Homélie du cinquième dimanche de Pâques

16 mai 2022

« Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Frères et sœurs, quel est le signe distinctif des disciples de Jésus ? Ils peuvent bien sûr porter une petite croix ; ils peuvent avoir un tee-shirt avec l’inscription : Jesus is my life  ; ils peuvent avoir un petit poisson (Ichthus) collé à l’arrière de leur voiture ; et beaucoup d’autres signes encore. Mais LE signe distinctif des disciples de Jésus est celui qu’Il nous donne dans l’évangile de ce jour :

« Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres. »

D’ailleurs, c’est souvent ce qui nous fait rêver dans les Actes des Apôtres :

« La multitude de ceux qui avaient cru n’était qu’un cœur et qu’une âme. » (Ac 4, 32)

Ce matin, je vais donc vous parler de cet amour.
D’abord, qu’est-ce qu’il a de particulier pour qu’il nous distingue de ceux qui ne sont pas disciples de Jésus ?
Ma deuxième partie consistera à signaler quelques contrefaçons de cet amour.
Et enfin, quelques pistes sur le « comment » vivre cet amour, signe distinctif des disciples de Jésus.

Ce que cet amour a de particulier

Pas la pente naturelle

Cet amour ne suit pas exactement notre pente naturelle. En effet, nous savons bien qu’il est facile d’aimer certaines personnes mais pour d’autres, c’est bien difficile. Et pour d’autres encore qui nous ont fait du mal, cela nous paraît quasiment impossible.

Pas un amour sentimental

Les sentiments sont très beaux. D’ailleurs, c’est Dieu qui nous a créés avec tous les sentiments qui nous habitent. Mais les sentiments ne suffisent pas. Nous savons qu’ils fluctuent : nous pouvons avoir de grands sentiments pour quelqu’un et ça se termine quelquefois mal. D’ailleurs, Jésus nous invite à aimer des gens pour lesquels nous n’éprouvons aucune attirance. Il ne faut donc pas confondre amour et sensibilité. C’est un amour qui va jusqu’au bout, même quand c’est difficile, quand il n’y a pas de retour, quand on n’éprouve pas de sentiments gratifiants.

Un amour de service

Jésus vient de montrer en actes de quel amour nous devons nous aimer. Le contexte de cet évangile est le dernier repas avec ses disciples. Jésus a commencé par leur laver les pieds, à leur grand étonnement : Lui, le Seigneur et le Maître, s’est fait leur serviteur. Et Il a terminé en disant :

« C’est un exemple que je vous ai donné ; ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »

Aimer c’est donc se mettre au service les uns des autres.

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » (Jn 15, 13)

Un amour même pour ceux qui nous ont fait du mal

Jésus nous invite à nous aimer les uns les autres alors que Judas vient de sortir pour Le livrer à la mort. C’est l’amour dont Il parle à un autre endroit dans l’évangile :

« Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi, je vous dis : « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent » (…).
En effet, si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense méritez-vous ? Les publicains eux-mêmes n’en font-ils pas autant ?
Et si vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? » (Mt 5 ; cf. Lc 6, 32)

On comprend alors que cet amour soit le signe distinctif des disciples de Jésus. Il ne va tellement pas de soi. Il rencontre tellement de résistances en nous. Il suppose une force tellement grande.

Quelques contrefaçons de cet amour

Je pense qu’il est important de donner quelques éléments de discernement pour ne pas s’engager sur une mauvaise voie. Il faut surtout éviter quelques raccourcis malencontreux.

Aimer, ce n’est pas nier ses besoins

C’est faire preuve de réalisme et d’humilité que de reconnaître ses propres besoins qu’ils soient matériels, physiques, affectifs, spirituels, … Il faut aussi apprendre à exprimer ses besoins, ses goûts et ses désirs, à s’affirmer soi-même de manière constructive. C’est en formulant nos besoins que l’autre pourra les connaître et les satisfaire.

Reconnaître ses besoins ne signifie pas qu’ils doivent dicter notre conduite. Dans un deuxième temps, on peut accepter d’en faire le sacrifice. Pour en faire un vrai sacrifice, il faut d’abord avoir identifié ses besoins. Il ne faut donc pas faire trop vite un raccourci !

Aimer, ce n’est pas laisser les autres disposer de nous, par faiblesse, sans rien dire

Il ne s’agit pas de se laisser faire uniquement parce qu’on n’ose pas dire non. Il ne s’agit pas de se laisser écraser sans rien dire. Jusqu’à un certain point, il n’est pas défendu de faire valoir ses droits.
Il ne faut pas prendre trop vite à la lettre la parole où Jésus a dit :

« Si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. » (Mt 5, 39)

car lors de sa passion, il a fait réfléchir le soldat qui le frappait :

« Si j’ai mal parlé, montre ce que j’ai dit de mal ? Mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18, 23)

Ce n’est pas par faiblesse que Jésus a laissé disposer de Lui pendant Sa passion mais parce qu’Il savait que c’était le chemin mystérieux que le Père L’invitait à parcourir et parce qu’Il l’a bien voulu.
Lors de son arrestation, Il dit bien :

« Crois-tu que je ne puisse pas faire appel à mon Père ? Il mettrait aussitôt à ma disposition plus de douze légions d’anges. Mais alors, comment s’accompliraient les Écritures selon lesquelles il faut qu’il en soit ainsi ? » (Mt 26)

Déjà auparavant il avait dit :

« Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. » (Jn 10)

Le pardon n’est pas la réconciliation

Cette semaine, j’ai rencontré une dame qui me faisait remarquer très justement que, pendant des années, elle n’avait pas bien compris le pardon de Jésus. Quelqu’un avait de l’emprise sur elle ; elle pensait que le pardon c’était de retourner sans cesse vers cette personne en lui disant qu’elle lui pardonnait. Bien entendu, cette personne en profitait bien pour abuser d’elle. Jésus nous appelle toujours à pardonner mais pas toujours à nous réconcilier. Dans certains cas, le pardon va de pair avec le fait de prendre de la distance avec la personne et de ne plus la voir.

Ce n’est pas contradictoire avec le passage où Jésus répond à Pierre qu’il faut pardonner « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22). Dans certains cas, il faut faire en sorte que l’autre ne puisse plus nous nuire et donc s’en éloigner.
Ce qui n’empêche pas de pardonner comme Jésus nous en a montré l’exemple dans la passion :

« Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34)

Où trouver la force ?

Cet amour distinctif des disciples de Jésus qui nous appelle à nous mettre au service les uns des autres et même à aimer ceux qui nous persécutent nous semble à juste titre au-dessus des forces humaines. Alors comment faire ? Je vous propose quelques pistes.

Contempler l’amour de Jésus, mort et ressuscité, et suivre son exemple

Saint Paul avait une conscience très vive de l’amour de Jésus pour Lui :

« L’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. 06 Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions.
Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien.
Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. » (Rm 5)

Les apôtres nous invitent à prendre exemple sur Jésus :

« C’est bien à cela que vous avez été appelés, car c’est pour vous que le Christ, lui aussi, a souffert ; il vous a laissé un modèle afin que vous suiviez ses traces. Lui n’a pas commis de péché ; dans sa bouche, on n’a pas trouvé de mensonge. Insulté, il ne rendait pas l’insulte, dans la souffrance, il ne menaçait pas, mais il s’abandonnait à Celui qui juge avec justice. » (1 P 2)

Ce n’est qu’après sa résurrection que les apôtres se sont risqués à imiter Jésus, lui qui a donné sa vie sur la Croix.

Poser un acte de foi

Cet amour est d’abord une grâce à recevoir ; c’est un fruit de l’Esprit Saint en nous. Nous sommes donc invités d’abord à un acte de foi : croire que l’Esprit d’amour de Jésus nous habite, que Ses ressources d’amour nous habitent, que nous avons désormais des capacités d’amour insoupçonnées, parce que ce sont les Siennes… et alors il nous devient possible d’aimer « comme » lui parce que c’est son Esprit qui agit en nous.
Nous sommes choisis par Jésus. Il nous donne ce qu’il nous ordonne :

« Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres. » (Jn 15)

Nous nourrir de l’Eucharistie

L’Eucharistie est vraiment une nourriture pour la vie de Dieu en nous. Le Dieu vivant que nous recevons est le Dieu d’amour. Et le fruit par excellence de la communion est de faire grandir en nous cet amour qui nous dépasse.

Il est important de bien « profiter » de notre communion. Pendant l’action de grâces, c’est le moment par excellence pour demander à Jésus la force d’aimer comme Lui et à Sa suite.

En conclusion

Le fait de pratiquer le commandement de l’amour mutuel est exigeant mais procure une joie profonde. Comme le dit le Psaume 132 :

« Oui, il est bon, il est doux pour des frères de vivre ensemble et d’être unis !
On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête, qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron, qui descend sur le bord de son vêtement.
On dirait la rosée de l’Hermon qui descend sur les collines de Sion.
C’est là que le Seigneur envoie la bénédiction, la vie pour toujours. »

C’est une vraie bénédiction qui est source de joie et qui attire, comme c’était le cas des premières communautés chrétiennes. Il est bon de nous encourager mutuellement à vivre cet amour fraternel.

Demandons à Marie, la mère du bel Amour, de nous aider sur cette voie,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 14,21b-27.
  • Psaume 145(144),8-9.10-11.12-13ab.
  • Livre de l’Apocalypse 21,1-5a.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 13,31-33a.34-35 :

Au cours du dernier repas que Jésus prenait avec ses disciples, quand Judas fut sorti du cénacle, Jésus déclara : « Maintenant le Fils de l’homme est glorifié, et Dieu est glorifié en lui. Si Dieu est glorifié en lui, Dieu aussi le glorifiera ; et il le glorifiera bientôt.
Petits enfants, c’est pour peu de temps encore que je suis avec vous. Vous me chercherez, et, comme je l’ai dit aux Juifs : “Là où je vais, vous ne pouvez pas aller”, je vous le dis maintenant à vous aussi.
Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres.
À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. »