Homélie du troisième dimanche de l’Avent

12 décembre 2022

« Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »

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Texte de l’homélie :

Qu’ils se réjouissent le désert et la terre aride ! Et, dans les livres liturgiques, pour nous présenter le dimanche de Gaudete, on habille le curé en rose pour dire que le temps difficile de l’Avent est un peu atténué, que c’est un temps de joie. Mais, comment va-t-on vivre cette joie ?
Il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour dire que nous sommes joyeux, et ce n’est pas une joie passagère que propose le Seigneur, comme celle qui vient des jeux - victoire au football ou un sapin avec des cadeaux en dessous – comme un moment éphémère avant de retourner dans les mêmes difficultés. Le désert, les terres arides…

Le texte d’Isaïe qui nous est présenté et que j’aimerais que nous nous approprions au lieu de l’écouter de manière distraite, est écrit dans des temps difficiles. Il provient d’une succession de textes qui décrivent les moment terribles que l’on vit, les catastrophes qui vont arriver, et en même temps, il y a des moments de soulagement. On a du mal à dater ce passage. C’est un texte qui annonce la fin qui n’est pas pour tout de suite et qu’il faut interpréter différemment : cette fin qui annonce la joie est-elle pour demain, pour tout de suite ?

En attendant, la joie dans l’Esprit-Saint, elle est pour aujourd’hui ! Mais comment faire pour se réjouir, pour porter cette joie ?

Ce temps d’Isaïe correspond à celui du roi Ézéchias, ou les armées d’Assyrie – le Nord de l’Irak aujourd’hui - qui ont déporté quelques années plus tôt le royaume du Nord et les pays alentours. Le pays même de Judas et du rois est envahi, et c’est la destruction. Toutes les villes autour sont détruites, il ne reste que Jérusalem qui est maintenant assiégée.
Ce sont des temps de bouleversement terribles et il nous est annoncé cette joie : le Seigneur qui vient.

On pourrait replacer ce texte dans un environnement plus tardif car il mériterait plus d’être dans la suite d’Isaïe et des livres de consolation. Il comporte des mots dont la littérature est plus proche. Mais c’est la même chose, c’est le temps de l’exil ou quelques années après, c’est tout le pays de Judas qui a été déporté.

Alors, comment oser cette joie ? et dans les bouleversements que nous vivons, qu’ils soient ecclésiaux, qu’ils soient politiques ou nationaux, qu’ils soient sociaux ou climatiques, comment entendre cet appel à la joie auquel nous sommes appelés à nous hisser ? comment un tel texte peut nous nourrir ? non pas dans une émotion religieuse passagère, mais profondément ?

Comme le témoigne Jean-Baptiste, les tristesses des jours – il est en prison et Jésus ne correspond finalement pas à ce qu’il avait imaginé de la remise en ordre du pays – les effondrements des institutions, des valeurs et les doutes que cela soit possible que ce changement tant attendu arrive semblent l’emporter.

« Es-tu celui qui doit venir ? »

Jésus est-Il celui qui doit venir et qui vient réjouir notre cœur ou devons-nous en attendre un autre et mettre notre espérance ailleurs ? Le temps du doute et de la plainte n’est-il pas venu, comme au temps d’Isaïe, « aux gémissements les uns sur les autres, ne sachant plus à qui se fier » comme le note Saint Jacques dans la fin de la lettre qui nous est aussi donnée à méditer parmi ces lectures.

En méditant ce texte d’Isaïe, je me suis arrêté sur un mot qui est traduit ici par :

« Dites aux gens qui s’affolent … »

Le mot original est un adjectif substantivé et qui signifie plutôt les « pressés de cœur ». Nous sommes dans une civilisation où tout doit se régler vite et si l’on fait une prière, le Seigneur doit nous exaucer et se ranger à nos désirs. Et si ça ne change pas, et si ça en correspond pas à notre attente, nous perdons espoir, nous perdons confiance, nous perdons cette relation à Dieu.
C’est d’ailleurs l’argument le plus fort dans le judaïsme d’aujourd’hui pour ne pas accueillir Jésus, en disant que s’Il est le Messie, pourquoi le monde est-il toujours aussi terrible qu’hier ?

C’est ainsi que beaucoup d’enfants prient pour que leur grand-mère guérisse et si elle ne l’est pas, « ça ne marche pas ». Et nous risquons petit à petit d’être ces mains affaiblies, ces genoux qui fléchissent, qui sont défaillants. Et nous voyons aussi les verbes utilisés sont très intéressants car ce sont les tentations qui nous guettent. Le mot « défaillant" qui est utilisé en dessous se dit aussi décliner, se désister, s’affaiblir, se fatiguer et perdre courage. Il y a aussi la notion de trébucher, être renverser, avec un mot très proche de la cognée et d’un coup de marteau qui nous fait tomber

Alors, nous avons la tentation de nous laisser couler dans la plainte et comme le note Saint Jacques :

« Frères, ne gémissez pas les uns sur les autres. »

Comme la critique est facile quand tout ne correspond pas à ce que j’attends, à ce que je vois, que je désire…

Mais, revenons à Isaïe : il nous dit une chose incroyable :

« Qui est invité à se réjouir ? »

C’est le désert ! qui est invité à rentrer dans cette joie, à exulter ? c’est la terre desséchée ! C’est cette terre que le psaume 62 (63) reprend :

« Mon âme a soif de toi ! Ma chair languit après toi, comme une terre desséchée, épuisée, sans eau. »

C’est le mot altérée, le même que celui utilisé dans Jérémie.

« Dieu, tu es mon Dieu, c’est toi que je désire. »

Voici ce temps qui nous est donné pour désirer. Ce temps est celui de la prière, qui est l’expression de notre désir.

Dans toutes les guérisons et les miracles qu’Il fait – rendre la vue aux aveugles, faire marcher ceux qui boitent etc… - Jésus demande toujours :

« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Il s’agit toujours de revenir vers le centre de cette force. Et le Notre-Père qui est notre prière fondamentale est constituée de demandes, comme pour orienter, harmoniser et régler notre désir, ce désir du Royaume de Dieu.

« Soyez forts, ne craignez pas. »

J’entends dans ce passage la même chose que ce que Jésus nous dit dans la « charte de l’Evangile » que sont les Béatitudes : qui est proclamé bienheureux, qui est appelé à se réjouir. Tout va pouvoir jaillir : la joie, la vie, le bonheur !

« Bienheureux les pauvres…
Bienheureux les affligés…
Bienheureux les artisans de paix… »

Bienheureux ceux qui ne se contentent pas de penser que l’homme est un loup pour l’homme et qui travaillent pour être des artisans de paix, pour construite et pour bâtir la paix.

Il peut nous arriver de penser que nous pouvons être joyeux parce que la vie va bien, parce que les choses vont bien. Pourtant, l’Évangile ne s’est jamais développé dans des temps d’abondance et de force, mais dans des temps de difficultés et de persécution. C’est parce que nous sommes invités à nous détacher de cette joie éphémère, de cette idée que si je vais bien, ça va bien avec Dieu.
Dieu est Celui qui vient ! Il est notre espérance, Il est cette force, Il est Celui qui est capable de faire jaillir du désert des sources vives.

Si vous avez un peu de curiosité, lisez dans votre Bible ce chapitre 35 en entier, au milieu duquel le texte de ce jour a été choisi il y a soixante-dix ans, car aujourd’hui, avec le réchauffement climatique, on prendrait volontiers la suite :

« Que les eaux jaillissent dans le désert, des torrents dans l’Arabah. »

Cela devient très concret, bien plus que d’évoquer « le désert » qui est un terme imaginatif. Le désert est au portes de Jérusalem et s’étant jusqu’à la Mer Morte. L’Arabah, c’est ce qui s’étant vers la Mer Morte, cette plaine complètement sèche, avec un lit de fleuve invariablement sec et qui descend jusqu’à Eilat. Et la terre brûlante qui se changera en joie c’est le mot vent d’Est qui apporte la canicule. C’est la terre de la soif qui jaillit.

Et le texte continue ainsi : ce ne sera plus « le Seigneur nous aide », mais c’est « Il est avec nous dans ce temps », « Il est avec nous dans l’épreuve ».
Nous ne demandons pas à Dieu que le monde change, que la réalité soit autre, mais, dans la réalité, dans la difficulté, le Seigneur vient, Il est à nos côtés, Il est proche, Il nous parle de cet amour infini qu’Il a pour l’Homme, pour tout homme, pour les hommes qui sont blessés, pour Ses enfants qui sont blessés par le mal et qui sont mal. Alors, Il vient.

Et Jésus vient nous communiquer cet amour. Dans l’Eucharistie, nous recevons cet amour, nous recevons le Seigneur, nous recevons cette charge, ce poids de tout cet amour du Seigneur qui vient dire :

Nous pouvons en effet nous demander si nous arriverons à avancer. Nous avons tellement de mal à nous convertir… Cela et-il possible ? Et pour répondre à cette question, le texte continue avec ces mots du Seigneur :

« Je vais faire une route. »

Et c’est Jésus le chemin. Il est cette route qui nous est donnée si nous écoutons Sa parole, si nous la prenons au sérieux, non pas comme des consignes pour faire un « bouffon poétique » de notre vie, mais comme une règle de vie, quelque chose à mettre en œuvre.

Ainsi, nous allons découvrir et laisser sourdre cette vie, cette joie que le Seigneur a mis dans notre cœur, parce qu’en affrontant les difficultés, en les passant avec le Christ, nous allons découvrir la vie.

Notre grande tentation c’est effectivement d’être dans les joies éphémères, dans ce qui passe, mais c’est tout de même d’aller la chercher. Et il y a cette route.

Puis le texte finit par :

« Ils reviendront ceux que le Seigneur a rachetés, et ils arriveront à Sion avec des cris de joie. »

« ils reviendront » signifie « ils se convertiront ». Notre cœur peut changer et c’est ce changement intérieur qui nous met dans la joie. Mais c’est l’œuvre du Seigneur que nous avons à accueillir, c’est Sa présence que nous avons à tenir, c’est ce « vivre » sous ce courant d’amour.

Souvent, quand on va se confesser, on se représente en train de décharger un fardeau que le Seigneur prend puis on peut repartir. Mais, ce que le Seigneur vient faire, c’est de nous confirmer. Il ne vient pas pour notre bien-être psychologique, déchargés d’un fardeau. Il vient pour que le flux de Son amour passe à travers nous.

La vie chrétienne, la joie chrétienne n’est pas simplement d’être restitué dans la propre image que nous avons de nous-même. D’une certaine manière, qu’importe l’image que nous avons de nous-même. La seule chose importante est de savoir si l’on va aimer comme on est aimé infiniment par Dieu.

Es-tu seulement dans la représentation : « est-ce que tu es bien ? » « moi, je suis bien, je suis enfin libéré… ». Ce n’est pas ce qui compte vraiment. La question est de savoir si nous savons laisser passer la grâce que l’on a reçue et qui nous a restauré.
Voilà pourquoi l’amour du prochain est une priorité.

Voilà le sens de cette vie. Et dans l’évangile, on a cette phrase tellement belle :

« Les pauvres sont évangélisés ! »

Voilà le signe du Royaume. Est-ce que nous apportons cette bonne nouvelle de la vie plus forte que la mort, de la vie qui sait pousser même dans le désert, qui sait traverser les déserts pour arriver à la Terre Promise. Savons-nous l’annoncer, le présenter, ou est-ce que nous sommes dans la méfiance, dans le mépris des autres et dans la critique comme le dénonce Saint Jacques. Et, l’explique-t-il, il le fait justement parce que le Seigneur est proche.

Quant-à nous, puissions-nous garder le Seigneur proche, non pas comme un fétiche que nous portons, mais comme un courant de vie qui nous traverse et qui inonde le monde,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 35,1-6a.10.
  • Psaume 146(145),7.8.9ab.10a.
  • Lettre de saint Jacques 5,7-10.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 11,2-11 :

En ce temps-là, Jean le Baptiste entendit parler, dans sa prison, des œuvres réalisées par le Christ. Il lui envoya ses disciples et, par eux, lui demanda : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jésus leur répondit : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue, et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, et les sourds entendent, les morts ressuscitent, et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle.
Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! »

Tandis que les envoyés de Jean s’en allaient, Jésus se mit à dire aux foules à propos de Jean :
« Qu’êtes-vous allés regarder au désert ? un roseau agité par le vent ?
Alors, qu’êtes-vous donc allés voir ? un homme habillé de façon raffinée ?
Mais ceux qui portent de tels vêtements vivent dans les palais des rois.
Alors, qu’êtes-vous allés voir ? un prophète ? Oui, je vous le dis, et bien plus qu’un prophète.
C’est de lui qu’il est écrit : ‘Voici que j’envoie mon messager en avant de toi, pour préparer le chemin devant toi.’
Amen, je vous le dis : Parmi ceux qui sont nés d’une femme, personne ne s’est levé de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le royaume des Cieux est plus grand que lui. »