Homélie du premier dimanche de Carême

14 mars 2014

Alors, Jésus lui dit : « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »

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Texte de l’homélie :

Ce premier dimanche de Carême est traditionnellement réservé au récit de la tentation du Christ au désert pendant 40 jours et 40 nuits. Il fait allusion à plusieurs « quarante » qui existent dans l’Ancien Testament.
Sans les citer tous, il y a déjà Moïse qui a jeûné 40 jours et 40 nuits avant de recevoir la Loi, Élie ensuite, qui a jeûné pendant 40 jours et 40 nuits avant d’aller contempler Dieu qui se révélait dans la « brise légère ».
Ce chiffre revient plusieurs fois. Et il est important de préciser qu’il ne s’agit pas d’une addition – 20+20 – dans la Bible, mais que cela rappelle la période précédant la naissance. En effet, à tord ou à raison, on estimait qu’une grossesse durait 40 semaines d’aménorrhée, sans règles pour la femme.
En ce sens, le chiffre quarante représente un enfantement.

Et il est intéressant de voir que pendant ces quarante jours de jeûne, le Seigneur a été tenté. D’une certaine manière, le combat spirituel nous invite à une nouvelle naissance, à naître de nouveau. Comme Jésus le dit à Nicodème :

« Si vous ne naissez pas de l’eau et de l’Esprit, vous n’y entrerez pas. »

Ce texte nous permet aussi de considérer les tentations en tant que telles.

Tout d’abord, quelle est la différence entre la tentation et le péché ? La tentation, c’est d’avoir l’idée de faire quelque chose, par notre imaginaire. Le démon s’en sert pour nous donner envie de prendre le bien du voisin, d’avoir toujours raison, de faire telle ou telle chose, de dominer, etc. C’est cette dimension d’imaginaire.
Dans la tentation, on imagine un bien qui est un « faux bien ». Il est donc important d’analyser notre imaginaire, et de savoir où on en est, et de la canaliser pour ne pas nous laisser entrer en tentation, vers ce que l’on pourrait penser être un bien mais qui aboutit en fait à une impasse.

L’Évangile de Luc nous présente trois tentations très caractéristiques. Et à la fin du récit, il est dit :

« Ayant épuisé toutes les formes de tentations, le démon le quitta jusqu’au moment voulu. »

Ainsi, d’une manière ou d’une autre, à travers ces tentations, ce sont toutes les autres tentations que nous pouvons connaître qui sont reliées à ces trois grandes tentations du Christ.

L’orgueil de la chair

En ce qui concerne la première : au bout de 40 jours et 40 nuits de jeûne, il n’est pas très étonnant d’avoir faim. Le démon ne fait que répondre à un besoin logique. Mais, si on va un peu au-delà, à travers le jeûne qui fait aussi partie des exercices spirituels du Carême, on est invité à un travail sur nous-même. Le jeûne nous fait sentir comme créature face au Créateur, il nous fait sentir comme dépendant de Dieu, dans une certaine fragilité, la faim notamment.
Derrière cela, cela vient aussi de celui qui propose. Si c’était un ange qui le servait – comme il l’accepte à la fin de la lecture de l’Évangile de Saint Matthieu – le cas serait différent. Nous pouvons ainsi distinguer d’où vient la réponse qui m’est faite : cela vient-il de Dieu, ou cela vient-il du démon ? Est-ce que cela m’oppose à Dieu, et me met face à un besoin qui demande une satisfaction immédiate, un plaisir immédiat.

« L’homme ne vit pas de pain seulement, mais de la Parole de Dieu… »

Et dans cette tentation là, on reconnaît toutes les formes de tentations qui ont à voir avec notre corps. En effet, se nourrir fait partie des besoins du corps.

L’orgueil de l’esprit

Décrite différemment en Luc et en Matthieu, la deuxième tentation est au sujet de Jésus qui est porté au sommet du Temple. Il s’agit là de la prière. Il est transporté en esprit à Jérusalem, le lieu de la présence de Dieu – le Seigneur qui est là – au pinacle du Temple. C’est comme lorsque l’on se met au dessus de Dieu, on rentre dans l’orgueil, une forme de toute puissance, comme en soi-même on se met au-dessus de Dieu en ne priant pas. Si je n’ai pas de temps pour la prière, c’est que – d’une certaine façon – je considère que Dieu, c’est moi…

Ainsi, je pense que le Seigneur a été tenté de s’enorgueillir de Sa propre beauté, de Sa propre splendeur. Lorsque l’on imagine la personne divine dans cette humanité qu’est le Christ, on peut comprendre la tentation de s’approprier les dons de Dieu. Voilà bien l’orgueil de l’esprit.

L’orgueil des richesses et du pouvoir

Le troisième est énoncé ainsi : « Si tu te prosternes devant moi, je te donnera les richesses, les pouvoirs… » Non. Le Christ répond à cela avec la Parole, comme à chaque fois :

« Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu… »

Et ces tentations des richesses et du pouvoir sont en nous, même si on n’y cède pas. C’est pour cette raison que nous sommes invités à rentrer dans une humilité face aux richesses, face aux richesses, aux biens matériels, à tout ce qui peut donner du pouvoir d’une manière ou d’une autre : la vie professionnelle, la situation sociale ou économique, qui nous donnent un ascendant sur les autres.

Donc, il est intéressant de nommer ces trois lieux de combat spirituel auxquels on fait face par le jeûne, par la prière et par l’aumône :

  • le jeûne par rapport à la tentation de l’orgueil de la chair
  • l’aumône par rapport aux richesses
  • la prière pour l’orgueil de l’esprit.

Cela correspond aux vœux religieux, aux conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance, qui concernent toutes celles et ceux qui veulent vivre selon l’Evangile – pas seulement les religieux et les profès – les laïcs selon leur état.

Il est intéressant de savoir que ces combats s’opèrent en chacun de nous. Selon les époques de la vie, selon les étapes, un combat peut être livré plus qu’un autre. Mais, sachons qu’il y a des connections entre les différentes tentations. Par exemple, quelqu’un qui est très attaché aux biens matériels risque d’être orgueilleux et de vouloir dominer. Il est probable que quelqu’un qui aurait du mal à dominer les passions du corps subisse la tentation de la toute puissance.
Tout comme il y a des connections entre les vertus, ces combats spirituels et ces tentations se correspondent : prudence et tempérance, justice et force… Dans le péché comme dans la grâce, nous formons une unité, et il est important de considérer que nous devons être attentifs à ces points là. C’est exhaustif, et on le voit bien avec les scandales politiques : on peut les rattacher à une tentation, d’une manière ou d’une autre, que ce soit l’abus de pouvoir, le détournement de fonds, les questions de manque de fidélités, etc… Nos hommes politiques sont plus exposés que d’autres, mais on voit cela aussi en nous.

Au sujet des anges

« Et les anges le servaient… »

Nous voyons que l’ange est présent dans ce récit, comme il est présent au moment de l’agonie. Combat se dit agonia en Grec. Voici le cœur du combat spirituel. Considérons bien ce lien entre la présence de l’ange à l’agonie et à nos côtés face à la tentation.

Qu’elle est sa mission, si ce n’est de soutenir dans le combat spirituel ? On peut demander son aide pour trouver une place de parking lorsque l’on tourne depuis des heures, certes, mais surtout à nous donner des raisons dans notre intelligence pour suivre la volonté de Dieu et combattre intérieurement.

La liturgie nous donne ceci comme un cadeau : comme le Christ a été tenté, nous le sommes aussi. Appuyons-nous sur ce combat que le Christ a mené pour pouvoir livrer notre propre combat. Et que fait-on dans la confession – arme spirituelle par excellence pour livrer le combat ? comme le dit Saint Benoît : on fracasse notre tentation contre le Christ, on fracasse notre combat contre le Christ. Peut-être, de confession en confession – c’est souvent le cas – on redit la même chose, mais, on reconfie notre combat à Jésus à chaque fois. Je ne veux pas rester seul avec mon combat, qu’il soit contre la chair, contre les richesses, ou contre l’orgueil de l’esprit.

Demandons alors au Seigneur d’être nous-mêmes attentifs à cette dimension-là, et qu’en équipe, en couple, nous puissions revisiter ces trois formes de tentations, de voir sur quoi nous sommes les plus fragiles, et d’invoquer aussi le Seigneur et la Vierge Marie pour nous soutenir dans cette fidélité au Seigneur,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 2,7-9.3,1-7.
  • Psaume 51(50),3-4.5-6ab.12-13.14.17.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,12-19.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 4,1-11 :

Jésus, après son baptême, fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le démon.
Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit :
— « Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. »
Mais Jésus répondit :
— « Il est écrit : Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. »

Alors le démon l’emmène à la ville sainte, à Jérusalem, le place au sommet du Temple et lui dit :
— « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : Il donnera pour toi des ordres à ses anges, et : Ils te porteront sur leurs mains, de peur que ton pied ne heurte une pierre. »
Jésus lui déclara :
— « Il est encore écrit : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. »

Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire.
Il lui dit :
— « Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. »
Alors, Jésus lui dit :
— « Arrière, Satan ! car il est écrit : C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »

Alors le démon le quitte. Voici que des anges s’approchèrent de lui, et ils le servaient.