Homélie de la solennité du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Christ

12 juin 2015

« Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

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Frères et Sœurs bien aimés,

Lorsque j’étais en Argentine, on m’a raconté l’histoire d’un sergent qui avait un caractère absolument épouvantable. Il poussait des colères terribles, humiliait parfois ses subordonnés, et chacun quand il le voyait s’approcher commençait à trembler : qu’est-ce qui va me tomber dessus ? Et pourtant, ce sergent communiait tous les jours.
Un jour, un soldat un peu plus intrépide qu’un autre s’avance à lui :
— « Sergent, on ne comprend pas, vous nous traitez durement et vous communiez tous les jours ! »
Et lui de répondre :
— « Vous n’avez pas idée de comment je pourrais vous traiter si je cessais de communier soudainement. »

Cette petite histoire en dit long sur l’Eucharistie. L’Eucharistie n’est pas faite pour les justes. L’Eucharistie n’est pas faite pour les gens biens. L’Eucharistie est faite pour ceux qui ont besoin de la miséricorde et de la grâce du Seigneur pour entrer dans cette application du commandement nouveau.
Oui, nous avons tous en nous-mêmes des obstacles à l’Amour, des difficultés à entrer en communion les uns avec les autres, et c’est bien pour cela que nous sentons la nécessité de nous approcher du Seigneur en communiant à son Corps et à son Sang. Parce que le cœur même de l’Eucharistie, c’est la communion. Et vous savez vous-même que lorsque vous étudiez la structure de la messe, il y a d’abord la liturgie de la Parole, ensuite la liturgie de l’Eucharistie et ensuite la Communion et la Bénédiction, l’Envoi. Tout vise à la Communion.

Et c’est bien parce que nous avons des difficultés dans nos relations que nous avons cette impérieuse nécessité de communier. La communion demande la transcendance. La communion n’est pas simplement le face à face de psychologies blessées. Elle demande de s’ouvrir à plus grand que soi, de s’ouvrir à Celui qui est capable de nous faire miséricorde. Miséricorde non pas comme un encouragement au mal, comme pourrait le penser celui qui continue d’agir mal en disant que Dieu fait miséricorde. Non, bien au contraire, la miséricorde comme un point final mis au mystère du mal en nous et autour de nous. Et cette miséricorde s’est faite chair en Jésus-Christ, et cette continuité de l’Incarnation, sous les espèces du pain et du vin auxquels nous communions, nous permet de mettre un terme ou en tous cas de nous soutenir dans notre combat spirituel contre le mal en nous et autour de nous.

Oui, l’Eucharistie, c’est fait pour les pauvres. Pour ceux qui ne savent pas aimer, pour ceux qui supplient la grâce, ceux qui viennent à genoux, supplier dans la communion au Corps et au Sang du Seigneur un cœur nouveau, un esprit nouveau.

Alors nous avons toute notre place dans chaque Eucharistie dominicale, et plus si affinité ! Nous avons tous notre place parce que, précisément, tous, dès que nous rentrons dans une vie intérieure un peu sérieuse, nous prenons conscience des difficultés à entrer d’abord en communion avec Dieu. Nous avons parfois cette tentation du Démon qui nous présente Dieu comme celui qui s’oppose à nous, la volonté de Dieu s’opposant à notre propre volonté. Mais aussi nous avons des tentations quant à la relation d’amour, la relation de charité que nous sommes invités à avoir avec le prochain, et singulièrement avec le prochain proche.

Oui, l’Eucharistie est un soutien et elle est, selon la tradition, non seulement le pain des anges, mais aussi le pain des forts. C’est-à-dire que chaque Eucharistie nous fortifie petit à petit. De communion en communion nous sommes invités à transformer notre cœur de pierre en cœur de chair.

Et c’est vrai que, quand quelqu’un délaisse la pratique dominicale, ce n’est pas tout de suite que se voient les conséquences. Parce que, et j’ai eu l’occasion de parler avec un certain nombre de jeunes qui étaient passés par un moment d’abandon, de lassitude, de paresse. Ils disent que cela n’a pas changé grand-chose. C’est vrai qu’au début, cela ne change pas grand-chose. Mais progressivement, nous rentrons dans une forme d’impunité parce que nous n’avons plus ce contact personnel avec le Seigneur ; nous nous permettons des choses que nous ne nous serions pas permises si nous avions communié, si nous avions écouté la Parole du Seigneur.

Alors, prenons très au sérieux cette pratique dominicale parce qu’elle est le lieu de notre croissance spirituelle : nous grandissons à la mesure où nous communions intérieurement, sacramentellement au Corps et au Sang du Christ. C’est là que se trouve notre croissance spirituelle. C’est Lui qui donne la croissance selon le mot de Saint Paul. Nous avons cette chance, cette grâce énorme d’avoir un contact avec notre Dieu dans l’Eucharistie. C’est unique, il n’y a que chez les chrétiens ! Les autres religions ont peut-être pour certaines des images, ou simplement des textes. Pour nous, c’est Dieu Lui-même qui vient sur l’autel. Il est autant Dieu sur l’autel qu’Il l’est dans le Royaume.
Et ce contact dans la foi, puisque l’Eucharistie c’est le mystère de la foi, nous renouvelle dans notre charité.

Alors, il est important pour nous de nous laisser toucher à nouveau parce qu’il y a aussi un risque, vous qui êtes je suppose des pratiquants relativement réguliers de la messe dominicale, il peut y avoir un risque de s’habituer. Pour nous aussi religieux : risque de s’habituer dans l’Eucharistie quotidienne pendant des décennies. Risque de ne plus s’émerveiller face au don de Dieu. Et c’est la raison pour laquelle nous est donnée cette fête du Saint Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur. C’est pour permettre à l’émerveillement de surgir à nouveau dans notre cœur, que nous reprenions conscience de la réalité du Saint Sacrement : c’est vraiment le Seigneur Lui-même qui se donne à nous. Nous avons un contact direct avec Lui.

Ce n’est pas comme cette femme qui seulement en touchant le manteau du Seigneur a été guérie des pertes de sang : en touchant le manteau dans la foi ! Mais alors que dire de la Communion à Celui qui est de toute éternité et qui nous attend dans l’au-delà ?

Oui, nous sommes invités, Frères et Sœurs bien-aimés, à nous renouveler dans l’émerveillement, dans la confiance, dans l’ardeur eucharistique.

D’où l’importance aussi de prier pour les prêtres : il n’y a pas d’Eucharistie sans Église, et l’Eucharistie c’est la forme de l’Église, Église comme communion, porteuse de la Parole, celle qui nous donne de pouvoir vénérer le Corps et le Sang du Seigneur. Et c’est aussi l’invitation aujourd’hui à prier pour les vocations sacerdotales en particulier.
La baisse des vocations sacerdotale en Occident, en Europe, est préoccupante, parce qu’on regroupe les paroisses, et la non célébration de l’Eucharistie régulière à proximité du peuple chrétien l’éloigne de l’Eucharistie.
Il nous faut supplier que le Seigneur fasse surgir dans son peuple des hommes qui veuillent se consacrer à Lui pour être des pasteurs du peuple.

L’Eucharistie, c’est ce qui nous est donné par le Bon Pasteur. Et nous communions au Bon Pasteur Lui-même.
Mais il nous faut des pasteurs en chair et en os que sont les prêtres pour pouvoir communier, pour pouvoir recevoir le pardon, pour faire miséricorde. Oui, la baisse des vocations sacerdotales doit nous toucher, toucher aussi notre cœur, notre prière, mais aussi être un axe dans l’éducation, puisque nous invitons les familles à participer aujourd’hui à la Fête Dieu.
Il nous faut prier Dieu de susciter dans le cœur des jeunes garçons cette possibilité, tout en laissant une liberté de conscience, ne serait-ce qu’en fréquentant des prêtres ou en se mettant au service de l’autel, possibilité de faire surgir ce désir de se consacrer au Seigneur.

Nous sommes invités, Frères et Sœurs, à nous engager nous-mêmes davantage dans la prière, à soutenir ces vocations de séminaristes qui s’engagent à la suite du Seigneur pour être bons pasteurs.

Prions la Vierge Marie, celle qui a cru, celle qui a communié certainement sacramentellement au Corps et au Sang du Seigneur, même si rien ne nous est dit dans les Écritures, on peut tout à fait le supposer au début de la vie de l’Église, l’Eucharistie a été célébrée, et Saint Paul rappelait l’importance de la dignité pour avoir accès à ce sacrement.
Demandons à la Vierge Marie de nous soutenir dans cette communion, elle qui a reçu en son sein, formé en son sein, le Corps du Seigneur. Qu’elle nous donne la vraie mesure de cette présence de Jésus au Saint Sacrement du Corps et du Sang.

Amen.


Référence des lectures du jour :

  • Livre de l’Exode 24,3-8.
  • Psaume 116(115),12-13.15-16ac.17-18.
  • Lettre aux Hébreux 9,11-15.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Marc 14,12-16.22-26 :

Le premier jour de la fête des pains sans levain, où l’on immolait l’agneau pascal, les disciples de Jésus lui disent :
— « Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque ? »
Il envoie deux de ses disciples en leur disant :
— « Allez à la ville ; un homme portant une cruche d’eau viendra à votre rencontre. Suivez-le, et là où il entrera, dites au propriétaire : “Le Maître te fait dire : Où est la salle où je pourrai manger la Pâque avec mes disciples ?”
Il vous indiquera, à l’étage, une grande pièce aménagée et prête pour un repas. Faites-y pour nous les préparatifs. »
Les disciples partirent, allèrent à la ville ; ils trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit, et ils préparèrent la Pâque.

Pendant le repas, Jésus, ayant pris du pain et prononcé la bénédiction, le rompit, le leur donna, et dit :
— « Prenez, ceci est mon corps. »
Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâce, il la leur donna, et ils en burent tous. Et il leur dit :
— « Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude.
Amen, je vous le dis : je ne boirai plus du fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai, nouveau, dans le royaume de Dieu. »

Après avoir chanté les psaumes, ils partirent pour le mont des Oliviers.