Homélie du 29e dimanche du temps ordinaire

23 octobre 2018

« Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés, est-il bien d’avoir de l’ambition ? Sans être normand, je dirais : « oui et non »… Pour découvrir quelle est la bonne ambition « est placée sous nos yeux l’icône de Jésus comme le Messie - annoncé par Isaïe (cf. Is 53) - qui n’est pas venu pour être servi mais pour servir » (Benoît XVI, Consistoire du 20 novembre 2010). Nous voici donc réunis pour contempler Jésus.
Et Benoît XVI poursuit :

« Son style de vie devient la base des nouveaux rapports à l’intérieur de la communauté chrétienne et d’une manière nouvelle d’exercer l’autorité. »

Dans l’évangile de Marc que nous lisons, c’est déjà la troisième fois que Jésus annonce qu’il devra souffrir, mourir puis ressusciter. Mais à chaque fois, les disciples (et nous avec !) ont du mal à comprendre ce chemin de l’humble don de soi jusqu’au sacrifice de la vie, le chemin de la Passion, le chemin de la Croix. Ils ont du mal « à opérer l’exode’ nécessaire d’une mentalité du monde vers la mentalité de Dieu. » Ce matin, en contemplant Jésus, je voudrais retenir 3 étapes de cet « exode » d’une mentalité du monde vers la mentalité de Dieu. D’abord l’étape d’une purification de nos ambitions. Puis celle d’une nouvelle manière d’exercer l’autorité. Et enfin l’acceptation du sacrifice et de la Croix.

La purification de nos ambitions

L’enseignement de Jésus dans l’évangile de ce jour part de la demande de Jacques et de Jean : « Accorde-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. » Cela reflète une attitude très humaine : nous aimons avoir la première place. C’est la question des préséances à laquelle nous sommes généralement assez sensibles. Cela peut prendre des formes variées comme cela apparaît dans les litanies de l’humilité du Cardinal Meridelval qui s’adressent à Jésus doux et humble de cœur : désir d’être aimé, honoré, préféré aux autres, consulté, approuvé, … Il faut distinguer l’ambition de la concurrence. Autant il y a une concurrence mauvaise et déloyale ; autant il y a une saine émulation pour faire quelque chose de grand. Comme le dit le pape François, l’ambition en tant que telle n’est pas mauvaise. À un journaliste qui lui posait la question « Être ambitieux, est-ce un défaut ou une vertu ? », le pape a répondu :

« Il ne fait pas de doute que l’absence totale d’ambition est un défaut.
L’important, c’est que l’ambition ne devienne pas une façon de piétiner les autres pour aller de l’avant et poursuivre son ascension. Les arrivistes sont parmi les pires individus qui soient, parce qu’ils tendent à produire très facilement de l’inculture, une culture mauvaise.
Il est bon en revanche d’appuyer une ambition qui n’oublie pas le respect du prochain, et surtout des plus faibles. Je voudrais voir des jeunes ambitieux, courageux, anticonformistes et révolutionnaires avec tendresse. » (livre-entretien « Dieu est jeune », publié le 20 mars 2018 aux Editions Robert Laffont/Presses de la Renaissance).

Et il ajoutait :

« Faire le bien doit devenir une dépendance, une dépendance d’où l’on ne doit jamais sortir. »

Clairement, les apôtres Jacques et Jean avaient de l’ambition. Il est intéressant que Jésus ne leur fait pas de reproche mais discerne ce qu’il y a de bon dans cette demande pour la purifier. Il purifie leur ambition du désir de supériorité et de domination, de la soif de pouvoir, du souhait excessif d’être reconnus. Il purifie cette ambition de ce qu’elle a de charnel. Jésus enlève le poison de cette demande qui consiste à se désolidariser des autres ou à les écraser. Je garde toujours l’image qu’un jeune avait reçue dans la prière : il se voyait monter sur une échelle. Pour avancer plus vite et être sûr d’arriver le premier, il appuyait sur la tête des autres : cela avait un double avantage dans sa perspective : cela le poussait vers le haut et poussait les autres vers le bas !
Jésus veut que cette ambition s’accompagne d’un véritable souci des autres. Il les invite à un vrai amour, donc humble et souffrant, car aimer amène forcément de la souffrance et c’est cela qu’ils n’ont pas compris. Pouvez-vous me suivre autant au jour de la Passion qu’aux jours de la Résurrection ?
Encore une fois, il y a quelque chose de bon dans l’ambition. Il ne faut pas nous réfugier dans une fausse humilité qui nous ferait nous complaire dans le fait d’être nuls. La petite Thérèse l’avait bien compris, elle qui avait la prétention d’être l’amour au cœur de l’Eglise. Cette ambition est purifiée de l’arrogance, de la jalousie, de l’orgueil, de la soif de reconnaissance. Voilà une question que nous pouvons nous poser : notre ambition nous éloigne-t-elle des autres ? Abîme-t-elle notre relation avec les autres par le manque d’écoute, de respect, d’attention ?

Une nouvelle manière d’exercer l’autorité

Si l’ambition de Jacques et Jean a besoin d’être purifiée, on peut dire que tous les apôtres ont besoin d’entendre une parole nouvelle sur l’autorité car les 10 autres apôtres étaient indignés de la demande de Jacques et de Jean. C’est pourquoi Jésus les réunit tous pour leur dire : « Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Autrement dit, tous ont besoin d’entendre quelque chose sur la manière d’exercer l’autorité mais aussi pour mieux accueillir cette autorité. Car Jésus ne supprime pas l’autorité mais la corrige.
Au passage, il n’est pas inutile de donner une petite précision sur le terme de « rançon ». Car le mot « rançon » a complètement changé de sens depuis le temps du Christ. Aujourd’hui, quand nous entendons le mot « rançon », c’est dans le contexte d’une prise d’otage, il s’agit de payer la somme exigée par les ravisseurs pour obtenir la libération du prisonnier. Le mot « rançon » désigne le montant de la somme à verser. À l’époque du Christ, au contraire, le mot « rançon » signifiait la libération, c’est-à-dire la seule chose importante en définitive. Le mot grec qui a été traduit par rançon est dérivé d’un verbe qui signifie « délier, détacher, délivrer ».
Ainsi, l’accent qui est mis dans ce passage d’évangile, c’est le fait que Jésus se met au service de la libération des hommes et qu’il donne sa vie pour cela. Dans le message qu’il a écrit pour la journée mondiale des missions que nous célébrons aujourd’hui, le pape François insiste sur le don de nous-mêmes, jusqu’au martyre s’il le faut, par amour de l’Evangile, au service de nos frères :

« De la croix de Jésus, découvrons la logique divine de l’offrande de nous-mêmes (cf. 1 Co 1, 17-25) comme annonce de l’Evangile pour la vie du monde (cf. Jn 3, 16). »
« La mission jusqu’aux extrêmes confins de la terre exige le don de soi-même dans la vocation qui nous a été confiée par Celui qui nous a placés sur cette terre (cf. Lc 9, 23-25). J’oserais dire que, pour un jeune qui veut suivre le Christ, l’essentiel est la recherche et l’adhésion à sa propre vocation. »
(Pape François, Message pour la journée missionnaire mondiale 2018).

Le pape s’adresse plus particulièrement aux jeunes en leur disant :

« Ne pense jamais que tu n’as rien à apporter, ou que tu ne manques à personne. Beaucoup de gens ont besoin de toi ; sache-le. Que chacun de vous le sache dans son cœur : beaucoup de gens ont besoin de moi. »
(Rencontre avec les jeunes du Chili, Sanctuaire de Maipu, 17 janvier 2018).

La nouvelle manière d’exercer l’autorité qu’enseigne Jésus est une autorité qui se met au service des autres pour les faire grandir, pour les rendre heureux, pour les libérer de ce qui rend esclave. Cette autorité se situe dans la logique du lavement des pieds. Ce que propose l’évangile, ce n’est pas un pouvoir sur les autres mais un pouvoir pour les autres. Ce décentrement est très présent dans la prière que l’on attribue à saint François d’Assise :

Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine, que je mette l’amour. Là où est l’offense, que je mette le pardon. Là où est la discorde, que je mette l’union. Là où est l’erreur, que je mette la vérité. Là où est le doute, que je mette la foi. Là où est le désespoir, que je mette l’espérance. Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière. Là où est la tristesse, que je mette la joie. Ô Seigneur, que je ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer. Car c’est en se donnant que l’on reçoit, c’est en s’oubliant qu’on se retrouve soi-même, c’est en pardonnant que l’on obtient le pardon, c’est en mourant que l’on ressuscite à la Vie.

L’acceptation du sacrifice et de la Croix

Cette manière de servir à la suite du Christ a un coût : l’acceptation du sacrifice et de la Croix. On retrouve ici l’évangile du grain de blé. Comme le dit le chant :

« Grain de blé qui tombe en terre, si tu ne meurs pas, tu resteras solitaire, ne germeras pas. »

Ce chant reprend le verset bien connu de l’évangile de saint Jean :

« Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. » (Jn 12, 24-25)

Jésus est revenu souvent sur cela avec ses disciples :

« Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. » (Mc 8, 34-35 ; Mt 10, 39 et 16, 25 ; Lc 9, 24 et 17, 33)

Cette logique évangélique rencontre beaucoup de résistance en nous. Nous voulons bien servir, mais seulement jusqu’à un certain point. C’est un peu comme ce que nous partageons sur internet : nous envoyons généreusement un fichier à des personnes mais cela ne nous prive pas car ce fichier, nous le gardons. Cela n’est pas la même chose que de donner un livre dont nous nous dépossédons. Nous voudrions donner sans avoir à nous déposséder. Nous sommes prompts à nous désolidariser des autres à partir du moment où cela nous cause un préjudice. Nous nous réfugions facilement derrière la formule célèbre : « les casseurs seront les payeurs ».
Heureusement pour nous que Jésus ne l’a pas appliquée à la lettre car sinon nous serions encore dans nos péchés.

« Lui-même a porté nos péchés, dans son corps, sur le bois, afin que, morts à nos péchés, nous vivions pour la justice. Par ses blessures, nous sommes guéris. » (1 P 2, 24)

Comme le dit aussi saint Paul :

« Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5, 7-8)

Benoît XVI note quelque chose de très intéressant en commentant ce passage d’évangile : pour leur expliquer cette nouvelle manière d’exercer l’autorité, il commence par les appeler à lui, « presque pour les serrer contre lui, pour former comme un corps unique et indivisible avec Lui » (cf. Consistoire du 18 février 2012). De fait, si saint Paul a pu exercer son autorité à la manière du Christ, c’est en ayant vraiment le regard tourné vers le Christ. C’est l’exhortation qu’il adresse à Timothée un peu comme un testament :

« Souviens-toi de Jésus Christ, ressuscité d’entre les morts, le descendant de David : voilà mon évangile.
C’est pour lui que j’endure la souffrance, jusqu’à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais on n’enchaîne pas la parole de Dieu !
C’est pourquoi je supporte tout pour ceux que Dieu a choisis, afin qu’ils obtiennent, eux aussi, le salut qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle.
Voici une parole digne de foi : Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous supportons l’épreuve, avec lui nous régnerons. Si nous le rejetons, lui aussi nous rejettera. Si nous manquons de foi, lui reste fidèle à sa parole, car il ne peut se rejeter lui-même. » (2 Tm 2, 8-13)

En conclusion, tournons-nous vers Marie, la Servante du Seigneur, afin qu’elle nous aide à faire de notre vie un service de Dieu et de nos frères. Marie nous montre que c’est la source d’une joie profonde comme elle l’exprime dans son magnificat : « mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur ». Le chemin que nous propose Jésus n’est pas un chemin mortifère. Bien sûr la souffrance fait partie de ce chemin mais c’est pour ressusciter avec lui.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Lecture du Livre d’Isaïe 53,10-11
  • Psaume 33(32),4-5.18-19.20.22
  • Lecture de la Lettre de Saint Paul apôtre aux Hébreux 4,14-16
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 10,35-45 :

Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent :
— « Maître, ce que nous allons te demander, nous voudrions que tu le fasses pour nous. »
Il leur dit :
— « Que voulez-vous que je fasse pour vous ? »
Ils lui répondirent :
— « Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire. »
Jésus leur dit :
— « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, être baptisé du baptême dans lequel je vais être plongé ? »
Ils lui dirent :
— « Nous le pouvons. »
Jésus leur dit :
— « La coupe que je vais boire, vous la boirez ; et vous serez baptisés du baptême dans lequel je vais être plongé.
Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; il y a ceux pour qui cela est préparé. »

Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
Jésus les appela et leur dit :
— « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.
Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.
Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous : car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »