Homélie du 33e dimanche du Temps Ordinaire

18 novembre 2019

« C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie :

Bien chers frères et sœurs, Nous évoquions dernièrement en communauté nos souvenirs de l’école primaire, plus particulièrement comment il nous fallait apprendre à écrire. Les plus anciens évoquaient la plume – la célèbre Sergent-Major – compliquée à utiliser : pas question de faire des pâtés avec, sous peine de recommencer toute la page. Puis vint l’ère du stylo Bic, nettement plus facile à utiliser. Il y eu aussi l’invention miraculeuse de l’effaceur, permettant d’utiliser la plume de manière plus simple…

Les textes d’aujourd’hui ont un petit rapport avec tout cela, parce qu’ils vont nous parler d’un moment où le temps sera écoulé, et il n’y aura plus de "brouillon » : notre vie va être « écrite », et il n’y aura pas de possibilité de la réécrire.
Oui, ce jour du Seigneur dont parlent les trois lectures évoquent un moment où le temps s’arrête, où on ne peut plus rien changer à notre existence, à notre poids de bonnes et de mauvaises actions. L’histoire n’est pas un perpétuel recommencement. La vie n’est pas non plus un parc d’attraction dans lequel on rentrerait à 10 heures du matin, et dont on sortirait à 23 heures en s’étant bien amusé sans qu’il n’y ait beaucoup de conséquences.

Chacun des actes, chacune des paroles compte et engage. Chacun de nos actes, chacune de nos paroles écrit notre éternité. Cela semble impressionnant, mais c’est aussi très beau en même temps : ce que je suis sera découvert, sera jugé, sera pesé. C’est une exigence de mon cœur.

Pour celles et ceux qui connaissent la grande littérature russe, avez-vous entendu parler de ce roman Crime et châtiment porté au grand écran. Dans cette histoire, le héros veut faire du bien au monde entier, mais il a besoin d’argent pour cela. Il n’hésite pas alors à tuer sa logeuse pour lui voler ses économies. Le crime est si bien fait que personne ne devine sa culpabilité. Finalement, son tourment intérieur le plus profond est que justice lui soit faite. Il se rend finalement aux autorités et subit le châtiment qui lui incombe.
Nous avons tous besoin de cette justice, car nous avons soif de vérité.

Dernièrement, cette thématique a été particulièrement remise au centre de notre intérêt avec la sortie du film Thanatos dont vous avez peut-être entendu parler. Il présente des expériences de mort imminente. Il ne s’agit pas de présumer du fait surnaturel ou pas, mais le fait est que les personnes que l’on voit font une expérience de vérité avec elles-mêmes et en reviennent profondément transformées.

J’ai écouté le témoignage d’un homme, Jules, docker à Rouen, venant d’une famille extrêmement pauvre. A 13 ans, il commence à travailler dans les docks de Rouen ; à 17 ans il connaît le monde la prostitution et entre dans le milieu de la drogue et de l’alcool. Puis, il va s’engager quelques années après dans l’armée où il nourrit une haine profonde contre les mauvais traitements qu’il a subis. Il revient ensuite, mais il est devenu un homme méchant. Il va alors essayer de changer de vie. A 27 ans, il se marie, mais il fera vivre un enfer à sa femme, parce que c’est toujours le même : il la bat, il fait coucher ses enfants dehors, mais il est profondément blessé par cette vie. Il veut en finir avec cette vie et il avale des cachets. Sa femme a la bonté d’appeler le Samu… Il est 36 heures dans le coma : il fait l’expérience d’un lieu terrible où des faces haineuses se tournent contre lui. Il en revient profondément bouleversé. Il trouve une Bible sur sa table de nuit d’hôpital et il la lit : cela transforme son cœur en profondeur. Il se convertit au Christ et il est aujourd’hui un époux qui rend sa famille heureuse. Il témoigne qu’il y a un dieu pour les crapules !
C’est cette rencontre avec sa propre vérité qui lui a permis ce changement.

Se préparer à la grande rencontre

Il est important que nous ayons aussi ces lieux de vérité avec nous-mêmes. Autrement dit, comment anticiper ce jour du Seigneur, ce jour où nous paraîtrons devant Dieu ? Il ne faudrait pas être surpris.
C’est la grande tradition de l’Église de nous permettre de nous y préparer. Notre fondateur, le Père Lamy, aimait parler de la pensée de l’heure : penser à l’heure de la mort du Seigneur, à 15 heures sur la Croix, et penser aussi à sa propre mort. Si je dois mourir aujourd’hui, que dois-je mettre en ordre ? Nous pouvons nous le demander dès maintenant :

Cela peut nous faire du bien de nous poser ces questions : Quel pardon n’a pas été donné,
Quel vice je tolère encore dans ma vie ?
Quel attachement désordonné suis-je en train de subit ?
Quelle agressivité à laquelle je consens trop facilement ?

Un autre exemple nous vient de Saint Ignace de Loyola : durant les premiers exercices spirituels, il n’hésite pas à faire méditer les retraitants sur le premier péché des anges et sur l’enfer. Non pas pour se dire que beaucoup y sont et que nous ne sommes pas concernés, mais pour imaginer que c’est une possibilité pour moi.
Si nous excluons cette hypothèse, il se peut que notre conversion soit tiède. N’oublions pas de prendre en compte la conséquence de nos actes. Si je choisis aujourd’hui un chemin qui exclue Dieu de ma vie, Dieu respectera mon choix pour l’éternité. Et c’est une vraie stimulation énergique.
Nos frères orthodoxes aiment dire que la prière est l’anticipation du jugement. Nous nous confrontons à la parole de Dieu, et cette parole nous lit, elle nous déchiffre comme le dit l’épître aux Hébreux : elle fait ressortir nos motivations les plus intimes.

Voici ce jour du Seigneur que nous avons à anticiper.

Un tri dans nos vies

Ce jour du Seigneur opère un tri dans nos vies. On a entendu cette expression il y a peu de temps : « Les linceuls n’ont pas de poche ». Cela pourrait faire penser à un titre de roman policier à la San Antonio. Et en effet, on n’emporte pas ses richesses au Paradis.
Non, c’est simplement le Pape François qui nous rappelle une vérité morale et spirituelle : nous n’emporterons rien de nos richesses que nous avons ici bas.
Il faut nous en rappeler car Jésus le dit Lui-même dans l’évangile : « A quoi t’attaches-tu ? Aux pierres du Temple ? ». C’est vrai, c’est magnifique ! mais même si l’on s’attache à des choses belles et bonnes, sont-elles vraiment Dieu en soi ?
Dans la Bible, il y a des textes magnifiques qui montrent que les plus belles splendeurs de la Terre vont disparaître ; je pense à la ruine de Tyr, dans le prophète Ézéchiel, ou dans l’Apocalypse où, dans le chapitre 18, il est dit :

« On n’entendra plus chez toi le son des joueurs de harpe, des musiciens, des joueurs de flûte, des joueurs de trompette.
On ne trouvera plus chez toi artiste ni artisan. On n’entendra plus chez toi le bruit de la meule. »

Toutes ces choses magnifiques vont disparaître. Le Seigneur nous dit : « Ne sois pas un esthète (au mauvais sens du terme), en t’attachant à des formes, en t’attachant à des styles… »
Et je pense que de nos jours, un des grands risques est de s’attacher à une forme de société passée qui avait un taux de pratique de 70%, une Église qui possède tout. Imaginons ce que c’était au Canada : elle possédait les salles cinémas, les terrains de sport, les hôpitaux, la direction des consciences… magnifique ! mais, si ce modèle vient à sombrer, est-ce que je sombre avec elle ?
Mon cœur n’est-il pas trop souvent occupé par la nostalgie d’un monde entièrement chrétien ? Est-ce que cela ne risque pas de solliciter en moi rancune, amertume et déception, entraînant la perte de ma joie ?
Toute notre vie est un exercice pour s’attacher à l’Éternité.

Je repensais aux derniers moments du Père Maximilien Kolbe : il revient en 1941 à Niepokalanów. C’est son couvent. Il a été fait prisonnier une première fois, libéré le 8 décembre, et il revient l’année suivante et commence à tout reconstruire pour recommencer ses publications chrétiennes, en pleine guerre.
Quelques mois après, arrive la Gestapo. Il a très peur, les témoignages l’attestent. Il sait quel va être son sort et celui de ses frères, mais il a le temps de les réunir et de leur donner sa dernière consigne : va-t-il leur dire « n’oubliez pas vos vœux » « n’oubliez pas vos stalles » « n’oubliez pas votre prière » ? Non, il leur dit cette seule chose : « n’oubliez pas l’amour ». C’est la seule chose qui résiste au temps. Et au milieu même du camp de concentration d’Auchwitz, il a pu le faire perdurer, le faire briller, et cette joie s’est étendue encore jusqu’aujourd’hui.

Je crois qu’il faut se le rappeler, chers frères et sœurs, que c’est notre rôle à nous religieux, quand le monde sombre, quand il change, que nous manifestions notre attachement aux choses qui ne bougent pas, qui changent pas, et d’être pour le monde un source de paix.
Mais c’est aussi votre rôle, chers frères et sœurs : s’attacher à ce qui ne change pas. C’est important, notamment pour les plus jeunes, de trouver ce rocher. Ma vie peut connaître des ratés, des déboires sentimentaux, des échecs professionnels ou aux examens, si le Seigneur est là, je n’ai rien à craindre, je suis en paix.

J’aime cette phrase relativement inattendue de Saint François de Sales :

« Mon unique préoccupation état d’établir mon cœur dans une paix profonde… »

Il ne parle pas d’aller sauver les âmes, il ne parle pas de conversion, mais d’établir son cœur dans une paix profonde, dans ce qui ne bouge pas.

Le retour du Christ pour nous établir dans la paix ?

Prenons un dernier point : le retour du Christ est-il une bonne nouvelle ?
Quand on entend les Dies irae dans les Requiem ou quand on voit les jugements derniers dans la cathédrale d’Amiens, les danses macabres ici ou ailleurs, ça fait plutôt peur et l’on a envie de fuir !

Pourtant l’Écriture nous dit le contraire : dans le livre de Malachie, le Seigneur est présenté comme cette fournaise ardente et comme ce soleil qui n’est pas là pour nous consumer mais qui nous guérit. Voyez comme c’est beau : ce rayonnement du Seigneur en gloire, c’est aussi Lui qui apporte la guérison dans ses rayons.

Peut-être envisageons-nous ces derniers moments du jugement comme un moment de grand déballage où l’on va connaître tout ce que chacun avait dans le cœur, la mise à plat de toutes nos turpitudes, de toutes nos hontes… on va passer un mauvais quart d’heure !
Pourtant, ce que nous dit Saint Paul est tout à faire différent :

« Ne portez aucun jugement avant le moment fixé, avant le retour du Seigneur. Car, alors, il mettra en lumière ce qui était caché dans les ténèbres, il dévoilera les intentions du cœur.
Chacun recevra la louange qui lui revient. »

Cela semble plutôt sympathique ! bien entendu, il y aura des choses à redresser, mais ne craignons pas Dieu, sinon nous risquons de nous éloigner de Lui. Le parfait amour bannit la crainte.
Offrons-Lui nos faiblesse, nos difficultés, nos mauvais mouvements… Si, comme je le disais au début, notre vie ne tolère pas de brouillon, en revanche, elle est entièrement recouverte, entièrement assumée par la Passion et la Résurrection du Seigneur qui la sort de sa boue pour la faire briller, si nous nous livrons à Sa miséricorde.

Demandons à la Vierge-Marie qu’Elle nous enseigne cette confiance.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Malachie 3,19-20a.
  • Psaume 98(97),5-6.7-8.9.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 3,7-12.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 21,5-19 :

En ce temps-là, comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara :
— « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. »
Ils lui demandèrent :
— « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
Jésus répondit :
— « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux !
Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume.
Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel. »
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom.
Cela vous amènera à rendre témoignage.
Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer.
Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »