Homélie du 6e dimanche de Pâques

27 mai 2019

« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

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Texte de l’homélie :

Nous ne sommes pas la religion du livre.

C’est pourtant ce que l’on peut entendre de façon erronée dans la bouche de certaines personnes : « les trois religions monothéistes sont des religions du livre. »
Or, nous, Chrétiens - disciples de Jésus - nous ne sommes pas de la religion du livre : ce n’est pas sur un livre que s’appuie notre Foi.
Et les Saints Évangiles, me direz-vous ? Certes, mais ce sont des témoignages. Nous sommes la religion de la personne, et c’est tout à fait différent de toutes les autres religions qui existent de par le monde. Par exemple, aucune religion ne dirait ce que l’on entend dans l’Évangile :

« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera.
Nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. »

« Aujourd’hui, je veux demeurer chez toi »

Quelle qu’elle soit, que soit une spiritualité, une philosophie, aucune religion ne prétend que la personne humaine peut être une demeure divine, car aucune autre religion n’est celle de l’incarnation à la manière du christianisme. Ce sont des choses qui peuvent nous paraître évidentes, mais il est important de le rappeler : c’est sur la personne de Jésus que s’appuie notre foi. C’est également sur les témoignages venant de personnes qui ont vécu avec Lui, et de personne en personne, nous croyons jusqu’à aujourd’hui.
Cette manière de voir les choses rend la vie chrétienne extraordinaire, fulgurante ! Quelle folie : « Si quelqu’un m’aime, mon Père et moi nous ferons une demeure chez lui. » Comment Jésus peut-il oser une telle parole connaissant notre fragilité ? C’est un passage de l’évangile de Saint Jean, au cours de la Sainte Cène, au moment de la Passion, synonyme de trahison : déjà, Judas est sorti, et Il le sait…

Ce n’est pas seulement le tabernacle qui renferme les saintes espèces dans l’église. Par le baptême, nous sommes le tabernacle de Dieu car nous sommes habités. La personne qui est disciple de Jésus est une personne habitée. Nous sommes la religion de la personne.

Et de ce point de vue là, la place du Saint Esprit est tout à fait particulière, car comment peut-Il dire cette parole « chez lui, nous ferons notre demeure » si ce n’est pas la puissance du Saint Esprit ?
Et celle qui nous a montré ce chemin c’est la Vierge Marie. C’est bien par l’action de l’Esprit qu’Elle est devenue la mère du Très Haut :

« L’Esprit-Saint te prendra sous Son ombre… »

La Vierge Marie est Celle qui nous donne cette vision de ce que nous sommes appelés à être nous aussi : tabernacles, présence de Dieu, habités par le Saint Esprit.
Cela veut dire que la vie chrétienne est une plongée à l’intérieur. Ce n’est pas tant faire des choses, ce que pensent parfois les nouveaux convertis, qui découvrent Jésus et qui se demandent « que faut-il faire ? ». On peut leur répondre de se préparer au baptême. « Mais ensuite que dois-je faire ? » « Hé bien, vis de ton baptême !Vis de cette présence du Seigneur ». C’est ce que l’on appelle l’inhabitation de la Trinité en nous, ce mot est un peu compliqué…
« Vis de l’intérieur ! sois grand à l’intérieur ! « Voilà ce qu’est la vie chrétienne.

C’est parfois un peu déconcertant car on aimerait des choses plus concrètes. Il y a d’autres religions marquées par des pratiques, des interdits alimentaires, des choses à faire etc…
Pour nous, il y a la messe le dimanche et cela reste très modeste comme pratique. Entre temps, nous sommes comme tout le monde. Le Chrétien est appelé à être grand à l’intérieur parce que le Saint Esprit habite en lui. C’est un fait qu’aucune autre religion ne croit.
Il est important de connaître cette différence. Toutes les religions ne se valent pas. Même si nous les respectons toutes, toutes les philosophies ne se valent pas.
Si vous dites à un Juif qu’il est le tabernacle de Dieu, il fera des bonds en pensant tout de suite à l’idolâtrie, au blasphème. Il sont dans la transcendance, et Dieu est le Tout Puissant, le tout autre. Nous le disons aussi, mais sans omettre le mystère de l’incarnation qui a permis à Dieu de rejoindre chacun à l’intime par le sacrement du baptême. Et pourtant, la présence de Dieu ne se limite pas au baptême. Nous savons que si des personnes non baptisées se convertissent, c’est parce que le Saint Esprit a touché leur cœur, et elles se sentent appelées à cheminer, à se rapprocher de Jésus et à demander le baptême.
Nous reconnaissons aussi que toute personne qui agit bien est le témoin du Saint Esprit, qu’elle soit baptisée ou pas.

Quelle force ! cela donne à la personne humaine une dignité sans égale. Ne serait-ce que de dire que nous sommes tabernacles, présence de Dieu, demeure du Très Haut, non pas par nos mérites, mais par la grâce de Dieu, par l’action de Son Esprit, c’est vertigineux !

Oui, nous sommes dans la religion de la disproportion : il n’y a pas de commune mesure entre ce que nous sommes : nos faiblesses, notre fragilité, notre épaisseur humaine, notre caractère plus ou moins bon… et ce que nous sommes appelés à être.

Voilà un bon leitmotiv ! Découvre Celui qui t’habite à l’intérieur, selon les termes du grand Saint Augustin.

« A qui irions-nous, Seigneur… »

C’est comme cela que le Seigneur nous invite à faire une plongée en nous-même, par le Saint-Esprit, et en faisant mémoire : Il est celui qui garde, car « Il nous enseignera tout ». Il parle à notre esprit. Et on le voit bien dans la première lecture : au début, les Chrétiens se demandaient ce qu’il fallait garder de la loi juive. Ils étaient tous juifs au départ, et il se demandaient ce qu’il fallait faire de telle ou telle pratique, et les disciples répondent :

« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas faire peser sur vous les obligations de l’ancienne alliance. »

C’est osé de dire cela, c’est bien orgueilleux : « l’Esprit-Saint et nous-mêmes… »
Cette interprétation de la Loi n’est plus une parole gravée sur la pierre mais c’est bien dans un cœur de chair qu’il faut chercher la loi du Seigneur, au plus profond.

Au fond, vivre du Saint Esprit c’est se rappeler l’urgence de la vie contemplative, d’une intériorité. Alors qu’au contraire, nous sommes tendus par des forces centrifuges qui nous amènent à aller à l’extérieur de nous-même, le Seigneur nous dit : « Gardez mes paroles, demeurez… »

« Recevez l’Esprit-Saint

Il nous faut apprendre à demeurer en Lui dans la prière, dans l’action de grâce, dans le quotidien, de vivre ce « jour après jour » chrétien, ce carpe diem chrétien pour cueillir le jour : c’est le Saint Esprit qui nous permet de découvrir Sa présence aujourd’hui, de la découvrir en l’autre qui est aussi une demeure. Nous sommes présence parce que nous sommes demeure.

A travers l’Évangile, le Seigneur nous dit qu’il y a comme une condition :

« Gardez mes paroles… »

C’est à comprendre au sens fort du terme : « faites que cette parole habite en vous et vous transforme. »

Au commencement, il y a une parole :

« Et Dieu dit.. »

Toute grande histoire commence par une parole.

« Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole. »

Garder la parole de Dieu… il y a quelque chose à conserver : c’est de l’ordre du trésor. C’est comme préserver cette habitation, cette présence, car elle peut être mise en danger. Car cette présence de Dieu, cette ressemblance avec Lui, c’est par les actes que nous accomplissons qu’elle grandit, qu’elle prend de la place et qu’elle nous transforme peu à peu. A l’inverse, celui qui n’aime pas le Seigneur et ne garde pas sa parole n’a pas le Seigneur qui habite en lui. Il y a bien quelque chose à protéger en nous, un combat spirituel à mener.
Peu en prennent conscience, peu ont senti que l’on peut vivre comme à l’extérieur de soi-même. On peut se laisser attirer pas d’autres paroles que celles qui construisent, on peut se laisser attirer par l’esprit du monde, cette modernité qui va à l’inverse de la vie intérieure (c’est d’autant plus vrai avec les moyens de communication modernes qui nous font disparaître l’ennui de notre vie, mais aussi la dimension contemplative…)

Il est vrai que cela demande un vrai choix, une vraie décision dans notre vie. La profondeur est le fruit d’une décision :
« Est-ce que je vais vivre de cette parole qui m’habite, de cette présence qui m’habite ?
Vais-je expérimenter cela dans la prière ? »

Car c’est de l’ordre de l’expérimentation spirituelle : il y a quelque chose d’indicible. Si c’était des choses à faire, ce serait facile. Il faut oser cette plongée en nous-même pour découvrir quelqu’un, non pas à la manière d’une philosophie asiatique - si respectable qu’elle soit, c’est un peu le cas du bouddhisme – mais ce n’est pas du tout pareil : il n’y a pas cette dimension de présence d’un autre qui t’habite, qui est en toi et plus grand que toi.
Car le Chrétien porte en lui-même plus grand que lui-même : voici la définition du de la Foi chrétienne.

Quelle grâce ! Quelle miséricorde la Seigneur nous fait quand Il nous donne Son Saint-Esprit… Faisons mémoire de notre baptême, de ces grâces reçues.
Vous le savez, on dit que le baptême imprime un caractère. C’est un sacrement que l’on nomme aussi caractère, qui opère comme un sceau imprimé sur le cœur, et c’est pour cela que l’on ne peut pas être débaptisé. Certes on peut abjurer sa foi, apostasier, mais on ne peut pas être débaptisé au regard de l’Église. De même on ne peut pas être « dé-confirmé », on ne peut pas ne plus être prêtre, il y a un sceau qui a été appliqué (on peut être réduit à l’état laïc et ne plus exercer son ministère). Il y a quelque chose auquel on ne touche pas : c’est ce que l’on appelle l’image de Dieu en nous, la présence par le baptême par le Christ de la Sainte Trinité.
Il y a une place dans laquelle le mal n’a pas accès : c’est extraordinaire ! Quelle espérance : il y a quelque chose en nous qui demeurera intact, quoi qu’il arrive.

Alors, au cours de cette eucharistie et à l’approche de l’Ascension et de la Pentecôte, nous allons demander au Seigneur, de plus prendre conscience de ce que nous savons déjà par cœur. Je n’ai pas la prétention de vous apprendre de grandes choses, ou même quelque chose de nouveau, mais je vous invite à faire un prise de conscience, de vous arrêter un moment, et, dans ce temps de silence que nous allons prendre maintenant, de faire cette plongée à l’intérieur de nous-même pour y découvrir Celui qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 15,1-2.22-29.
  • Psaume 67(66),2-3.5.7-8.
  • Livre de l’Apocalypse 21,10-14.22-23.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 14,23-29 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure.
Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Or, la parole que vous entendez n’est pas de moi : elle est du Père, qui m’a envoyé.

Je vous parle ainsi, tant que je demeure avec vous ; mais le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout, et il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit.

Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne. Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé.
Vous avez entendu ce que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens vers vous. Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie puisque je pars vers le Père, car le Père est plus grand que moi.

Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. »