Homélie du 8e dimanche du Temps Ordinaire

1er mars 2022

« Donnez, et l’on vous donnera : c’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante, qui sera versée dans le pan de votre vêtement ; car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

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Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés,

Nous sommes dans le chapitre sixième de Saint Luc comme dimanche dernier. Il s’agit du début du ministère apostolique du Seigneur. Rappelons-nous ce qui a précédé dans les saisons antérieures : il y a d’abord eu l’appel des disciples, puis les béatitudes, des miracles et le pardon des péchés avec la guérison du paralytique…

« Qu’est-ce qui est plus facile ? de dire un paralytique « Lève-toi et marche » ou de pardonner les péchés ? »

Il y a eu la question du sabbat :

« Le sabbat est fait pour l’homme et non pas l’homme pour le sabbat. »

Et ensuite, dimanche dernier vous vous en souvenez, il y a eu la question du pardon des ennemis.
Nous sommes donc en fait dans cette phase de formation initiale des disciples, de Jésus qui forme Ses disciples.

Et nous avons eux ces paraboles qui nous sont données à travers ces enseignements du maître, à travers cette question de la poutre et de la paille.

Les cinq sens pour nous guider spirituellement

Lorsque j’ai été formé au séminaire et dans d’autres formations, j’ai été assez marqué par le rôle que jouent les cinq sens dans la construction de la personne humaine.
Par exemple le sens du toucher, c’est la sécurité dans l’amour.
Le sens de l’ouïe, c’est le fait d’être disciple.
Mais la vue un rôle très particulier car c’est le sens de l’identité. L’enfant, à travers son développement, va à un moment donné parvenir à dire « c’est moi » quand il se regarde dans un miroir. Il est ainsi arrivé à un certain état de conscience que votre chien n’atteindra jamais. Si vous le mettez devant un miroir, il se reconnaîtra lui-même ou fera la comparaison avec un autre chien, ou encore plus simplement, se découvrira chien. Mais la personne humaine découvre son identité à travers son regard.
Ainsi, le plus spirituel des cinq sens c’est la vue.

Vous avez peut-être entendu parler de cette expression : un « regard de foi ». La foi c’est une certaine manière de regarder. Et il s’agit bien de regard dans l’évangile d’aujourd’hui, avec la paille et la poutre. Il y a quelque chose qui obstrue notre regard de façon massive : une poutre !
De façon assez pédagogique, le Seigneur prend quelque chose de marquant : qui peut avoir une poutre dans l’œil ? personne ! une paille, oui, mais une poutre non.

Nous sommes devenus borgnes comme des cyclopes. Mais qu’est-ce qui nous fait cet effet, qui nous rend borgne et que nous perdons la véritable identité de nous-mêmes ?

Qu’est-ce qui obstrue notre vision ?

Il y a plusieurs réponses à cette question, vous l’imaginez. Mais j’aimerais bien partir de la fin de l’évangile de dimanche dernier. Vous vous souvenez, Jésus terminait ainsi :

« Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés. Ne condamnait pas et vous ne serez pas condamnés. »

Peut-être que cette poutre, c’est cette incapacité à pardonner et surtout à se pardonner soi-même. Ne pas pouvoir se pardonner soi-même, c’est ce qui fait que notre regard est obstrué : nous n’avons pas accès à la totalité de notre être ni même à la totalité de l’autre. C’est intéressant que cette parabole se donne dans une relation entre frères : ton frère qui a la paille, et toi qui la poutre…
C’est donc bien dans une relation que se donne cette parabole. Nous n’arrivons pas à une relation apaisée si nous n’accédons pas au pardon et à cette réconciliation.

Cette réconciliation va permettre que je me découvre moi-même dans mon identité profonde qui le fait d’être enfant de Dieu. Et cette réconciliation, c’est le Seigneur qui nous la donne.

Mais parfois, nous ne voulons pas nous pardonner nous-mêmes, ou nous ne pouvons pas nous pardonner. Il y a des personnes qui sont scrupuleuses comme ça et qui ont difficilement accès au pardon sur eux-mêmes et s’en veulent terriblement de tel ou tel acte qu’ils ont pu commettre dans le passé.
Mais, ce manque de pardon à soi-même entraîne une incapacité à voir l’autre clairement. Je n’arrive pas à me voir clairement, il y a quelque chose de la réalité qui est tronqué, il y a comme un point aveugle, un angle mort dans ma manière d’appréhender les relations avec les autres.

Et précisément, ce qui va me permettre d’ouvrir mon regard pleinement, d’accepter de lâcher prise et de laisser la miséricorde venir faire son travail en moi.

Qu’est-ce qui nous empêche de nous pardonner nous-mêmes ?

Il y a plusieurs raisons pour lesquelles des personnes ne peuvent pas se pardonner à elles-mêmes car il y a des psychologies complexe, mais l’une d’entre-elles peut-être l’exercice d’une forme de contrôle. En un sens, je n’accepte pas de rentrer dans une certaine vulnérabilité qui serait l’accueil du Seigneur. Je préfère rester un cyclope, je préfère rester borgne, car au moins, j’ai la maîtrise sur ma faute et sur mon passé. Je ne veux pas lâcher prise !

Et ce manque de lâcher prise, ce membre d’accueil de sa propre vulnérabilité empêche finalement d’enlever la poutre. Et remarquons le mouvement dans cette parabole : on enlève la paille l’œil du frère, et c’est nous-mêmes qui enlevons la poutre de notre vie . Ce n’est pas le frère qui l’enlève. Cela signifie que c’est une démarche personnelle. Et une des interprétations que j’en donne est que cette démarche de réconciliation fait suite à la fin de l’évangile de dimanche dernier.

« Ne jugez pas, vous ne serez pas jugés.
Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés. »

Cela s’applique aux autres, mais cela s’applique aussi à soi-même. Rentrez dans une démarche de miséricorde pour y voir clair. Le manque de pardon parasite notre discernement.

Entrons dans le temps du carême par le chemin du pardon

Nous nous apprêtons à rentrer dans le carême la semaine prochaine. Il s’agit précisément de tout un parcours qui nous aide à y voir clair, parce que y a de la confusion dans nos vies. Le fait de vouloir garder son propre péché et d’y être attaché nous rend borgne, ne nous permet pas d’accéder à toute la réalité, ne nous permet pas de voir les choses avec le regard du Seigneur.

Et ce parcours du carême va précisément nous dévoiler peu à peu que nous sommes attachés à cette poutre, et à la laisser partir, à l’enlever et à faire que nous puissions y renoncer. Il nous faut renoncer à être le juge de soi-même.
Qui sommes-nous pour être le juge de nous-mêmes, le juge dans le sens de la vie éternelle ? Parce que, quand le Seigneur évoque cette question-là, c’est bien dans la vie éternelle qu’il s’agit.

Il nous faut réaliser que répondre à cette invitation à laisser partir la poutre est une démarche d’humilité. Laissons partir ce qui obstrue notre regard, ouvrons-nous à la possibilité d’une autre manière de regarder l’autre et de nous regarder nous-mêmes. Nous le savons très bien, la manière de regarder les autres, c’est la projection bien souvent de notre propre manière de nous regarder nous-mêmes. Nous projetons sur les autres nos défauts, nos blocages, nos angoisses nos blessures toutes ces poutres qui sont en nous qui obstruent la qualité de la relation qui nous empêche de rentrer dans la pratique du commandement nouveau de l’amour les uns des autres alors.

Oui, le carême c’est un parcours pédagogique qui nous est proposé pour réfléchir justement à obstacles dans nos relations avec les autres et nous demander quelle est ma part de responsabilité, à ces jugements que je peux avoir sur moi-même qui m’empêchent de découvrir ma véritable identité, qui m’empêchent de rentrer au fond dans une altérité pour regarder l’autre comme tel qu’il est et non pas d’être le pointilleux qui veut enlever la paille alors que moi-même, je n’y vois pas clair.

Ainsi, frères et sœurs bien-aimés, je trouve que c’est une belle parabole qui nous est donnée aujourd’hui pour nous inviter à rentrer dans une démarche de conversion. C’est le bois de la Croix qui va nous soulager de cette poutre intérieure. C’est le Salut que nous mérite le Seigneur en Sa Passion qui nous permet d’accéder à toute l’identité sur nous-mêmes, à un regard pour nous renouveler, Lui qui vient faire toutes choses nouvelles, Lui qui vient nous donner une autre manière d’envisager événements et personnes.
C’est avec ces paroles du Seigneur que nous voulons aussi partir pour accueillir ces conseils :

« Donnez et non vous donnera. C’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante qui sera versée le pan de votre vêtement car la mesure dont vous vous servez pour les autres servira de mesure aussi pour vous. »

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Ecclésiastique 27,4-7.
  • Psaume 92(91),2-3.13-14.15-16.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 15,54-58.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,39-45 :

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? Le disciple n’est pas au-dessus du maître ; mais une fois bien formé, chacun sera comme son maître. Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que la poutre qui est dans ton œil à toi, tu ne la remarques pas ?
Comment peux-tu dire à ton frère : “Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil”, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.

Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ; jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit. Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit : on ne cueille pas des figues sur des épines ; on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien du trésor de son cœur qui est bon ; et l’homme mauvais tire le mal de son cœur qui est mauvais : car ce que dit la bouche, c’est ce qui déborde du cœur. »