-29
  • Psaume 19(18),8.10.12-13.14
  • Lecture de la Lettre de Saint Jacques 5,1-6
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 9,38-43.45.47-48 :

« En ce temps-là, Jean, l’un des Douze, disait à Jésus :
— « Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom ; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Jésus répondit :
— « Ne l’en empêchez pas, car celui qui fait un miracle en mon nom ne peut pas, aussitôt après, mal parler de moi ; celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
Et celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense.
Celui qui est un scandale, une occasion de chute, pour un seul de ces petits qui croient en moi, mieux vaudrait pour lui qu’on lui attache au cou une de ces meules que tournent les ânes, et qu’on le jette à la mer.

Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la. Mieux vaut pour toi entrer manchot dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux mains, là où le feu ne s’éteint pas.
Si ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe-le. Mieux vaut pour toi entrer estropié dans la vie éternelle que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux pieds.
Si ton œil est pour toi une occasion de chute, arrache-le. Mieux vaut pour toi entrer borgne dans le royaume de Dieu que de t’en aller dans la géhenne avec tes deux yeux, là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas. »