Homélie du 15e dimanche du Temps Ordinaire

16 juillet 2023

« Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie

« La pluie et la neige qui descendent des cieux y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et fait germer. »

Cette admirable coïncidence entre le besoin de la terre et cette rosée bienfaisante du ciel, entre la parole et notre cœur assoiffé, quelle magnifique harmonie !

Mais si nos lisons les versets qui précèdent immédiatement ces paroles d’Isaïe, c’est bien différent. Que dit le Seigneur ?

« Mes pensées ne sont pas vos pensées. Mes chemins en sont pas vos chemins. Le ciel est élevé au dessus de la terre, ainsi mes chemins au-dessus des vôtres. »

On peut se demander où est l’harmonie entre ces deux paroles. Dieu ne pense pas comme nous. Et peut-être que la première caractéristique de notre relation c’est un hiatus, un gap, une disproportion.

Oui, dans un premier temps, la parole n’est pas faite pour nous, selon nous. Les pensées de Dieu viennent nous heurter, voire nous scandaliser. C’est ce que dit Jésus :

« Vous avez beau écouter, vous ne comprendrez pas, regarder, et vous ne verrez pas ! »

En citant ces verset d’Isaïe, Jésus est en train de nous dire :

« Ne faites pas comme si vous compreniez ; ne faites pas comme si vous aviez vu, entendu… Acceptez d’abord que cette parole vous dépasse, vous déplaise et vous scandalise… »

Souvenez-vous de ce que disaient les gens lorsque Jésus a prononcé le discours du pain de vie dans le chapitre 6 de l’évangile de Jean : ils disaient que cette parole est dure. Et Jésus ajoutait : « cette parole vous scandalise… »

Cette parole est dure…

Quand on pense à la dureté dans le Bible, on pense à celle du cœur – scleros. Et Jésus emploie le même mot pour dire que Sa parole est dure. Ainsi, ne disons pas trop vite que la Parole est une rosée bienfaisante, car elle est d’abord ce roc, le seul qui puisse affronter notre orgueil et notre suffisance.

C’est une bonne nouvelle que nous ayons une force qui nous résiste et qui nous arrache à notre égoïsme et à notre orgueil dont nous serions prisonniers. C’est la parole d’un père, comme le dit l’épître aux Hébreux :

« Le Seigneur corrige ceux qu’il aime. Il frappe tous ceux qu’il reconnaît comme ses fils. »

Ces mots me font penser au Père Lamy lorsqu’au patronage, il était en face d’un jeune qui se laissait entraîner par ses passions.

« Il y avait des jeunes qui se mettaient en fureur jusqu’à tout casser ! Je leur disais alors : « Tu peux me frapper, mais tu ne m’empêcheras pas de dire la vérité. Je la leur disais, et au bout de quelques temps, le retour s’opérait. » »

C’est à partir de ce moment là que cette parole solide comme un roc peut devenir rosée qui désaltère. Nous pouvons alors l’assimiler comme la pluie l’est par la terre sur laquelle elle tombe.

Comme la pluie assimilée par la terre

Quand j’étais enfant, lorsque nous étions à table, mes parents me conseillaient de ne pas avaler tout rond, de bien mâcher pour ne pas risquer de m’étouffer. Mais aussi, sans mastication, la nourriture ne libère pas son pouvoir nutritif. N’est-ce pas souvent notre cas, lorsque nous avalons la parole de Dieu tout rond ? un comme nous en débarrasser, à l’image de ce que dit le curé d’Ars : « Je lui dis deux ou trois paroles, j’en écoute deux ou trois, et ensuite, je suis quitte avec Lui… »

Il faut broyer cette parole, et les pères de l’Eglise ont de magnifiques images avec cela. Mais pour tout cela, il faut du temps. Si l’on veut tout de suite tirer le jus de la parole, elle va nous décevoir. Ce grain semé au bord du chemin sera alors tout de suite arraché. Ainsi, admettons qu’il faut pouvoir s’ennuyer parfois avec la parole de Dieu. N’allons pas tout de suite aux livres de spiritualité et de développement personnel que l’on comprend mieux et qui nous flatte… Préférons la parole avec ses exigences, même si elle nous rebute parfois.

Toujours plus en profondeur

La profondeur est le résultat de l’étude. Inutile de nous confronter à la Parole si nous ne l’étudions pas. Il nous faut la méditer.

Je suis frappé par les sermons de Saint Augustin sur les psaumes. Il sont d’une qualité et d’une profondeur remarquable. Ils ne s’adressaient pas à l’élite intellectuelle de l’époque mais au bon peuple d’Hippone qui passait beaucoup de temps à expliquer les psaumes et qui tâchait de comprendre. Paul VI disait qu’il était profondément attristé par le décalage qu’il existe entre la culture profane magnifique, subtile et développée que nous pouvions avoir et notre culture religieuse si indigente voire misérable avec nos années de catéchisme. Serions-nous en train de négliger ce qu’il y a de plus noble ?

Si l’on pense à nos frères Juifs, de tout temps, dans le Deutéronome, l’étude de la parole est un commandement :

« Tu méditeras cette parole, tu la garderas dans ton cœur. »

Cela est d’autant plus vrai depuis que les Juifs ont perdu leur sanctuaire : plus de lieu pour méditer, plus de lieu pour les sacrifices. Que peut-on faire si ce n’est reconstituer un temple spirituel ? Et ce temple spirituel c’est l’étude. Ils ne peuvent se passer de cette patrie spirituelle, mais c’est à eux de l’édifier par le sérieux de leur étude. Et je me demandais si nous n’étions pas en train de perdre notre patrie spirituelle nous aussi. Tout autour de nous, les références chrétiennes s’étiolent, nos églises de campagne vont devenir des salles de concert.

Trouver le Royaume

La vrai question est de savoir où est le Royaume sinon à l’intérieur de nous-mêmes, par la parole que nous méditons et qui nous forme, qui nous forge. Pour ce qui est d’étudier, n’hésitons pas à nous plonger dans les théologiens.

Dernièrement, la cause de béatification du cardinal de Lubac a été ouverte. Cet auteur est d’une clarté absolue, on comprend tout. Le magistère de notre pape François, le lisons-nous ? Ses encycliques nous donnent de la lumière.

A partir de là, la parole qui était un roc extérieur et qui nous heurtait va devenir intérieure et l’on va pouvoir s’y appuyer pour construire. Nous assimilons la force de Dieu en assimilant la Parole.

Si l’on y prête attention, pour Jésus, la bonne terre c’est ceux qui comprennent la parole.

Dans l’histoire sainte, nombreux sont ceux qui ont écouté la Parole et ne l’on pas comprise, à commencer par Adam et Eve. Ils ont entendu une consigne du Seigneur :

« Vous pourrez manger de tous les arbres du jardin, mais de celui-ci, vous n’en mangerez pas. »

S’ils l’ont entendue, ils ne l’ont pas comprise. Et le démon a eu beau jeu d’ôter cette parole de leur cœur comme les oiseaux viennent picorer les grains sur le chemin. La parole n’ayant pas pu pousser ses racines, ils étaient vulnérables. L’anti-verbe, comme l’appelle Jean-Paul II, a semé tout ce qu’il y avait de plus pervers et de plus délétère dans leur cœur.

En revanche, celui qui médite sa parole jour et nuit, comme le dit le psaume 1, c’est en lui que va s’édifier une cathédrale intérieure. Tout en lui est éclairé par la lumière de Dieu, tout prend un sens, tout s’ordonne.
Alors, une telle personne est émerveillée par la beauté de Dieu, par la splendeur de sa foi, il se livre au Royaume et travaille avec ardeur, il devient un apôtre.

Demandons à la Vierge-Marie qui méditait toutes ces choses dans Son cœur d’avoir cette même vigilance de ne rien perdre des faits et gestes de Jésus pour qu’en nous, s’accomplisse Son mystère pascal et qu’Il fasse de nous des vrais apôtres,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 55,10-11.
  • Psaume 65(64),10abcd.10e-11.12-13.14.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 8,18-23.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu 13,1-23 :

Ce jour-là, Jésus était sorti de la maison, et il était assis au bord de la mer. Auprès de lui se rassemblèrent des foules si grandes qu’il monta dans une barque où il s’assit ; toute la foule se tenait sur le rivage.
Il leur dit beaucoup de choses en paraboles : « Voici que le semeur sortit pour semer.
Comme il semait, des grains sont tombés au bord du chemin, et les oiseaux sont venus tout manger.
D’autres sont tombés sur le sol pierreux, où ils n’avaient pas beaucoup de terre ; ils ont levé aussitôt, parce que la terre était peu profonde. Le soleil s’étant levé, ils ont brûlé et, faute de racines, ils ont séché.
D’autres sont tombés dans les ronces ; les ronces ont poussé et les ont étouffés.
D’autres sont tombés dans la bonne terre, et ils ont donné du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un.
Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! »

Les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent :
— « Pourquoi leur parles-tu en paraboles ? »
Il leur répondit :
— « À vous il est donné de connaître les mystères du royaume des Cieux, mais ce n’est pas donné à ceux-là. À celui qui a, on donnera, et il sera dans l’abondance ; à celui qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a.
Si je leur parle en paraboles, c’est parce qu’ils regardent sans regarder, et qu’ils écoutent sans écouter ni comprendre. Ainsi s’accomplit pour eux la prophétie d’Isaïe : ‘Vous aurez beau écouter, vous ne comprendrez pas. Vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas. Le cœur de ce peuple s’est alourdi : ils sont devenus durs d’oreille, ils se sont bouché les yeux, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, qu’ils ne se convertissent, – et moi, je les guérirai.’
Mais vous, heureux vos yeux puisqu’ils voient, et vos oreilles puisqu’elles entendent !

Amen, je vous le dis : beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu, entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. _Vous donc, écoutez ce que veut dire la parabole du semeur. Quand quelqu’un entend la parole du Royaume sans la comprendre, le Mauvais survient et s’empare de ce qui est semé dans son cœur : celui-là, c’est le terrain ensemencé au bord du chemin.
Celui qui a reçu la semence sur un sol pierreux, c’est celui qui entend la Parole et la reçoit aussitôt avec joie ; mais il n’a pas de racines en lui, il est l’homme d’un moment : quand vient la détresse ou la persécution à cause de la Parole, il trébuche aussitôt.
Celui qui a reçu la semence dans les ronces, c’est celui qui entend la Parole ; mais le souci du monde et la séduction de la richesse étouffent la Parole, qui ne donne pas de fruit.
Celui qui a reçu la semence dans la bonne terre, c’est celui qui entend la Parole et la comprend : il porte du fruit à raison de cent, ou soixante, ou trente pour un. »