Homélie du troisième dimanche de Carême

14 mars 2023

« Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Lors d’un camp que j’animais récemment auprès de jeunes avec d’autres adultes, nous avons regardé le film de montagne : La mort suspendue. Il s’agit de l’aventure de deux alpinistes britanniques qui s’avisent de gravir par une face encore jamais escaladée le mont Siula Grande du Chili, essentiellement constitué de neige et de glace, extrêmement difficile à escalader. A la descente, un grave accident se produit : l’un des deux se casse la jambe, et à 6000 m d’altitude, c’est la mort assurée… Mais son camarade décide de le descendre au péril de sa vie, utilisant une corde et faisant des longueurs successives.
Mais à un moment donné, le malheureux blessé finit par tomber dans une crevasse. Au prix d’efforts surhumains, il parvient à s’en extraire, il se traîne sur le glacier. Son ami rampe pour continuer à le descendre.

Et la souffrance la plus grande qu’il subit après sa jambe, c’est la soif. Toute la neige qu’il ingurgite ne suffit pas à le désaltérer. Puis, plus bas passant sur la moraine, cette zone de rochers qui soutient le glacier, il entend sous les pierres ce torrent souterrain, la glace changée en eau jaillit, mais il n’y a pas accès, elle lui reste interdite, recouverte par ces monceaux de pierres…

Cette situation dramatique est bien illustrée par ce thème d’un concours poétique du XVIe siècle :

« Je meurs de soif auprès de la fontaine… »

Tout près de, à quelques dizaines de centimètres au dessus, la source est là mais il ne peut pas y accéder.

Ne sommes-nous spirituellement pas bien souvent dans le même cas ? la soif nous taraude, mais nous ne pouvons pas l’étancher. Pour quelle raison ? C’est sans doutes parce que nous ne sommes pas habitués à cette eau vive.

Cette eau vive c’est Dieu, c’est l’Esprit-Saint. Et il faut bien reconnaître que nous n’en voulons pas toujours et c’est bien là notre croix. C’est la croix de l’Enfer : désirer quelque chose, mais ne pas savoir en prendre les moyens pour étancher son propre cœur.
C’est cet écartement terrible que les années peuvent commettre.

La Bible parle, notamment à travers le prophète Amos :

« Voici, des jours viennent, dit le Seigneur, l’Éternel, où j’enverrai la famine dans le pays, non pas la disette du pain et la soif de l’eau, mais la faim et la soif d’entendre les paroles de l’Éternel. Ils seront alors errants d’une mer à l’autre, du septentrion à l’orient, ils iront çà et là pour chercher la parole de l’Éternel, mais ils ne la trouveront pas de quoi étancher leur soif… »

C’est terrible, mais soyons réalistes : la soif s’éduque, tout comme la faim. Nous avons souvent ingurgité tant de choses qui ne sont pas Dieu en lieu et place de Lui, que le « palais » de notre cœur s’est déformé. Nous goûtons le monde, et nous ne goûtons plus Dieu. Nous avons faim et soif de Lui, mais nous ne le goûtons plus, nous n’en voulons plus. C’est comme si nous avions accumulé des rochers entre Dieu et nous, à l’image de cet alpiniste qui rampe sur cette morène.

Comment désirer Celui qui est amour si notre cœur se ferme ? Comme se sacrifier ? comment suivre Celui qui s’est sacrifié si nous ne renonçons pas nous-mêmes à un tout petit renoncement. Comment servir si nous refusons le serviteur ?

Cela me rappelle une petite histoire qui date de l’antiquité : il s’agit d’un homme qui aimait tant l’or qu’il avait obtenu des dieux que tout ce qu’il touchât devint or. Il put alors se constituer rapidement une petite fortune !
Mais voilà qu’après un certain temps, il voulut embrasser sa femme. Il la toucha, et elle devint statue d’or. Il voulut boire et mit ses mains à la fontaine pour recueillir l’eau, qui devint poudre d’or.
Cet homme mourut de solitude, de faim et de soif.

C’est un peu l’image de notre propre cœur quand nous ne rééduquons pas notre soif. Nous avons soif de richesses, et elles vont nous isoler. Nous sommes incapables de rentrer dans des relations vraies à cause de notre égoïsme, et aucune relation ne nous comble. Nous partons à la recherche d’autres simulations pour notre affectivité.

Pour les jeunes, si vous ne rééduquez pas votre soif maintenant, jamais vous n’aimerez Dieu. Comme le dit le psaume :

« L’Éternel doit être le Dieu de votre jeunesse. »

Ainsi, dès votre jeunesse, habituez-vous à aimer Celui que nous devons préférer. Certes, dans des âges plus avancés, on se tourne toujours vers Dieu quand il ne reste plus rien d’autre. Mais ce n’est pas l’amour que Dieu souhaite : Il veut être le Dieu de notre cœur jeune !

Alors, quel remède le Seigneur nous propose-t-Il ?

Nous le voyons bien dans l’Évangile, Jésus demande à boire. Autrement dit, Il demande à la Samaritaine de rompre son égoïsme et celui de son clan. Comme elle Lui répond au début, elle n’a rien à faire avec les Juifs, pourquoi donc Lui demande-Il à boire ?
Et Jésus va appuyer sur ce point faible : en lui demandant à boire, Il va la faire sortir d’elle-même, de sa prison de sa sensualité, elle qui court après les hommes… C’est le septième homme qu’elle a en face d’elle !

Jésus ne fait pas attention à tout cela et lui demande à boire. Il veut rompre les rochers qui sont entre Lui et elle et qui l’empêchent pour le moment de boire l’eau vive.

Dans ce même esprit, le pape François conseillait justement à des jeunes qui voulaient évangéliser :

« Si un de tes camarades ne connaît pas Dieu, emmène-le avec toi donner la soupe aux SDF ? leur servir du café et parler avec eux, et tu vas voir que le cœur de ton ami va s’ouvrir et, sans qu’il le sache, il va devenir semblable un peu plus à celui de Dieu et de fait, va se préparer à Le rencontrer.
Mais, ça doit être un service exigent et non pas une tocade pour se donner bonne conscience, comme une petite formalité. »

Pour rééduquer notre soif, le service doit être fidèle. Il faut même éprouver dans sa chair ce qu’il en coûte d’aimer. C’est ce que me disait un vieux moine à l’abbaye de Saint-Wandrille :

« Mon garçon, tu dois éprouver dans ta chair ce qu’il en coûte d’aimer. S’il n’y a pas ce poids du service, il n’y aura pas la joie du don. »

Bref, je ne peux recevoir que si je donne…

Le Seigneur est infinie miséricorde et sans doutes ne le comprenons-nous pas encore vraiment. Notre soif est peut-être très faible, infime, ténue. Notre désir de Dieu peut être très pauvre.
On le voit aussi dans l’Évangile quand Jésus demande à Pierre :

« M’aimes-t ? »

Si nous avions un peu d’audace, il faudrait traduire le Grec en disant : « non, je ne t’aime pas vraiment. » Pierre est conscient que cette soif du Christ est trop fable chez lui. Oui, j’ai un certain intérêt pour Toi, Seigneur, mais de là à Te suivre toute ma vie, non. Et il le montrera par son attitude.

Pourtant, sachons que le Seigneur Se contente de ce désir si faible. « Tu ne m’aimes pas vraiment mais peut-être voudrais-tu au moins aimer ? » « Tune me désires pas, mais peut-être au moins désires-tu me désirer ? »

La miséricorde de Dieu va jusque là. Et encore une fois, le pape François prend ce bel exemple tiré d’un roman. Durant la deuxième guerre mondiale, un officier Allemand, bel homme, collectionne les conquêtes en France. Son statut d’occupant, sa prestance font qu’il peut s’adonner au plaisir dans cette belle ville qu’est Paris. Mais pris par un réseau de résistance, il va être condamné à être fusillé.
L’aumônier, l’abbé Gaston, sachant qu’il est catholique, vient le visiter dans sa prison et lui propose la confession. L’officier Allemand le reçoit cordialement, mais à la question « regrettez-vous vos péchés », il répond qu’il ne les regrette pas. Il ajoute même que si c’était à refaire, il le referait de la même façon. Ainsi, il affirme ce qu’il a fait. L’aumônier le sait bien : sa regret, pas de pardon possible ; sans contrition, pas d’absolution… Il prie alors le Seigneur et a tout à coup cet éclair de génie et il lui demande : « Regrettez-vous au moins de ne pas regretter ? »
Et là, l’officier se brise et avoue : « Oui Père, je regrette ! je regrette de ne pas regretter. Je regrette mon insensibilité et j’ai peur de me perdre. J’ai peur de perdre Dieu à jamais. » Alors, si le regret est là, le pardon de Dieu peut couler sur son cœur et cet homme peut partir en paix avec le passé de sa vie.
Devant l’infinie miséricorde de Dieu, il se rassérène et s‘apaise.

Voilà jusqu’où va la miséricorde de Dieu si notre désir de Lui est faible, parce que, sur la Croix, Jésus est Le seul qui a pu dire en vérité :

« J’ai soif ! »

Il a vraiment cette soif du Salut, du Salut pour chacun d’entre nous. Il a cette soif de la gloire de Son Père. Lui seul l’a de manière parfaite et authentique.

Mais tout cela, Il ne le garde pas pour Lui, Il nous le donne en nous donnant Son esprit. Comme nous le dit l’Évangile :

« Et il remit l’esprit… »

Il nous donne Sa soif, Il nous donne Son désir pour qu’un jour nous le désirions en plénitude. Il suffit simplement, comme le Bon Larron, de Lui dire :

« Souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton règne ! »

Alors, Il nous prendra en Paradis,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 17,3-7.
  • Psaume 95(94),1-2.6-7ab.7d-8a.9.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,1-2.5-8.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 4,5-42 :

En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi.
Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau. Jésus lui dit :
— « Donne-moi à boire. »
En effet, ses disciples étaient partis à la ville pour acheter des provisions.
La Samaritaine lui dit :
— « Comment ! Toi, un Juif, tu me demandes à boire, à moi, une Samaritaine ? »
En effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains.
Jésus lui répondit :
— « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
Elle lui dit :
— « Seigneur, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond. D’où as-tu donc cette eau vive ? Serais-tu plus grand que notre père Jacob qui nous a donné ce puits, et qui en a bu lui-même, avec ses fils et ses bêtes ? »
Jésus lui répondit :
— « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. »
La femme lui dit :
— « Seigneur, donne-moi de cette eau, que je n’aie plus soif, et que je n’aie plus à venir ici pour puiser. »
Jésus lui dit :
— « Va, appelle ton mari, et reviens. »
La femme répliqua :
— « Je n’ai pas de mari. »
Jésus reprit :
— « Tu as raison de dire que tu n’as pas de mari : des maris, tu en as eu cinq, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari ; là, tu dis vrai. »
La femme lui dit :
— « Seigneur, je vois que tu es un prophète !… Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. »
Jésus lui dit :
— « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père. Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs.
Mais l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père.
Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » La femme lui dit : « Je sais qu’il vient, le Messie, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, c’est lui qui nous fera connaître toutes choses. »
Jésus lui dit :
— « Je le suis, moi qui te parle. »
À ce moment-là, ses disciples arrivèrent ; ils étaient surpris de le voir parler avec une femme. Pourtant, aucun ne lui dit : « Que cherches-tu ? » ou bien : « Pourquoi parles-tu avec elle ? »
La femme, laissant là sa cruche, revint à la ville et dit aux gens : « Venez voir un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-il pas le Christ ? »
Ils sortirent de la ville, et ils se dirigeaient vers lui.
Entre-temps, les disciples l’appelaient : « Rabbi, viens manger. »
Mais il répondit : « Pour moi, j’ai de quoi manger : c’est une nourriture que vous ne connaissez pas. »
Les disciples se disaient entre eux : « Quelqu’un lui aurait-il apporté à manger ? »
Jésus leur dit : « Ma nourriture, c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et d’accomplir son œuvre.
Ne dites-vous pas : “Encore quatre mois et ce sera la moisson” ? Et moi, je vous dis : Levez les yeux et regardez les champs déjà dorés pour la moisson. Dès maintenant, le moissonneur reçoit son salaire : il récolte du fruit pour la vie éternelle, si bien que le semeur se réjouit en même temps que le moissonneur.
Il est bien vrai, le dicton : “L’un sème, l’autre moissonne.” Je vous ai envoyés moissonner ce qui ne vous a coûté aucun effort ; d’autres ont fait l’effort, et vous en avez bénéficié. »
Beaucoup de Samaritains de cette ville crurent en Jésus, à cause de la parole de la femme qui rendait ce témoignage : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. »
Lorsqu’ils arrivèrent auprès de lui, ils l’invitèrent à demeurer chez eux. Il y demeura deux jours. Ils furent encore beaucoup plus nombreux à croire à cause de sa parole à lui, et ils disaient à la femme :
« Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. »