Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Vous vous souvenez peut-être que Saint Augustin qui, méditant sur la Sainte Trinité, avait fait ce songe : il y voyait un petit enfant qui avait fait un trou sur la plage, près de la mer, et avec un petit seau, il tentait d’y vider la mer… Une voix lui dit alors que c’était impossible d’y parvenir. Il a ainsi compris que c’est ce qu’il tentait de faire en essayant de mettre la Trinité dans son esprit.
Devant cette difficulté et en partant du fait que nous sommes à l’image de Dieu, il avait alors envisagé d’explorer Sa trace dans notre âme afin de retrouver l’original à travers l’image.
Dieu est Père, et il voyait dans la mémoire qui s’étendent le plus loin qu’elle peut aux extrémités du temps, une image de l’éternité de Dieu Père… Le Christ, le logos, la Parole ordonnatrice de toute chose était référée à notre raison, notre intelligence, et enfin l’Esprit, ce souffle, cet élan, cet amour du Père et du Fils, lui renvoyait à notre affectivité, à notre volonté.
Nous portons une image vivante de la Trinité en nous-mêmes. droite
Bref nous portons une image vivante de la Trinité en nous-mêmes. Mais nous pourrions tâcher de suivre ce maître en voyant comment la Trinité ne reflète pas seulement les différentes facettes de l’âme humaine, mais comme elle répond aux grandes soifs du cœur humain.
La soif des origines
Je prendrai tout d’abord cette soif que nous avons de remonter à la source, de connaître nos origines. Il semble qu’une façon juste d’envisager la Trinité, c’est de la voir comme une échelle qui nous permet de remonter à la source. Il y a une hiérarchie dans la Trinité.
Il n’est pas indifférent que les trois personnes soient citées dans un ordre. Père engendre le Fils, et d’eux procède l’Esprit. Mais pour remonter, nous allons suivre l’ordre inverse :
Car c’est l’Esprit qui va d’abord tourner notre cœur vers le Christ, et le Christ lui va nous emmener vers le Père. Or qui est le Père ? les anciens aimaient le définir comme la source de la divinité. Et nous voulons remonter à cette source… Le Christ va nous entraîner à sa suite, l’Évangile ne va cesser de nous dire :
« Au moment de passer de ce monde à son Père. »
Car le Christ lui aussi ne cesse de vouloir remonter vers la Source.
Ainsi la Trinité ne nous présente pas un Dieu inaccessible, totalement abscons, fermé sur lui-même ; inconnaissable. Mais elle ne nous présente pas non plus un Dieu à portée de main. Le Christ se livre à nous, nous fait connaître Dieu, mais quelque chose d’invisible, un au-delà se perçoit dans le Christ, que nous voulons poursuivre.
Cette phrase d’un père de l’Église est très belle :
« Le Fils est le visible du Père, et le Père est l’invisible du Fils. »
Nous voulons sonder cet invisible avec le Christ. Si tout s’explique, si le mystère disparaît, si Dieu cesse d’habiter une lumière inaccessible, nous le désirerons plus.
Bref quand la Trinité se révèle nous sommes par nécessité lancés dans une quête, qui est la quête religieuse par excellence, celle de la source. Il y a des peuples qui font du pèlerinage aux sources d’un fleuve, une dévotion capitale de leur religion. Comme il est émouvant ce pèlerinage aux sources du Gange, ce fleuve de 3000 km qui puise ses eaux à 4000 km dans des grottes glaciaires cachées aux yeux des hommes n’est pas de manière voilée, la quête de cette origine invisible ?
Concrètement partons chaque année à la recherche de cette source, de cette lumière inaccessible, en prenant autant que nous le pouvons quelques jours de retraite, marqués par la radicalité du silence, de la Parole de Dieu et de l’ascèse.
L’élan du cœur de l’homme
C’est la deuxième soif que celle du cœur de l’homme, celle d’une famille, cette cellule originelle où a débuté dans la plupart des cas notre vie humaine, elle nous a profondément structurés. Elle nous a marqués, parfois blessés, parfois malheureusement détruits… Mais nous avons besoin de que nous offre la famille ; c’est un lieu où je peux grandir au milieu d’une pluralité de personnes, sans fusionner avec aucune d’elle. Comme nous voyons parfois comme il est difficile pour certains enfants ou jeunes d’avancer, alors qu’ils sont confrontés à un unique parent.
Car la multiplicité des personnes suscite un climat, un milieu d’affection de tendresse, de proximité et de distance propice à la croissance de l’être humain.
Nous le voyons bien en communauté : il nous est arrivé d’accueillir tel ou tel jeune en difficulté : or ce qui aidait le plus le jeune à se reconstruire, c’était le lien fraternel qui circulait entre les frères, plus que l’impact de tel ou tel, le charisme spectaculaire d’éducateur d’un troisième. Car ce lien laisse libre, respecte, ne fait pas pression, ne séduit pas…
Or qu’est la Trinité, sinon une famille de personnes… ? Et entrer dans la Trinité là aussi nous laisse libres : nous sommes portés par un climat mais restons infiniment respectés. Combien il est libérant dans l’évangile que Le Christ sans cesse se réfère à son Père.
Combien cela est source de vie de percevoir cet amour du Père et du Fils. Père Luc, retourné à Dieu il y a 26 ans, aimait prêter ces paroles à l’enfant témoin de l’amour que se portent ses parents :
Peut être nos parents ne se sont-ils pas toujours aimés, mais Père et le Fils S’aiment d’un amour infini, et Les voir s’aimer, bien plus participer de cet amour, cela nous fait vivre.
L’envie de laisser une trace
Un dernier point : un désir viscéral de l’être humain, c’est de laisser une trace, de « porter du fruit » dirait-on en régime chrétien. Et combien la stérilité est désespérante. Alors certains vont chercher la gloire, les exploits sportifs, la domination politique pour imprimer leur marque au monde.
Mais à nous qu’est ce qui nous semble le plus digne d’être transmis ? Certes notre vie, notre nom à la travers la génération des enfants. Mais n’y a-t-il pas un fruit encore plus beau, celui que nous désirons laisser au monde, et ce d’un désir infiniment profond ? ET si ce fruit c’était le Christ ! laisser derrière nous plus de Christ dans le monde ! comme le dit Jésus, « celui qui écoute la parole de Dieu et la pratique est pour moi un Père, une Mère… » Jésus ne récuse pas le fait que nous pouvons le mettre au monde pour ainsi dire multiplier sa présence. Voilà un fondement de la mission.
Oui frères et sœurs, si nous entrons dans la Trinité, si nous entrons dans cette maison, nous participerons de cette fécondité du Père, qui ne cesse d’engendrer éternellement le fils…
Oui cette Trinité est en nous, pour nous. Elle nous lance vers la source, Elle nous appelle à cette vie libre, qui sait se tenir à bonne distance de ceux qu’on aime, enfin Elle nous appelle à la fécondité, dont elle est Elle-même l’exemplaire.
Entrons en Elle, qu’Elle soit notre famille, et nous serons heureux.
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre des Proverbes 8,22-31.
- Psaume 8,4-5.6-7.8-9.
- Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 5,1-5.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 16,12-15 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples :
« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter.
Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous conduira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître.
Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »