Homélie du 5e dimanche du Temps Ordinaire

8 février 2021

Jésus leur dit : « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »

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Texte de l’homélie :

« C’est pour cela que je suis sorti… »

Il est dit ensuite : « afin que je proclame l’Évangile ». Jésus ne parle pas de « lire un livre », ni de « raconter une histoire »… Mais, de quoi s’agit-il ?

Il est important de comprendre ces mots de Jésus, car cette expression est très forte. Elle revient dans les mots du credo : « Qui ex Patre procedit ». C’est pour nous apporter la Bonne Nouvelle.

Le petit verset de l’Alléluia qui est chanté au début de l’Évangile ne sert pas que d’ornement : il sert d’intelligence des textes.

« Le Christ a pris nos souffrances, et Il a porté nos maladies. »

C’est cette image de Jésus, ce sommet de Sa vie déjà au début quand Il guérit, on le voit bien : ce n’est pas juste un acte magique, mais Il prend sur Lui comme un papier buvard qui prend l’encre pour enlever la tache. Et cela Le mènera jusqu’au sacrifice de la Croix dans la liberté, dans l’offrande et dans l’amour, d’une manière tellement libre que ce sera Son triomphe sera Sa résurrection.

Il se pourrait que l’on ne comprenne pas bien que la première lecture est en résonance avec l’Évangile. C’est le livre de Job qui nous est proposé en ce dimanche. C’est un livre qu’on ne lit pas très souvent parce que si on lit un passage fractionné on ne le comprendra pas, et si on lit le tout, c’est très long et très compliqué. C’est le texte Hébreux le plus difficile de la Bible car il est très littéraire, pratiquement tout en vers avec beaucoup d’idées qui passent, et la déprime de Job est incroyable ! Et pourtant, je pense que ce livre est la porte d’entrée de l’Évangile : si je n’ai pas assimilé ce livre et ce qu’il s’y passe, on risque de lire les évangiles comme de belles histoires toutes plus merveilleuses les unes que les autres, mais il ne pénétrera pas au fond.

Qu’en est-il dans le livre de Job ?

Ce livre est fait de deux parties : une introduction et une conclusion qui sont en prose dans lesquelles on raconte une petite histoire pour donner le champ dans lequel cela va se dérouler.
C’est un homme – pas un Juif car son nom n’est pas juif et il ne vit pas sur un territoire juif pour toute l’humanité, à l’image d’un héros antique. Il représente toute notre humanité, et il va très bien. Et le démon – que l’on voit à la cour de Dieu – conteste sa Foi disant que c’est facile pour lui de croire parce qu’il est riche et qu’il a la santé, qu’il n’y a pas de difficulté pour lui de louer le Seigneur et d’en être proche. Et il demande à pouvoir l’approcher de plus près. Et Dieu répond qu’Il est sûr de Job.

Ainsi, tous ses biens, ses granges, ses chameaux, ses maisons sont rasés et pillés. Ses nombreux enfants festoient tous ensemble dans une de ses maisons qui s’écroule et ils meurent tous.
Dans un deuxième épisode, c’est sa santé qui est touchée, puis il finit pas vivre en dehors de sa maison sur un tas de fumier. Comme nous le présentent les tableaux, avec un tesson de bouteille pour gratter ses croûtes, il n’a plus que son malheur pour prier.

Et à la fin des quatre-deux chapitres, il y a quelques versets pour nous rappeler qu’après toutes ces épreuves, il sera rétabli dans sa richesse, et il aura de nouveau de nombreux enfants. Mais ce sont quelques lignes pour appâter le lecteur, car tout le reste est en prose.
C’est un dialogue fondamental sur ce cri pour la justice envers Dieu devant le mal, devant la souffrance et la mort, devant cette incompréhension : « Mais si le Bon Dieu était bon, comment pourrait-il tolérer qu’il y ait de la souffrance ? »
C’est tellement vrai que la récollection annuelle des aumôneries d’hôpitaux devait avoir cette question pour thème. Ce sera pour l’année prochaine !

Cette question nous travaille. Dans ce texte, Job crie sa souffrance et ce dimanche, nous entendons ce passage :

« La vie est une corvée !… »

C’est impossible à vivre, il n’y a plus de bonheur, pas d’espoir, il n’y a rien. Il appelle Dieu.
Trois amis viennent le visiter et vont essayer de la consoler. Et pour ce faire, ils vont tenter d’expliquer pourquoi tout cela arrive, comment cela se fait. Ils le font de manière humaine et relationnelle, morale aussi, métaphysique et théologique, de toutes les manières pour essayer de dire « Pourquoi ? ». Mais, rien. Aucun argument ne rejoint Job. Vous le comprenez, il est dans la désolation, il est comme hors du sol, et ce n’est pas en invoquant des arguments intellectuels qu’on va lui permettre de retrouver le sol, la consolation, d’être avec lui, de parvenir à le rejoindre et lui permettre de reprendre espoir.

Quelles sont nos réactions face à la souffrance ?

« Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour que cela m’arrive ? »

Lorsqu’il nous arrive quelque chose, nous pouvons en venir à nous demander « ce que nous avons fait au bon Dieu »… Et dès qu’un mal se produit, on cherche une culpabilité qu’on reporte sur les autres, qu’on reporte sur soi, sur le monde et sur Dieu. Et Job répond que cela ne le rejoint pas, que ce n’est pas possible de raisonner ainsi.

« Qui aime bien châtie bien ! »

Ou dans une fausse acceptation, on valorise la souffrance comme étant un école de vertu : « Heureux l’homme que Dieu réprimande », « Tu vas en sortir grandi… » etc…
Rien à faire, cela ne rejoint pas.

Et la suite est très longue, je vous passe les détails. Mais ensuite, quand Job aura refusé toutes ces explications trop faciles, ils ne font pas le contact avec lui, et il s’enfonce encore plus dans sa solitude.

Ensuite, c’est Dieu qui lui parle, après tout ce chemin qu’il a fait d’aller chercher. Car, et c’est là la beauté de la personnalité de Job, pendant tout ce temps là, il continue à parler à Dieu, à chercher cette justice qu’il ne connaît pas. Il est lui aussi dans la même attitude que ceux qu’il récuse, mais il sent et il cherche. Alors, il est prêt pour entendre celui qui lui parle.

Contempler la Création et Dieu qui vient y demeurer est le remède

Et que va faire Dieu ? Il va l’inviter à contempler la Création, à lui apprendre à reconnaître qu’il ne comprend pas, que « pourquoi » n’est pas la bonne question.
Et en décrivant chaque tableau de la Création, Dieu va lui montrer qu’elle est belle, qu’elle est parfaite, mais que dans tous les points qu’il prend, il y a une faiblesse, une faille qui n’est pas bonne, mais qui n’empêche pas la grâce de Dieu de se donner.

Ainsi, les amis, nous-mêmes, lui-même, cherchaient des explications, mais d’explications il n’y en a pas. Comme le dit Jésus avec l’aveugle né quand on lui demande :

« Est-ce lui ou bien ses parents qui ont péché ? » « Ni l’un ni l’autre. Mais c’est pour la gloire de Dieu. »

C’est la réponse de Jésus : la gloire de Dieu avec la venue du Christ. La réalité de notre monde si difficile qu’elle soit n’empêchera pas à Dieu de Se révéler, au contraire ! Il a entendu le cri de Son peuple et c’est pour ça qu’Il est venu.

« Voici, je viens. »

Dieu n’explique pas ce chemin, mais il accueille le monde tel qu’il est. Il entre dans la réalité tout comme Dieu nous invite à y rentrer.

Saint Joseph comme guide dans la nuit

Une lettre du Saint Père est parue le 8 décembre 2020 pour confier l’Église d’une manière toute particulière à Saint Joseph. Ainsi l’année du 8 décembre 2020 au 8 décembre 2021 lui est consacrée, et je vous recommande cette petite lettre apostolique qui se lit rapidement. C’est un traité de vie humaine et de vie spirituelle. Et dans sept tableaux, le Pape François présente Saint Joseph pour nous aider à traverser les temps difficiles que nous traversons.
Pour en citer quelque lignes :

« La vie spirituelle que Joseph nous montre n’est pas un chemin qui explique – il ne comprend pas les choses et ne voit pas ce qui va arriver – mais c’est un chemin qui accueille. »

Les événement difficiles qui surviennent dans notre vie, nous ne les comprenons pas, nous n’en voyons pas la signification, et notre première réaction est bien souvent celle de la déception ou de la révolte, nous dit le Saint Père. Et Joseph, lui, laisse de côté les raisonnements pour faire place, pour faire face à ce qui arrive.
Et aussi mystérieux que cela puisse paraître à ses yeux, il accueille, il assume la responsabilité et se réconcilie avec sa propre histoire. Voilà le chemin de Joseph : faire face avec cette grâce de l’Évangile : « Le temps de la consolation est venu. » Dieu est proche, Dieu est père, Il nous aime.

Et voilà ce que fait Jésus : face au mal, face à la maladie, face aux aliénations et aux démons, Il vient et Il rentre en contact avec tout. Il va nous aide avec Sa grâce que nous recevons, cette grâce que nous ne pouvons pas imaginer d’avance, mais qui est donnée au jour le jour : Il nous donne la force d’avancer.

Évidemment, comme Job, peut-être passerons-nous du temps à crier. Peut-être que des personnes qui n’aiment pas les histoires se plaindront de nos cris et de nos pleurs, mais ce n’est pas ça qui importe. Ce qui est important, c’est que je reste une âme qui cherche la vie. Et il y a assez de la vie de Job pour montrer ce chemin, avec le chemin que nous font faire les psaumes, ceux qui parlent du juste souffrant le mal, la persécution et la maladie, les épreuves de toute sorte qui appellent à la justice de Dieu. Non pas cette justice dans le sens d’un sauveur qui va arriver et tout faire, mais comme Jésus qui rencontre les malades, les démoniaques, Jésus qui approche la belle-mère de Simon, qui l’approche et qui touche, qui réveille et qui ressuscite la force de la vie dans les cœurs.

Pour cela, le Seigneur a besoin de deux choses : Il a besoin de nous, et vous entendez bien la deuxième lecture :

« Pour moi, proclamer l’Évangile est une nécessité ! »

Même à travers l’épreuve, cheminons avec Dieu

Le Seigneur a besoin de nous, de l’Église ! S’Il nous appelle, si nous sommes baptisés, ce n’est pas pour notre confort spirituel : c’est pour que ce merveilleux message de la présence de Dieu qui vient nous rejoindre et nous relever dans nos misères puisse se répandre, sinon ça n’aurait pas de sens. Et Jésus le rappelle souvent : ça ne sert à rien qu’il y ait un Évangile pour que je sois bien et que les autres soient mal…

Dans l’Évangile, on voit aussi que Dieu a besoin de la prière. C’est étonnant : Jésus prie. Pour pouvoir rejoindre chacun, Il a besoin de rejoindre Dieu Son Père, Il a besoin de ce contact. Et l’on nous dit qu’Il S’en va dans un endroit désert. Et l’on a entendu dans le chapitre 1er, il y a quelques versets, ce qu’il s’est passé dans le désert : Jésus a affronté le mal, Il a affronté le démon. Il a appris à Se positionner et à affronter toute cette misère des gommes qu’Il vient prendre sur Lui.
Et là on Le retrouve avec la prière : à la fois le combat que l’on peut mener et à la fois cette intimité avec le Seigneur, à découvrir, à pouvoir recevoir et se laisser conforter, être soi par le Seigneur.

Et cette prière de Jésus, si elle est contemplative, va nous apprendre une chose : il n’y a pas deux groupes, ceux qui sont faits pour la prière, et ceux qui sont faits pour l’action. Jésus nous le montre : si tu ne pries pas, ta générosité finira par s’éteindre, ou elle n’ira pas dans cette profondeur qui communique la puissance et qui réveille la vie, force de guérison et de résurrection pour chacun que le Seigneur nous donne en partage.

Cette prière de Jésus est en même temps toute simple : regardez l’Évangile ! Jésus met en œuvre ce qu’Il nous dit : « Évitez ce bavardage ! Dieu sait déjà ce dont vous avez besoin… »
Il a toujours des prières très courtes, celles que l’on entend dans l’Évangile :

« Je te loue Père, de ce que tu as révélé cela aux petits, et que tu l’as caché aux savants. »

Voilà pour ceux qui veulent faire les savants et donner des explications…

Ou encore :

« Père, glorifie ton nom ! »
« Père, sauve-moi de cette heure ! »
« Que ta volonté soit faite et non la mienne… »
« Père, pardonne-leur ! »
« Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
« Entre tes mains, Père, je remets mon esprit… »

Voyez, ces prières sont toujours très courtes, mais elles rejoignent le cœur, et on les retrouve pratiquement toutes dans le Notre-Père.

Nous voici invités à la suite de Jésus pour vivre dans notre monde, non pas dans la révolte, non pas dans cette étrangeté et cet inconfort du monde, mais pour y être et y rentrer, en étant du monde sans être du monde, en étant vraiment à l’intérieur et en devant faire nous-même ce travail d’accueillir la grâce, d’approcher, d’être envoyé, envoyés vers ceux qui sont dans la difficulté et dans la souffrance, pour ne pas – comme le dit Saint Jean – se dérober à notre propre chair.
Et comme le dira le Saint Père pour parler aussi ce cela : c’est ainsi que nous sommes envoyés aux périphéries.

Il faut alors sortir de notre confort, avec toutes expériences : quand on va voir quelqu’un qui est en deuil ou quelqu’un qui est proche de mourir ou en grande difficulté, on hésite souvent, on n’ose pas se disant qu’il faudrait trouver quelque chose d’intelligent à dire… non : sois simplement humain, donne ta présence, et sache que ce n’est pas ton « faire » qui est attendu. Comme dit le philosophe Martin Stephens : « Il faut sortir de l’en-faire ! », comme « en-faire », « en-faire trop… ». Il faut donner cette présence, donner cet accueil. Ce ne sont ni les jugements ni les justifications qu’il faut donner car Dieu n’a pas besoin qu’on le justifie.

Comme disait Claudel, et le Saint père reprend ses mots : Dieu n’est pas venu expliquer la souffrance, Il est venu l’habiter, et l’on peut rajouter, Il est venu la transfigurer de l’intérieur, lui donner du sens. Faisons confiance que celui qui est dans la difficulté se sentira rejoint non pas par mon action mais parce que je suis témoin du Seigneur, permettant à l’autre de « retrouver un peu d’être » par mon écoute, un peu de cette vie qui est à l’intérieur de son cœur.

Alors, demandons la grâce de rentrer dans cette merveille de l’Évangile, de ne pas en faire des raisons et des comportements qu’il faudrait adopter, mais d’être de cette chair qui est vivifiée par l’Esprit-Saint,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Job 7,1-4.6-7.
  • Psaume 147(146),1.3.4-5.6-7.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 9,16-19.22-23.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,29-39 :

En ce temps-là, aussitôt sortis de la synagogue de Capharnaüm, Jésus et ses disciples allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André. Or, la belle-mère de Simon était au lit, elle avait de la fièvre. Aussitôt, on parla à Jésus de la malade.
Jésus s’approcha, la saisit par la main et la fit lever. La fièvre la quitta, et elle les servait.

Le soir venu, après le coucher du soleil, on lui amenait tous ceux qui étaient atteints d’un mal ou possédés par des démons. La ville entière se pressait à la porte.
Il guérit beaucoup de gens atteints de toutes sortes de maladies, et il expulsa beaucoup de démons ; il empêchait les démons de parler, parce qu’ils savaient, eux, qui il était.

Le lendemain, Jésus se leva, bien avant l’aube. Il sortit et se rendit dans un endroit désert, et là il priait. Simon et ceux qui étaient avec lui partirent à sa recherche. Ils le trouvent et lui disent :
— « Tout le monde te cherche. »
Jésus leur dit :
— « Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l’Évangile ; car c’est pour cela que je suis sorti. »

Et il parcourut toute la Galilée, proclamant l’Évangile dans leurs synagogues, et expulsant les démons.