Homélie du 17e dimanche du Temps Ordinaire

26 juillet 2022

« Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »

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Texte de l’homélie :

Ouh là là ! je tremble de prêcher sur l’Evangile de ce jour qui traite d’un sujet très sensible : la prière de demande ! J’espère ne blesser personne par mes paroles. En effet de nombreuses personnes se sont détournées de Dieu car leurs prières animées par l’amour de leurs proches par exemple, n’ont pas été exaucées. Face à la maladie d’un enfant par exemple, qui ne serait ébranlé ? Demander la guérison de son fils, n’est-ce pas la prière bonne par excellence ? Ou la paix dans le monde ?

Mon but est d’essayer de comprendre les paroles de Jésus. Ne voyez en ce que je vais dire aucun jugement sur qui que ce soit. Ce sujet est tellement sensible et nous ne savons pas à l’avance comment nous réagirions si nous étions concernés à la première personne.

L’enjeu qui se trouve derrière la prière de demande montre bien qu’elle n’est pas une prière de deuxième catégorie ; la louange et l’action de grâce formeraient la première catégorie. La prière de demande est un lieu où notre relation à Dieu est amenée à grandir, à se purifier, à s’ajuster. Elle est un lieu de croissance spirituelle. Elle comporte un combat qui demande du temps. Ce passage d’évangile commence par le « Notre Père » où s’exprime notre relation filiale avec Dieu. D’un côté, nous sommes invités à une vraie audace filiale, ce sera ma première partie. D’un autre côté, nous ne devons pas oublier que la relation n’est pas symétrique dans le sens où nous ne pouvons pas mettre la main sur Dieu : il reste notre Dieu à qui nous devons respect et adoration. Ces deux parties correspondent aux deux derniers dons de l’Esprit Saint qui forment une paire : la piété filiale et la crainte. J’ajouterai une troisième partie sur le fait d’apprendre à « dé-zoomer » par rapport à nos demandes. Voici donc mes trois parties : oser, respecter, dé-zoomer.

Oser - demander avec audace

L’audace filiale est exprimée dans l’introduction du Notre Père :

« Comme nous l’avons appris du Sauveur, et selon son commandement, nous osons dire : Notre Père … »

Nous pouvons oser dans la mesure où nous l’avons appris de Jésus. Comme le dit le catéchisme :

« "tout est possible à celui qui croit" (Mc 9,23), d’une foi « qui n’hésite pas » (Mt 21,22). Autant Jésus est attristé par le « manque de foi » de ses proches (Mc 6,6) et le « peu de foi » de ses disciples (Mt 8,26), autant il est saisi d’admiration devant la « grande foi » du centurion romain (Mt 8,10) et de la cananéenne (Mt 15,28). » (CEC 2610)

Ou encore sainte Thérèse de Lisieux :

« On obtient de Dieu autant qu’on en espère. »

Je vois deux points d’appui à cette audace : la foi en la toute-puissance de Dieu et la foi en son amour. Vous connaissez l’expression d’Archimède :

« Donnez-moi un point d’appui : je soulèverai le monde. »

Le point d’appui de la prière de demande est à la conjonction entre la toute-puissance de Dieu et son amour.

Vous connaissez peut-être un très beau texte de saint François de Sales où il nous invite à avoir confiance en l’intercession de Marie. Son raisonnement est ainsi : imaginons que Marie nous aime comme une mère mais qu’elle n’a aucun pouvoir sur le cœur de Dieu, son intercession serait très limitée : son amour ne suffit pas. À l’inverse imaginons qu’elle a tout pouvoir sur le cœur de Dieu mais qu’elle ne nous aime pas : sa toute-puissance d’intercession ne nous servirait pas à grand chose. Ce qui fait la force de son intercession, c’est qu’elle est à la fois notre Mère et notre Reine : d’un côté elle nous aime ; d’un autre côté son intercession est efficace. Donc nous ne devons pas hésiter à recourir à elle avec audace.

Ce qui est dit de Marie est vrai a fortiori de Jésus : non seulement il peut tout mais il nous aime. Notre prière de demande s’appuie sur la toute-puissance de Dieu et son amour.

La toute-puissance

Concernant la toute-puissance, un texte de l’évangile l’exprime bien. Il se situe dans l’évangile de Marc, juste après la transfiguration. Un tableau de Raphaël rend bien la scène : Pierre, Jacques et Jean étaient dans la quiétude du mont Tabor. Quand ils redescendent, c’est la confusion : un père de famille a demandé aux disciples d’expulser l’esprit mauvais qui possède son fils et ils n’y sont pas arrivés. Le père de famille se tourne alors vers Jésus en lui disant :

« (…) ’si tu peux quelque chose, viens à notre secours, par compassion envers nous !’
Jésus lui déclara : ’Pourquoi dire : “Si tu peux”… ? Tout est possible pour celui qui croit.’ Aussitôt le père de l’enfant s’écria : « Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi !’ » (Mc 9)

Nous sommes invités à croire fermement en la toute-puissance de Dieu comme le dit Jésus à Marthe :

« Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? » (Jean 11, 40)

L’amour

Concernant l’amour, Jésus utilise un raisonnement a fortiori. Si déjà un juge sans justice se laisse fléchir alors que dire de Dieu qui nous aime.
Le lieu par excellence où Jésus nous a manifesté son amour, c’est sa croix :

« Alors que nous n’étions encore capables de rien, le Christ, au temps fixé par Dieu, est mort pour les impies que nous étions. 07 Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile ; peut-être quelqu’un s’exposerait-il à mourir pour un homme de bien. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs. »(Rm 5)

Nous sommes invités à nous laisser pénétrer par cet amour de Dieu pour en être de plus en plus convaincus.

Notre foi provoque Dieu à agir ; notre manque de foi le paralyse ! La confiance fait que nous ne nous démobilisons pas. La première lecture nous donne l’exemple d’Abraham qui prie Dieu avec audace. Nous pouvons aussi penser à Marie à Cana.

Respecter – ne pas imposer nos désirs à Dieu

Il nous est difficile de garder les deux choses en même temps : l’audace et le détachement.
Or on ne donne pas des ordres à Dieu. On ne le contraint pas par des raisonnements ou en lui faisant valoir nos mérites mais simplement en lui rappelant sa bonté. Abraham ne fait pas valoir ses mérites : “tu me dois bien ça”. Il se réfère à ce que Dieu porte au plus profond : “tu ne peux être injuste”, à sa miséricorde. Le levier, c’est la foi en l’amour de Dieu, pas nos mérites. Il est important de travailler sur la gratuité.

Il peut nous arriver d’essayer de faire entrer Dieu dans nos projets plutôt que d’entrer dans le sien ? Or nous sommes invités à entrer dans sa volonté quelquefois bien mystérieuse. Sinon notre prière de demande risque d’être un moyen de faire pression sur Dieu pour obtenir ce que nous voulons, d’être une manière de mettre Dieu à notre service, d’avoir un caractère magique. La prière de Jésus au moment de l’agonie est notre modèle :

« Mon Père, s’il est possible, que cette coupe passe loin de moi ! Cependant, non pas comme moi, je veux, mais comme toi, tu veux. » (Mt 26, 39)

À ce sujet il est important de bien distinguer la persévérance de l’entêtement. Il n’est pas bon de se crisper sur une demande, même si elle est très bonne. Il faut savoir bouger, « danser », avec Dieu. Il faut garder ouverte la question : qu’est-ce que Dieu veut me donner ? Nous ne savons pas avec certitude que Dieu va nous donner telle ou telle chose. Il faut garder l’humilité de savoir que « nous ne savons pas prier comme il faut » (Rm 8, 26). Cela nous permet de garder une ouverture sur une autre issue possible à ma difficulté.

Lorsque Dieu n’accède pas à notre prière de demande, cela ne signifie pas qu’il ne nous aime pas. Le but ultime de Dieu n’est pas de nous éviter toute souffrance. Dieu n’a pas dit qu’il n’y aurait pas de souffrance ni d’épreuve. Par contre, il nous a dit qu’il serait avec nous et qu’il nous rendrait heureux. Être chrétien ne nous épargne pas la souffrance, mais la Passion, la Mort et la Résurrection du Christ nous donnent la force et la paix pour la supporter. Le fruit de notre prière dans la souffrance n’est pas toujours la suppression de celle-ci, mais le fait que le Christ souffre avec nous. La souffrance ne disparaîtra qu’au Ciel, en attendant, nous devons vivre dans la foi que nous donne Jésus. Cette foi, c’est que :

« ni la mort ni la vie, […] ni le présent ni l’avenir, […] rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur » (Rm 8, 38-39)

L’enjeu est d’être uni à Dieu plutôt que d’éviter la souffrance à tout prix.

L’expérience de la prière de la prieure du Carmel de Lisieux peut nous aider. Elle fait prier une neuvaine de messes pour demander sa guérison miraculeuse de Thérèse de l’Enfant-Jésus qui a contracté la tuberculose et qui risque bien de mourir étouffée dans de grandes souffrances à seulement 24 ans. Thérèse a déjà été guérie enfant par le sourire de la Sainte Vierge, pourquoi Marie l’abandonnerait-elle maintenant ? Et pourtant, Sainte Thérèse n’a pas été guérie, mais la prieure a reçu la grâce d’accepter la mort de sa sœur carmélite, et ensuite de publier sa vie, l’Histoire d’une Âme, qui sera mondialement connue et fera un bien immense.

Dé-zoomer – élargir notre regard

Lorsqu’une intention nous tient très à cœur, nous avons tendance à ne voir plus que cela, à nous focaliser sur cette intention au risque d’oublier tout le reste. Nous pouvons en quelque sorte nous enfermer dans une problématique. Dieu nous appelle à élargir notre prière pour qu’elle soit universelle. Cela suppose de se décentrer de soi et de ses intérêts. Notre demande en tant que telle est souvent parfaitement bonne mais Dieu est plus grand que nous et la replace dans un contexte plus large. Nous sommes invités à nous décaler de manière à essayer de regarder les choses du point de vue de Dieu. Le fait de prier pour une intention difficile ne doit pas nous faire oublier bien d’autres situations difficiles qui nous touchent peut être moins directement.

Quand on « zoome » de manière excessive, on ne voit plus le reste. Je garde le souvenir d’une famille – c’était il y a une trentaine d’années – dont un enfant était gravement malade. Toute l’attention des parents – et surtout de la maman – était concentrée sur l’enfant malade. C’est bien compréhensible et il ne s’agit pas de porter de jugement. Cependant, cette maman était incapable d’entendre des amis qui lui disaient : « il est bien de t’occuper de ton enfant malade mais n’oublie pas tes autres enfants ».
Cette situation a certainement contribué à ce que l’un de ses garçons tombe dans la drogue ! Il ne s’agit pas de rajouter une dose de culpabilité à ces parents déjà très éprouvés. Mais le fait de zoomer de manière excessive produit une distorsion dans notre appréciation de la réalité et prépare quelquefois des catastrophes.

On le voit dans l’actualité : il y a tendance à prendre des mesures hâtives pour résoudre un problème mais sans prendre le recul nécessaire pour resituer ce problème dans un contexte plus large.

Une autre manière de « dé-zoomer » est de s’arrêter pour rendre grâces pour ce qui va bien. Certes, il y a des choses difficiles mais il n’y a pas que cela. Ne voir que ce qui va mal est une déformation de la réalité. C’est d’ailleurs pourquoi le début du Notre Père commence plutôt dans le registre de la contemplation et de la louange. C’est dans la deuxième partie seulement que viennent les demandes qui nous touchent plus personnellement.
Comme le dit ce passage d’évangile, Dieu veut nous donner l’Esprit Saint, Esprit d’amour et de lumière qui nous donne de percevoir les choses autrement.

Conclusion :

Demandons la grâce de progresser dans la prière de demande en tenant en même temps les deux bouts de la chaîne : grandir dans une foi audacieuse et grandir dans l’accueil de la volonté de Dieu. N’oublions pas de rendre grâces pour ce que Dieu nous a déjà donné. L’essentiel est finalement de grandir dans la communion avec Dieu.
Il s’agit d’« avoir un cœur accordé à la miséricorde de Dieu. » (CEC 2635)

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de la Genèse 18,20-32.
  • Psaume 138(137),1-2a.2bc-3.6-7ab.7c-8.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Colossiens 2,12-14.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 11,1-13 :

Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. »
Il leur répondit : « Quand vous priez, dites : Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne.
Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour.
Pardonne-nous nos péchés, car nous-mêmes, nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. »

Jésus leur dit encore : « Imaginez que l’un de vous ait un ami et aille le trouver au milieu de la nuit pour lui demander : “Mon ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir.”
Et si, de l’intérieur, l’autre lui répond : “Ne viens pas m’importuner ! La porte est déjà fermée ; mes enfants et moi, nous sommes couchés. Je ne puis pas me lever pour te donner quelque chose.”
Eh bien ! je vous le dis : même s’il ne se lève pas pour donner par amitié, il se lèvera à cause du sans-gêne de cet ami, et il lui donnera tout ce qu’il lui faut.
Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira.
Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ?
Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! »