Homélie de la solennité de la Toussaint

2 novembre 2020

Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

En méditant sur ces lectures de la Toussaint, il y a quelque chose qui a attiré mon attention, alors que ce sont les mêmes lectures d’année en année. Cela signifie bien que la parole s’éclaire de façon différent.
En effet, je n’avais jamais remarqué que, dans l’Apocalypse de Saint Jean, le Dieu Vivant crie d’une voix forte :

« Ne dévastez pas la Terre, ni la mer ni les arbres avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. »

E d’autres termes : « Ne touchez pas à la Terre, ne touchez pas à la Création jusqu’à ce que la Vie Éternelle s’accomplisse. » Et j’aimerais méditer avec vous sur le lien entre la défense de la nature et la vie éternelle. C’est un lien que l’on fait assez peu alors que cela est assez intéressant : le fait de voir l’importance des animaux dans la vie des saints : Saint Roch et son chien, qui allait prendre du pain sur une table et l’apportait à un malade, qui léchait ses plaies et les guérissait, Saint François et le miracle des loups, Saint Antoine qui est souvent représenté avec un cochon, Saint Gilles qui retire une flèche du flan d’une biche et qui la guérit, Saint Hubert qui protège un cerf et dans ses bois apparaît un crucifix, ou encore Saint Jérôme partant méditer au désert guérit un lion blessé et l’amène au monastère, en faisant comme son animal de compagnie…

Ainsi, le lien entre les saints et les animaux - avec la Création en général - est assez intéressant car il nous montre que d’une manière ou d’une autre, la vie éternelle donne un autre éclairage sur notre vie terrestre. Et la manière dont nous avons de concevoir la vie éternelle nous permet aussi d’accéder à Dieu à travers les réalités terrestres, c’est ce que nous chantions ce matin dans le cantique des trois enfants dans le livre de Daniel.

« Et vous la lune et le soleil, bénissez le Seigneur,
Vous les astres du ciel, pluies et rosée, bénissez le Seigneur !
Océans, rivières, baleines et bêtes de la mer,
Vous tous oiseaux dans le ciel, bénissez le Seigneur ! »

Au fond, il nous faut découvrir que nous sommes les gardiens de la nature, découvrir que nous sommes non pas les possesseurs ni les propriétaires de cette création, mais que nous aurons à rendre des comptes, que la vie éternelle fait que chacun de nos actes retentit dans l’éternité. Chacun de nos actes que ce soit envers le prochain proche, envers la Création, envers les personnes qui nous sont plus lointaines. Chacun de nos actes pèse. La vie éternelle donne un poids à nos actions, comme une force. Et bien souvent, la manière dont nous traitons la Création est à l’image de la manière dont nous traitons les personnes humaines, car quelle est la nature la plus proche de nous si ce n’est notre corps ? A la manière dont nous traitons notre corps et celui des autres, c’est aussi celle dont nous traitons la Création, et inversement. Et le pape François, dans son texte remarquable sur l’écologie Laudato Si dit :

« Le cri de la terre, c’est le cri es pauvres. Et le cri des pauvres, c’est le cri de la terre. »

Et il nous rappelle ainsi que tout est lié : réalité céleste et réalité terrestre vont de pair. Nous ne voyons cette réalité différemment de ceux qui ne croient pas car nous sommes les gardiens de notre création, nous sommes les gardiens de notre frère, et c’est un même amour qui nous unit.
Il est intéressant de voir les béatitudes dans cette perspective : face au frère, face à la Création, n’avons-nous pas à avoir une attitude de pauvre et à vivre cette béatitude qui est au présent. Vous l’aurez remarqué, il est dit alors que les autres sont au futur. :

« Le Royaume des cieux est à eux. »

C’est ici une invitation à entrer dans une modestie face à l’utilisation des biens matériels. Et on le voit bien, le dérèglement de la Création, l’utilisation excessive des ressources vient du péché, du désir de toujours plus d’argent, de plus de pouvoir. Alors, oui, pour nous, c’est différent : nous avons la Vie Éternelle, nous avons les Saints qui ont une intimité particulièrement avec Création – j’en ai cité quelques uns mais il en est certainement bien d’autres, et parmi ceux que l’on ne connaît pas. Le Saint a une vie unifiée et il vit donc de façon unifiée ce qui l’entoure comme la réalité céleste qui l’attend.

On peut continuer les Béatitudes en les appliquant à la Nature. Par exemple, au sujet de la douceur, avoir une certaine douceur par rapport à la Création qui nous entoure, c’est à dire en prendre soin, savoir que nous en sommes les gardiens.
Saint Paul en parle dans ses lettres :

« La création aspire de toutes ses forces à voir cette révélation des fils de Dieu. Elle a été livrée au pouvoir du néant, mais, à cause de Celui qui l’a livrée, elle a gardé l’Espérance d’être elle aussi libérée de l’esclavage, de la dégradation inévitable. »

D’une certaine manière, le salut de tout le monde visible est lié au salut de l’homme et cette destinée universelle que nous avons, où nous sommes sauvés par le Christ, c’est aussi pour sauver la totalité du monde créé à travers nous. Et c’est intéressant, lorsque nous nous demandons ce que seront cette terre nouvelle et ces cieux nouveaux, nous n’en savons rien car personne d’entre nous n’a d’expérience de cette réalité céleste. Et à travers les paroles de Saint Paul, nous savons que cette réalité sera sauvée. Ce que nous avons de plus proche concernant la nature, c’est notre corps, et ce corps sera glorifié, à la fin des temps, comme le dit le livre de l’Apocalypse, au moment où les serviteurs auront sur leur front le signe de l’Agneau.
Toute cette création sera comme transpercée par la gloire de Dieu, elle sera comme translucide à la gloire de Dieu. Et nos corps de misère, nos corps mutilés vieillissants malades et handicapés seront tous glorifiés, remplis de cette gloire de Dieu.

Ainsi, le fait de croire à la Vie Éternelle change complètement le rapport à la dignité humaine, le rapport à la création et à la créature. Quand on croit à la Vie Éternelle, quand on devient parent en mettant un enfant au monde, nous ne croyons pas que c’est en vue de la tombe, mais que c’est pour la vie, la Vie Éternelle. Ce petit qui est confié à ses parents, sera appelé d’une manière ou d’une autre à contempler Dieu face à face, c’est ce que nous croyons. Et cela change même la manière d’éduquer, car on fait prendre conscience petit à petit à l’enfant qu’il y a autre chose au delà de la vie terrestre. Parfois, à l’occasion de départ de proches – des grands parents ou de personnes plus âgées – on peut expliquer que la personne partie est auprès du Seigneur. Et petit à petit, l’enfant prend conscience qu’il y a un autre monde, et que cet autre monde, loin de nous désintéresser de ce monde visible, nous y implique. Et c’est très beau de voir que l’Église – parce qu’elle a cette certitude que les Béatitudes ouvrent les portes de la Vie Éternelle - s’est impliquée aux limites de l’humain, là où il l’est le moins, à travers les hôpitaux, les écoles, les dispensaires et l’aide sociale de toute forme, cette personne humaine qui est en fragilité, en précarité est appelée à la Vie Éternelle.

Mère Thérésa, tout que c’est qu’elle a fait ce n’est pas comparable au travail d’une association. Le pape François le rappelait : l’Église n’est pas une ONG. Et l’on peut se désoler que parfois, dans les œuvres sociales, on ne rappelle pas les fins dernières, que cette personne dont on prend soin qui est malade, qui a besoin d’être enseignée ou soutenue, est appelée à contempler Dieu en face à face !

C’est ce que nous dit Saint Jean dans la deuxième lecture :

« Lorsque le Fils de Dieu paraîtra, nous serons semblables à Lui.
Nous nous reconnaîtrons dans l’humanité du Christ. »

Et comment faire pour se reconnaître dans l’au-delà, dans l’humanité du Christ si ce n’est de s’être reconnus nous-mêmes dans l’humanité du prochain, de s’être reconnus nous-mêmes dans cette création qui est aussi le lieu d’accès à la divinité.
Sans doutes le savez-vous, les philosophes grecs qui n’avaient pas la foi disaient de la Nature que c’est l’art divin inscrit dans les choses. C’est à dire que pour accéder à Dieu, en perçant les mystères de la Nature, je découvre un ordre, et qui a mis cet ordre ? c’est Dieu Lui-même ! Nous qui avons cette révélation, nous affirmons que le scientifique qui perce les mystères de la nature est d’abord un contemplatif, quelqu’un qui découvre car il se met à l’écoute, qui a une intuition et qui est amené à rendre grâce au Créateur. Il peut aussi rendre grâce de pouvoir percer ces mystères avec son intelligence humaine.

La Vie Éternelle qui nous paraît à la fois assez lointaine – bien que nous savons qu’elle peut être si proche car la mort peut nous toucher brutalement aujourd’hui – nous invite à nous mettre dans cette attente de contempler Dieu face à face. Nous Le verrons face à face dans l’au-delà, mais ici et maintenant, c’est dans la Foi que nous Le contemplons. Dans la Foi, nous contemplons Dieu, nous Le découvrons de façon petite et modeste. La Foi est un régime d’indigence, c’est faute d’être en face à face avec le Seigneur.

Nous sommes de passage. Saint Paul dit :

« Nous sommes des étrangers, des hommes de passage dans ce monde. »

Autrement dit, ne nous installons pas dans ce monde, car nous savons que demain, nous pouvons partir vers l’Éternité. Cette pensée de l’Éternité donne un goût différent à la vie, cela donne une responsabilité dans nos actes, sachant qu’ils retentissent dans l’au-delà. Ce que j’ai fait à la Création, ce que j’ai fait à mon frère, à moi-même, ce que j’ai fait à Dieu en ne le respectant pas, ça des conséquences qui retentissent. Cela donne une gravité, un enjeu à notre vie terrestre. La Petite Thérèse disait :

« Nous n’avons qu’une seule vie pour vivre de Foi. »

Alors, nous allons demander la prière des Saints. Samuel a disposé au pied de l’autel plusieurs visages de Saints : ce sont des personnes qui nous ont précédés et qui ont vécu la réalité de leur vie de façon unifiée. Ils n’ont pas été parfaits – souvent on confond sainteté et impeccabilité – ils péché, se sont mis en colère et se sont confessés. On dit que Saint Jérôme piquait des colères noires et de beaucoup de Saints qui avaient beaucoup de défauts, mais leur regard allait sur eux-mêmes, avaient un regard pas seulement horizontal mais sur les autres, sur la Création, avec une Foi dans la Vie Éternelle qui leur permettait d’aller beaucoup plus profond, pour donner sens à l’existence.
Ainsi nous allons demander au Seigneur cette grâce de la Foi dans l’Éternité, cette Foi dans la prière et l’intercession des Saints. Nous sommes précédés par une cohorte de ceux qui eu cette vie de Foi et avec lesquels nous sommes.

Vous le savez bien, dans cette chapelle comme dans beaucoup d‘autres églises de campagne, il faut traverser le cimetière pour rentrer dans l’église. Ici, il y a même la tombe du Comte Bivert - le bienfaiteur de notre Congrégation - dans la nef, au milieu des frères, suivant sa demande. Ainsi, nous avons conscience que ce nous vivons au cours de cette célébration, c’est déjà l’anticipation de l’Éternité. Vivant et morts, nous sommes en lien, nous sommes en communion. Il y a une unité, et c’est beau : la Vie Éternelle unifie tout.

Nous pouvons demander à la prière des Saints pour nous-mêmes, qu’ils nous aident, qu’ils nous soutiennent, eux qui ont aussi été dans cette vallée de larmes et ont connu les tensions que l’on peut traverser sur cette terre. Mais c’est ici que nous sommes invités à vivre dans la Foi et à traverser les épreuves du mieux que l’on peut, et nous ne sommes pas seuls. Les Saints nous soutiennent, nous fortifient et prient pour nous.
Puissions-nous aussi avoir la confiance qu’ils ont pu avoir de leur vivant,s

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de l’Apocalypse 7,2-4.9-14.
  • Psaume 24(23),1-2.3-4ab.5-6.
  • Première lettre de saint Jean 3,1-3.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 5,1-12a :

En ce temps-là, voyant les foules, Jésus gravit la montagne. Il s’assit, et ses disciples s’approchèrent de lui. Alors, ouvrant la bouche, il les enseignait. Il disait :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.
Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi.
Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! »