Y a-t-il une communion possible sans la transcendance ?

2 juillet 2018

Le sacrement du mariage est le seul qui se reçoit à deux. C’est ce qui en fait la difficulté, surtout dans nos sociétés basées sur l’épanouissement personnel.
Et pourtant, loin de nous éloigner de l’autre, cela nous invite au contraire à creuser plus loin dans notre volonté de cheminer.

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

C’est une grande joie d’être ici réunis pour accompagner Olivia et Benoît dans ce moment fondateur de leur vie matrimoniale, et de prendre ainsi conscience de ce que signifie un engagement devant le Seigneur.
Durant la longue et très sérieuse préparation au mariage que vous avez faites, j’en suis témoin, vous avez eu à cœur d’approfondir cette dimension de l’engagement.
Tout d’abord incarné par le jeune Timothée très présent dans le chœur – qui chante aux anges durant cette célébration, nous nous en réjouissons, vous voulez que cet engagement ne soit pas seulement dans l’intimité de votre famille, mais soit rendu public, qui aille au delà de vous-même.

Et je trouve cela très juste ; en effet, le Chrétien est celui qui porte en lui-même plus grand que lui-même. C’est celui qui ne peut pas dure « je » dans dire « tu », ne peut pas dire « tu » sans dire « nous ».
Si le mariage est un acte éminemment personnel, il n’est pas pour autant un acte solitaire. Vous « embarquez » avec vous vos amis, vos familles, le jeune Timothée, et les nombreux enfants qui suivront (n’y a t-il pas 6 ou 7 cases dans le livret de mariage catholique ?). Tout est-il qu’on célèbre quelque chose qui nous dépasse, qui va plus loin que nous-mêmes, qui nous transcende.

Le mariage à l’Eglise, un appel à donner plus

Y a-t-il une communion possible sans la transcendance ? Un vrai engagement à l’amour est-il possible sans un ouverture à l’au-delà ? Cette question a toute sa place et vous y répondez par cette célébration.
Pour nous, Chrétiens, l’amour n’est pas un face à face de psychologies plus ou moins équilibrées… Non. Il s’ouvre à l’au-delà parce qu’il prend conscience qu’en lui-même, il y a cet appel à « plus ». Et cet appel à « plus » ressort des lectures que vous avez choisies : il s’agit de creuser ce que vous avez reçu.
Ainsi, la première lecture est comme un programme de vie, et je vous invite à la relire souvent. Comme je vous l’ai conseillé ces textes, tels que vous les avez choisis, sont une lumière pour votre vie matrimoniale et familiale. Il faut que vous puissiez y revenir comme à une source.
Ceci est vrai pour chacun d’entre vous qui, dans cette assistance, vous êtes mariés à l’Eglise. Faire mémoire de ces lectures choisies pour votre mariage vous permet de ressourcer votre amour.

Ainsi, dans la lettre de Saint Paul Apôtre aux Romains, il est dit de vivre cet amour sans hypocrisie, c’est à dire qu’il doit s’enraciner dans la vérité. Et je crois que dans votre cheminement, vous avez expérimenté quelque chose de vrai, c’est à dire avec une certaine part de difficulté : accueillir l’autre comme il est et non pas tel que l’on voudrait qu’il soit.

On ne peut pas alors dire que l’on soit fait l’un pour l’autre, je ne crois pas que ce soit vrai pour aucun couple en général. On se fait l’un à l’autre, et c’est toute une autre affaire.
Etre vrai, c’est rentrer dans un travail intérieur qui me permet d’accepter l’autre comme différent de moi-même, et donc d’approfondir.
Vivre l’amour sans hypocrisie, c’est vivre un amour dans la vérité, et c’est être plein d’affection l’un pour l’autre – comme le dit Saint Paul – et plus encore, d’être ardent.

« Soyez fervent d’esprit ! »

Construire son couple, cela demande de l’énergie. Mais, qu’est-ce qui n’en demande pas, dans la vie ? Tout, demande de l’énergie, forcément ! alors, prenez conscience que vous vous engagez dans un chemin qui vous donnera beaucoup, et vous demandera beaucoup. Car, accueillir l’autre comme différent de moi-même n’a rien de spontané.
Parfois, on entend par-ci, par-là, des manières de voir les choses qui ne me semblent pas réalistes, comme si l’amour était quelque chose de facile, comme il suffisait de se croiser et que tout aille pour le mieux.

Ne confondons pas amour et sentiment amoureux : c’est totalement différent. Le sentiment amoureux est fait d’émotions, d’étoiles dans les yeux, d’imagination… nous le savons bien, le sentiment amoureux est passager.
L’amour, c’est d’abord une volonté. Et, dans le dialogue que nous aurons au début du sacrement de mariage, je vais commencer par vous poser la question : « Est-ce que vous le voulez ? »

Ce n’est pas la question : comment vous sentez-vous ? ni même : est-ce que vous vous aimez ?

On sait bien que c’est une question de volonté. Et ça sonde l’intime de la personne. C’est un vrai désir d’engagement qui doit être exprimé et qui nous renvoie à ce qu’il y a de plus profond en nous, ce choix qui n’a rien de spontané. Si vous venez aujourd’hui auprès du Seigneur, c’est pour demander qu’Il puisse vous accompagner. Vous demandez cela avec la prière, avec la foi qui est la vôtre, en faisant un chemin qui me semble assez honnête. Je ne pense pas trahir un grand secret en disant que vous ne vous revendiquiez comme des piliers d’église – et de ce point de vue vous êtes bien les enfants de votre génération.

Toujours est-il que, lorsque je vous ai préparés, j’ai eu à cœur que ces mois de préparation à l’engagement ne soient pas une oasis spirituelle dans un désert spirituel. C’est une préoccupation pour moi.

Le mariage à l’Église, un sacrement pour l’envol à deux

Qu’est-ce qui va faire que ça ne va pas être un « one-shot » au plan de la foi, si ce n’est l’énergie que vous allez y consacrer. Comme le dit l’apôtre Paul :

« Ayez de l’affection, montrez du zèle, ne soyez pas nonchalants,
Soyez fervent d’esprit. »

C’est l’énergie et la ferveur que vous mettrez qui fera que ce moment que vous vivez dans un lieu tellement particulier qu’est Istanbul. Une petite superficie pour une très grand histoire, un lieu de pont entre l’Orient et l’Occident, l’Europe et l’Asie, la Chrétienté et l’Islam. C’est aussi un lieu de tentions, il suffit de feuiller l’histoire de cette ville pour réaliser qu’elle est au carrefour de tant d’enjeu et d’engagements.
Ainsi, le fait de célébrer ici dit quelque chose de votre couple. Cela révèle aussi une part de votre vie professionnelle. Chère Olivia, cher Benoît, vous vous êtes engagés dans les relations internationales. Être chacun à votre place au service de l’Union Européenne montre un aspect de la vie de couple.
Je souhaite solliciter chez vous un désir que vous puissiez inscrire cette parole au frontispice de votre maison, au feutre sur votre réfrigérateur, et le miroir de votre salle de bains :

Et c’est là où l’on réalise que ce n’est pas facile car, si vous avez un grand désir de rapprocher les peuples les uns des autres – autrement qu’une simple expatriation professionnelle – cela appelle à un témoignage d’une unité dans votre vie. Et c’est bien le sens de cette célébration : elle renvoie à l’unité dans notre vie.
Rassembler les peuples, faire des ponts comme Istanbul le fait induit votre relation comme centre de votre vie : vous êtes d’abord époux, ce pont, ce lieu de réunification entre deux personnes. Et le sacrement du mariage est unique de ce point de vue-là. En effet, le baptême, la communion et la confession se reçoivent tous seuls, avec une dimension personnelle.
Le sacrement du mariage est le seul qui se reçoit à deux. C’est ce qui en fait la difficulté, surtout dans nos sociétés basées sur l’épanouissement personnel… Il peut arriver que l’autre soit un obstacle à notre épanouissement, et pourtant, loin de nous éloigner de l’autre, cela nous invite au contraire à creuser plus loin dans notre volonté de cheminer.

Le mariage à l’Église unifie le couple dans toute sa vie

Ainsi, il y a un lien entre votre vie professionnelle et l’événement que nous célébrons aujourd’hui, car, vivre de l’Évangile, c’est vivre dans une unité et voir les choses dans la communion. Et c’est ce que vous êtes venus demander au Seigneur cette l’étape de votre foi, avec toute la sincérité qui la caractérise.

Je souhaite que ce soit également la marque d’un début, d’un retour à l’Eglise pour la redécouvrir, comme vous avez commencé à le faire dans cette préparation. Mais, prenez conscience que vos enjeux de couples sont aussi plus grand que vous-mêmes, de même que vos vies professionnelles vous dépassent : vous portez en vous-mêmes plus grand que vous-mêmes.

Cela nous aide tous, les uns et les autres, car cela nous renvoie à quelque chose qui nous élève, qui nous soutient, qui nous aide à aller plus loin que nos peurs, plus loin que nos fermetures, à vivre ce jusqu’au bout de l’amour, à être fervents d’esprit, dans un vrai choix. Aimer c’est décider ; il y a une dynamique de volonté. Aimer c’est choisir, et on le sait bien, choisir c’est renoncer.

On le voit bien, dans ce mariage à l’Eglise qui est si particulier, vous vous inscrivez dans une fidélité. La fidélité n’est certes pas au goût du jour, mais on voit qu’elle s’inscrit dans un rapport au temps dans la durée. Tout comme les relations internationales, les peuples établissent des relations dans sa longueur…
Que ce rapport au temps que vous inscrivez dans cette célébration soit pour vous un repère auquel vous pourrez revenir pour avancer, ne pas vous décourager, et faire mémoire de ce sacrement et de ce jour-là, de ce lieu-là, de cette ville où que vous puissiez habiter par la suite, car ils vous rappellent que la communion est un choix, quelque chose qui se travaille.
Comme le Seigneur le rappelle dans l’Evangile avec cette très belle image :

« Vous êtes le sel de la terre, la lumière du monde… »

Que dire sur le sel ? à quoi sert-il ? Dans l’Antiquité et aux temps bibliques, lorsqu’il n’y avait pas de réfrigérateur, il permettait de garder les aliments ; il permet aussi de donner du goût à la nourriture.
Trouvez ce sel, trouver ce goût qui viendra de l’énergie que vous mettrez à faire que votre couple puisse grandir et être unis. Car, le mariage n’est pas le sommet dans l’amour : il n’est que le début, et ensuite vous vous engagez ) grandir dans une communion matrimoniale.

Découvrez aussi le sel qui vient du Seigneur Lui-même : demandons au Seigneur d’être attentifs à cela, et de découvrir à travers ombres et lumières ce qui peut vous aider à approfondir votre relation, ce qui peut lui donner du sel.
Privilégiez votre couple ! Tous les couples ici présents sont concernés : il est un danger lorsque la famille s’agrandit, on tourne les yeux vers l’enfant, et c’est important, c’est beau ! Mais le couple est premier : c’est de lui qu’est né l’enfant. Privilégier l’enfant c’est donc sauvegarder le temps que vous vous donnez à deux.

Pour ce qui est de la lumière, on peut dire que là où vous êtes, vous avez éclairé des personnes, et vous continuerez à le faire par votre simplicité, votre affection, votre tendresse mutuelle, par l’accueil que vous ferez aux autres, comme il est dit dans la première lecture.

Etre sel de la terre et lumière du monde est un programme de vie pour chacun. Et c’est ce que l’on demande pour vous, chère Olivia, chère Benoît, c’est ce que l’on demande pour nous tous. Car cette célébration nous interroge aussi chacun de là où nous en sommes de notre foi et de notre spiritualité.
Que nous puissions, là où nous sommes, être des témoins d’un dieu qui nous appelle des ténèbres à son admirable lumière,

Amen !