Homélie du 26e dimanche du Temps Ordinaire

29 septembre 2025

« S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Dimanche après dimanche, la Parole de Dieu nous éclaire sur telle ou telle dimension de notre vie chrétienne. Aujourd’hui, elle nous invite à ouvrir les yeux sur ceux qui sont à notre porte et souffrent de la pauvreté ou de l’épreuve.
La première chose sur laquelle j’aimerais méditer avec vous est l’indifférence. C’est un thème qui tenait beaucoup à cœur au Pape François.
Ensuite, à l’école de l’Évangile de ce jour, j’aimerais comprendre un peu plus en quoi la richesse peut nous conduire à l’indifférence.
Et enfin, de manière assez pragmatique, j’essaierai de donner quelques pistes pour éviter l’écueil de l’indifférence.

L’indifférence

Qu’est-ce que le riche a fait de mal ? Jésus ne nous dit pas qu’il est méchant et a une vie dépravée (cf. 1 Co 6, 9-10). Il était sans doute très agréable de faire partie de ses amis. La suite de l’évangile nous montre qu’il est attentif à ses frères et veut leur éviter la souffrance :

« Père Abraham, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture ! »

Sous cet angle, nous voyons qu’il se soucie pour ses frères et qu’il a du cœur.
Dans le « Je confesse à Dieu », nous ne pouvons pas dire qu’il ait « péché en pensée, en parole, par action ». En revanche les projecteurs sont braqués sur son péché par omission ! Jésus ne lui reproche pas d’être riche, vêtu de pourpre et de lin fin. Ce qu’Il lui reproche, c’est son indifférence à l’égard de la détresse du pauvre Lazare.

A plusieurs reprises dans l’Évangile, Jésus attire notre attention sur le fait que notre vie chrétienne ne consiste pas d’abord à éviter le mal mais à faire le bien. Le but de notre vie chrétienne, c’est de déployer notre cœur afin qu’il soit vraiment aimant ; c’est de répandre l’amour. Celui qui verrait la vie chrétienne d’abord comme une somme d’interdits passerait complètement à côté de la pensée de Jésus. Nous pourrions rapprocher cette parabole de celle du Bon Samaritain chez Saint Luc ou du jugement dernier chez Saint Matthieu :

« Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire … » (Mt 25, 41-42)

Ce riche se faisait sans doute du souci pour des choses qui n’en valaient pas la peine, des choses qui ne sont pas vitales. Peut-être s’inquiétait-il de ce que son rôti n’était pas tout à fait à point ? Ou à cause d’une parole désagréable de sa femme ? Ou d’avoir fait un accroc à sa voiture ?
… Et ainsi, il passait à côté de choses vraiment importantes : la détresse du pauvre Lazare !

Comme le dit le psaume du jour, Dieu, Lui, n’est pas indifférent :

« Aux affamés, il donne le pain ; le Seigneur délie les enchaînés. Le Seigneur ouvre les yeux des aveugles, le Seigneur redresse les accablés, le Seigneur protège l’étranger. Il soutient la veuve et l’orphelin. »

Sans s’en rendre compte, il a construit sa bulle. Le champ de sa conscience était occupé par le bien-être et le confort, alors qu’il était appelé à quelque chose de beaucoup plus grand : l’amour de Dieu et du prochain.

Le danger des richesses

Jésus n’est pas un rabat-joie qui veut nous culpabiliser d’être riches ou de faire la fête. Le risque alors serait de trouver tout de suite des justifications et de ne pas laisser la Parole de Dieu pénétrer en nous. Le but de Jésus n’est pas de nous donner mauvaise conscience mais de nous alerter sur les risques que comporte la richesse.

On a tendance à dire : ah si on nous avait prévenus. Mais de fait nous sommes déjà prévenus. La difficulté est que l’on ne prenne pas au sérieux ce qui nous est dit.
Je vois au moins trois risques que comporte la richesse.

La richesse tend à anesthésier et à endormir

La richesse, c’est un peu comme le gaz, cela nous asphyxie et nous tue sans qu’on le voie venir. Cela nous fait perdre l’éveil du cœur. C’est ce que pensait l’homme riche, dont le domaine avait bien rapporté :

« Te voilà donc avec de nombreux biens à ta disposition, pour de nombreuses années. Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence. » (Lc 12, 19)

Il n’éprouve plus le besoin de travailler.

Ce sont les ronces de l’Évangile du semeur :

« Ce qui est tombé dans les ronces, ce sont les gens qui ont entendu, mais qui sont étouffés, chemin faisant, par les soucis, la richesse et les plaisirs de la vie, et ne parviennent pas à maturité. » (Lc 8, 14)

Voici ce que le Père Lamy, notre fondateur, nous dit à propos de la pauvreté :

« Sans elle, éprouverions-nous le besoin de crier vers Dieu nos nécessités, les nécessités du prochain, nécessités pour l’âme, nécessités pour tous les besoins de la vie. Hélas, souvent non : nous nous endormirions dans un néfaste sommeil, dans un repos dangereux, mais la pauvreté est là qui veille sur nous pour nous tirer de l’engourdissement mortel dans lequel nous glisserions si facilement. » (ES 92, 4)

La richesse favorise l’autosuffisance, le fait de ne pas avoir besoin des autres

Quand on est pauvre, on est obligé d’être dépendant. La richesse nous rend indépendants : nous n’avons pas besoin des autres.

Comme le souligne souvent saint Luc, l’argent doit être au service de la relation :

« Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. » (Lc 16, 9)

La richesse favorise l’arrogance, le fait de se croire au-dessus des autres

L’argent nous place souvent dans une situation de supériorité. Il est intéressant de voir que le riche opulent a tendance à considérer Lazare comme son larbin. À deux reprises, il demande à Abraham d’envoyer Lazare :

« Envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise. »
« Je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. J’ai cinq frères : qu’il les avertisse pour qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture ! »

Il se met plutôt dans une position dominante à son égard. Lazare doit être à son service.

Comment éviter l’écueil de l’indifférence ?

Rechercher une certaine sobriété

Le prophète Amos, dans la première lecture, dénonce une forme d’insouciance coupable :

« Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion, et à ceux qui se croient en sécurité sur la montagne de Samarie. Couchés sur des lits d’ivoire, vautrés sur leurs divans, ils mangent les agneaux du troupeau, les veaux les plus tendres de l’étable ; ils improvisent au son de la harpe, ils inventent, comme David, des instruments de musique ; ils boivent le vin à même les amphores, ils se frottent avec des parfums de luxe. »

A côté de cela, « ils ne se tourmentent guère du désastre d’Israël ». Ils font la fête dans l’insouciance la plus complète.
Grégoire le Grand nous avertit que l’attachement aux richesses engendre l’insensibilité du cœur. Il s’agit de mettre une limite à notre recherche du confort. Le pape François nous met en garde contre la culture du bien-être.
Notre fondateur nous avertit ainsi :

« Ô sainte pauvreté du Christ, ne me quitte jamais. (…) Éveille ma vigilance pour la prière, pour la pénitence, pour la ferveur dans l’amour de Dieu et pour la pratique intensive, pour la charité envers le prochain. » (ES 92, 5)

Accueillir la Parole de Dieu sans éliminer son tranchant

Nous sommes invités à savoir nous arrêter pour faire le point :

« Arrêtez-vous sur la route que vous avez prise et réfléchissez. » (Jr 6, 16)

En effet, nous avons tendance à nous laisser emporter dans le mouvement général qui est celui de la recherche du bien-être et du confort. Il faut une certaine force d’âme pour prendre un peu de recul à l’aide de la Parole de Dieu.

Nous avons tendance à trouver des justifications pour élimer le tranchant de la Parole de Dieu.
C’est la réponse d’Abraham à l’homme riche :

« Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent ! »

Comme aime le dire le Pape François, l’évangile doit être pris sans calmants ! (25 nov 2016).

Dans la lettre qu’il nous a adressée pour nous inviter à la sainteté, il déclare en commentant le jugement dernier dans l’évangile de saint Matthieu :

« Vu le caractère formel de ces requêtes de Jésus, il est de mon devoir de supplier les chrétiens de les accepter et de les recevoir avec une ouverture d’esprit sincère, “sine glossa”, autrement dit, sans commentaire, sans élucubrations et sans des excuses qui les privent de leur force. Le Seigneur nous a précisé que la sainteté ne peut pas être comprise ni être vécue en dehors de ces exigences, parce que la miséricorde est ‘le cœur battant de l’Évangile’. » (Gaudete et exsultate n° 97)

Rencontrer les personnes que Dieu met sur notre route

Plutôt que de vouloir résoudre le problème de la pauvreté à un niveau planétaire, Jésus nous appelle plutôt à ouvrir les yeux sur les pauvres qui sont sur notre route. C’est ce qu’a fait le Bon Samaritain. Il a surtout vu une personne qui avait besoin d’être aidée :

« Il le vit et fut saisi de compassion » (Lc 10, 33)

C’est ce choc émotionnel qui nous met souvent en route. On voit l’écho tellement fort de la photo du petit Aylan, enfant syrien de trois ans, retrouvé sur une plage turque le 2 septembre 2015. Ou encore la photo de Kim Phuc, la petite fille vietnamienne de 9 ans brûlée au napalm le 8 juin 1972 qui circule nue sur une route.

Ce sentiment de pitié nous met en route. Ensuite, il s’agit de discerner si on peut aider et comment on peut le faire. Mais déjà lorsque nous ne laissons pas l’autre seul avec sa souffrance, « cette souffrance est – comme le disait Benoît XVI – pénétrée par la lumière de l’amour » (Spe Salvi n° 38).

Conclusion :

Que Marie, debout au pied de la Croix, nous aide à nous laisser toucher par la détresse des autres. Qu’elle nous aide à nous faire proches et à leur venir en aide autant que c’est possible.
N’oublions pas que “la vraie richesse n’est finalement pas celle qu’on possède mais celle qu’on donne”. L’enjeu de notre vie, c’est que notre capacité d’aimer se déploie. C’est bien là le talent fondamental que le Seigneur (le Dieu d’amour) a remis entre nos mains. Tomber dans l’indifférence, c’est passer à côté de notre bonheur et de ce pour quoi nous avons été créés,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Amos 6,1a.4-7.
  • Psaume 146(145),6c.7.8.9a.9bc-10.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 6,11-16.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 16,19-31 :

En ce temps-là, Jésus disait aux pharisiens : « Il y avait un homme riche, vêtu de pourpre et de lin fin, qui faisait chaque jour des festins somptueux.
Devant son portail gisait un pauvre nommé Lazare, qui était couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais les chiens, eux, venaient lécher ses ulcères.
Or le pauvre mourut, et les anges l’emportèrent auprès d’Abraham. Le riche mourut aussi, et on l’enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; levant les yeux, il vit Abraham de loin et Lazare tout près de lui.
Alors il cria :
— “Père Abraham, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise.
— Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur pendant la sienne. Maintenant, lui, il trouve ici la consolation, et toi, la souffrance. Et en plus de tout cela, un grand abîme a été établi entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient passer vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne traverse pas vers nous.”
Le riche répliqua :
— “Eh bien ! père, je te prie d’envoyer Lazare dans la maison de mon père. En effet, j’ai cinq frères : qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’eux aussi ne viennent dans ce lieu de torture !”
Abraham lui dit :
— “Ils ont Moïse et les Prophètes : qu’ils les écoutent !
— Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.”
Abraham répondit :
— “S’ils n’écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu’un pourra bien ressusciter d’entre les morts : ils ne seront pas convaincus.” »