Homélie du 33e dimanche du Temps Ordinaire

14 novembre 2022

« Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer. »

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Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs,

Autrefois, il y avait des missions paroissiales. Les religieux se rendaient dans des paroisses au moment du Carême, en général, et ils prêchaient dans les rues et dans les églises. C’était dans le but de ramener les gens au Bon Dieu dans cette période particulière de conversion.

Il y avait des moments très attendus, notamment une cérémonie sur les fins dernières où les orgues, spécialement au moment de l’évocation de l’enfer, étaient équipés d’instruments qui faisaient entendre des grincements et des roulements sinistres. Ainsi, les religieux spécialistes de ces missions, les Rédemptoristes, avaient été surnommés les « Rédempterroristes » !

On cherchait effectivement la conversion, mais au prix de la crainte. Ce n’était pas tant de croire qui était important, mais surtout de craindre.

Il y a une courtisane qui répondait si justement à cette question qu’on lui posait : « Croyez-vous à l’Enfer ? » Elle répondait : « Non, je n’y crois pas, mais j’en ai peur… »

On comprend qu’avec de telles considérations, on évitait de parler des fins dernières, de l’Enfer, du Ciel et du Purgatoire.

Mais, n’est-il pas opportun avec cette fin d’année liturgique et les textes qui nous sont proposés de regarder cette fin dernière avec une nouvelle intelligence ?
Écoutons plutôt Jésus en profitant des circonstances :

Comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. »

Quand on fréquente un peu la Bible, on va remarquer qu’à chaque fois qu’il est question des temps ultimes, les textes vont souligner la disparition du Mal, certes, mais aussi des splendeurs qui nous entourent. Ce Temple est une splendeur, il est une merveille !
Je pense à la ruine de Tyr, dans le prophète Ezékiel, qui est à mon sens un des plus beaux passages de la littérature universelle, cette ville du Liban qui est comparée à un navire qui sombre petit à petit, un navire somptueux qui sombre dans les eaux.
Et dans l’Apocalypse, je vous cite la ruine de Babylone, qui ne parle pas de corruption dans ce passage là :

« La voix des joueurs de cithare et des musiciens, des joueurs de flûte et de trompette, chez toi ne s’entendra jamais plus. Aucun artisan, aucun métier ne se trouvera jamais plus. La lumière de la lampe chez toi ne brillera plus. »

On évoque toute une ruine de civilisation valeureuse et belle, mais pourquoi cela ? Une seule chose compte qui doive passer dans l’Éternité : c’est notre cœur.

Jean-Paul II disait aux jeunes :

« Vous valez ce que vaut votre cœur. »

Or, nous l’oublions bien souvent, notamment par tous les intérêts que nous portons au monde qui nous entoure et qui nous distrait de cette attention au cœur. J’aime les belles voitures, j’aime immodérément le golf, la musique, les voyages ou mon look, mais est-ce que ça ne devient pas parfois mon unique horizon ?

Avec un frère, nous évoquions le film avec Jean Dujardin : Le daim. Il s’agit d’un jeune homme fanatique de son blouson et veut tout faire pour garder la suprématie de ce vêtement, prêt à tout pour le conserver. C’est plus profond que cela en a l’air.

Saint Paul nous dit :

« Si vous achetez, faites comme si vous n’achetiez pas.
Que ceux qui se marient fassent comme s’ils ne se mariaient pas. »

Alors, vous qui vous préparez sans doutes à ce sacrement du mariage, il est bon que ce ne soit pas votre unique horizon. Parfois, en surinvestissant la signification de l’acte que vous allez déposer, vous vous bloquez. Cette décision est grave mais il y a plus grand encore : c’est la décision ultime qui est le choix pour Dieu ou non au plus profond de votre cœur.

Voilà ce que peut nous apporter cette contemplation des derniers temps. Se mettre devant les Cieux que l’on roule, devant la terre que l’on roule, comme dit l’Écriture - comme si c’était un tissu – c’est finalement se mettre devant soi-même et se demander : « Qui suis-je ? »

Nous vivons aujourd’hui par rapport à nous-même sous un régime voilé qui nous pousse à nous demander ce que nous valons vraiment : « Suis-je de ceux qui craignent Dieu » comme le dit Malachie dans la première lecture, ou au contraire « Suis-je dans le camp de arrogants »… comment le savoir ?
Nous ne pouvons pas nous juger, et encore moins juger les autres. Mais il y a une chose de laquelle nous pouvons être certains, c’est que nous voulons la vérité sur nous-mêmes. Nous ne voulons pas rester dans l’incertitude.

Cette quête de vérité sera comblée au moment du jugement, au moment du retour du Seigneur. C’est une terrible souffrance que d’être dans l’incertitude, et l’absence du jugement nous y condamnerait. Au moment du jugement, nos options les plus profondes vont émerger. Et pour les évoquer, il est important de savoir de quoi nous sommes capable : du meilleur comme du pire. Aujourd’hui, avec cette pensée plus ou moins « Bisounours » de bienveillance – « Nous irons tous au Paradis » comme disait Polnareff – on a gommé tout ce qui a touché nos cœurs et nos mentalités, nous avons perdu cette dramatisation de l’option que je peux poser dès cette terre :

Oui, dans une première option, je suis capable de totalement refuser Dieu totalement. Il ne s’agit nullement d’envoyer des personnes en Enfer, mais plutôt de l’évoquer comme une possibilité pour moi, de remettre toute la responsabilité que j’ai par rapport à cette destiné éternelle. Nul ne va en Enfer contre son grès. Il y a presque comme une satisfaction d’y être : « J’ai fait ce que j’ai voulu. ».
Le Seigneur n’a pas mis de garde fou devant cet immense précipice, car Il m’estime trop pour cela, Il estime trop ma liberté.
Vous le savez peut-être, il y a cette phrase au dessus de l’Enfer de Dante :

« L’amour m’a fait. »

Il faut peut-être aussi voir que, dès cette terre, nous sommes tout à fait capables de nous créer un enfer ou de le créer pour les autres. Cela commence dans nos propres vies par nos petits refus de pardon, nos petites duretés, l’affirmation indue de nous-mêmes sur lesquelles nous ne voulons pas revenir… cela s’accumule et se cristallise.

Et si nous restons fidèles à cette option, cela peut nous couper de Dieu. Il ne s’agit pas toujours d’avoir commis de gros péchés, ceux-ci sont suffisants à nous éloigner du Seigneur.
Si nous parlons de l’Enfer, n’oublions pas qu’il y a un autre côté de la médaille : il y a le Ciel et la possibilité libre de choisir Dieu de tout son être, de toutes ses forces.

Voilà aussi de quoi je suis capable : vivre le don de soi-même à Dieu en plénitude, l’oubli de soi. C’est si important de se redire cela pour soi-même… Nous devons viser le Ciel directement au terme de notre vie, et non pas le purgatoire. Le concile a rappelé que la sainteté est une option universelle et elle est la plénitude de la charité.

Le Pape François a voulu illustrer cet appel universel à la sainteté en nous disant :

« Il y a des Saints à la porte à côté ! »

Il l’a développé dans un de ces très beaux textes : il y a par exemple cette maman célibataire qui élève héroïquement son enfant et qui trouve dans le Seigneur son réconfort et sa paix. Il y a aussi ce malade qui, après un temps de révolte, accepte sa maladie, qui l’offre au Seigneur et vit de prière et d’attention aux autres. Et cette personne âgée qui refuse de s’aigrir, ces jeunes qui restent purs au milieu d’une génération pervertie…
Nous sommes appelés à cette plénitude.

Certes, au moment de notre mort, il y aura encore pas mal de poussière dans notre cœur, encore pas mal de ménage à faire, alors, pas de panique il y a l’option du purgatoire. Elle existe, et c’est une bonne nouvelle ! Soyons réalistes : nous ne serons peut-être pas au maximum de l’amour quand nous serons appelés à contempler le Bon Dieu.

Qu’est-ce que le Purgatoire ? C’est le soleil de Dieu qui consume toutes nos iniquités, comme le dit la première lecture :

« Il apportera la guérison dans son rayonnement. »

S’exposer à l’amour tout en se disant que l’on en a pas été digne, voilà ce que c’est que le purgatoire.
Mais, comme vous le savez, on va au purgatoire contre son grès, ce n’est pas avec satisfaction qu’on y entre… alors, autant le demander sur le terre !

En étant sur la terre et en demandant ces purifications, il y a justement cette possibilité d’accéder à cette plénitude de l’amour. Il faut demander au Seigneur d’avoir assez de jours dans notre vie pour être prêts. Et assez d’épreuves aussi. Mais Il saura les doser pour nous purifier.

Que se passe-t-il quand on fait son purgatoire sur la terre ? Notre cœur peut continuer à l’élargir. Notre capacité d’amour peut continuer à s’étendre. En revanche, une fois que l’on a franchi la barrière de l’Éternité, tout est bloqué. Notre « petite verre » restera un « petit verre », selon l’image que prenait Sainte Thérèse.

Comment cela se passera-t-il au Ciel pour que chacun vive en plénitude de bonheur ? À ce sujet, elle répond en parlant de petits verres et de grands verres. Ainsi, ceux qui auront un amour héroïque auront des très grands verres, et ceux qui auront fait juste ce qu’il faut auront des petits verres, et chaque verre sera rempli.
Par conséquent, ayons non seulement l’ambition d’avoir des verres remplis, mais aussi d’avoir des grands verres !…

C’est comme cela que l’on fera du bien à l’Église, c’est comme cela qu’on changera le monde.

Enfin, je vous laisse juste cette belle prière que l’on dit parfois à la fin de la confession pour inviter à faire de notre séjour sur la Terre une belle phase de purification :

Que la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, les prières de la Vierge-Marie et de tous les Saints, ce que vous ferez de bien et supporterez de pénible contribue au pardon de vos péchés, augmente en vous la grâce et vous mérite la Vie Éternelle.

Que Marie Porte du Ciel nous accompagne sur ce chemin et nous ouvre grand les bras à l’heure de notre mort,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre de Malachie 3,19-20a.
  • Psaume 98(97),5-6.7-8.9.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 3,7-12.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 21,5-19 :

En ce temps-là, comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara :
— « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. »
Ils lui demandèrent :
— « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
Jésus répondit :
— « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux !
Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume.
Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel.
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage.
Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer.
Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom. Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.
C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »