Homélie du 3e dimanche de Pâques

22 avril 2010

Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :
« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
Il lui répond : « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »

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Texte de l’homélie :

Reconnaissance du Ressuscité

Nous pouvons être surpris par la lenteur des apôtres dans l’évangile de ce jour.
En effet, dimanche dernier, nous avons entendu le récit évangélique des deux premières apparitions au Cénacle. Thomas qui n’était pas là à la première apparition voulait en avoir le cœur net et déclara :

« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets la main dans son côté, non, je n’y croirai pas. »

Quand Jésus lui apparaît huit jours plus tard, Il lui dit :

« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant ! »

On ne sait pas si de fait Thomas a mis les doigts dans les plaies de Jésus (comme le représentent certains tableaux), mais en tout cas, il eut foi en la Résurrection.

Ici, dans un premier temps, Thomas ne reconnaît pas Jésus. En effet, au début du récit de la pêche miraculeuse, on nous dit :

« Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. »

A la fin du récit, on nous dit quelque chose d’un peu étrange :

« Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? »
Ils savaient que c’était le Seigneur. »

Cela laisse à penser qu’ils savent que c’est Jésus ; cependant, ils ne le savent pas en vertu d’une connaissance expérimentale, un peu comme celle que l’on peut avoir dans les laboratoires. Ils le savent par une illumination intérieure. Ils en portent la conviction intime car des signes leur parlent. Il ne s’agit pas de voir des signes partout ; chaque signe demande en effet une interprétation.

Dans sa Lettre apostolique Mane nobiscum Domine, Jean-Paul II, en parlant des disciples d’Emmaüs, disait quelque chose de très intéressant. En effet, lorsque saint Luc nous dit : « Ils le reconnurent à la fraction du pain » (Lc 24, 35), Jean Paul II commente :

« Il est significatif que les deux disciples d’Emmaüs, bien préparés par les paroles du Seigneur, l’aient reconnu, alors qu’ils étaient à table, au moment du geste simple de la « fraction du pain ».
Lorsque les esprits sont éclairés et que les cœurs sont ardents, les signes « parlent ».
L’Eucharistie se déroule entièrement dans le contexte dynamique de signes qui portent en eux-mêmes un message dense et lumineux.
C’est à travers les signes que le mystère, d’une certaine manière, se dévoile aux yeux du croyant. » (n° 14)

Cela aide à comprendre pourquoi certains reconnaissent le Seigneur plus vite que d’autres : ils y sont mieux préparés. C’est le « disciple bien-aimé » qui le reconnaît le premier, comme cela a déjà été le cas lorsqu’il a vu le tombeau vide.
Là aussi ils « voient » quelque chose : la pêche miraculeuse, le poisson sur la braise quand ils débarquent. Mais il y a un pas ultérieur à faire.

D’autre part, nous voyons qu’il ne s’agit pas tant de connaître une idée : « la Résurrection » mais de rencontrer une personne : « le Ressuscité ». C’est très différent.
Or dans les récits après Pâques, l’accent n’est pas mis tant sur la conviction de la Résurrection mais sur la reconnaissance de la personne du Ressuscité.
Pour nous aussi, il ne s’agit pas tellement d’avoir des idées claires sur la Résurrection mais de rencontrer le Christ Ressuscité. C’est tout à fait clair dans un certain nombre de récits d’apparitions du Seigneur après sa Résurrection : on voit bien que Marie-Madeleine ne se trouve pas devant une idée.
Il en va de même de Pierre et de Jean et des autres apôtres.

Pour nous chrétiens, il est important de pouvoir réciter notre credo. Mais la foi ne s’arrête pas là. Nous sommes appelés à faire une rencontre la plus personnelle possible avec le Seigneur. Et cela ne se fait que dans une certaine disponibilité intérieure, quand nous prenons le temps de nourrir nos intelligences et d’offrir notre amour au Seigneur.
S’il y a eu un certain nombre d’apparitions après Pâques, c’est pour que, petit à petit, les apôtres apprennent à mieux discerner la présence du Ressuscité lorsqu’Il se manifeste.

Pour nous, ce temps de Pâques est un temps particulier où nous sommes appelés à discerner la présence du Ressuscité dans nos vies.

La mission

Les disciples ne sont pas lents seulement pour reconnaître le Ressuscité mais aussi pour se mettre à l’œuvre pour la mission. Dès le soir de Pâques, Jésus envoie sur eux son Esprit. Mais on les voit là un peu désœuvrés qui suivent Pierre à la pêche.
Dans cette situation comme dans d’autres, nous voyons bien que Pierre est un meneur.

Pêche miraculeuse

Cette pêche miraculeuse donne l’impression que Jésus a voulu pour ainsi dire imager, donner un contenu plus concret à la demande qu’Il a déjà faite d’évangéliser, afin qu’ils se mettent en route. La pêche symbolise ce qu’ils sont appelés à faire et qu’ils n’ont pas encore compris en Jn 20.
Le nombre de poissons (153) a donné lieu à diverses interprétations. Selon saint Jérôme, cela correspond au nombre des espèces de poissons répertoriées dans la Méditerranée par les zoologistes grecs à cette époque. Cette image de la pêche des 153 poissons indique donc l’évangélisation avec sa dimension d’universalité.

On voit bien que laissés à leurs seules forces, les apôtres rentrent bredouilles. C’est lorsqu’ils jettent les filets sur l’ordre de Jésus qu’ils font une pêche abondante.
On voit l’impuissance humaine quand il s’agit de conversions. Seul Dieu peut convertir.

Un deuxième miracle s’ajoute à celui de la pêche : le fait que le filet ne se déchire pas. Il ne suffit pas d’évangéliser tous azimuts. Encore faut-il maintenir dans l’unité ceux qui se convertissent. Pierre a là un rôle très important.
Saint Jean a déjà évoqué cette unité à plusieurs reprises : dans la prière sacerdotale (Jn 17, 19-20), dans la parabole du bon berger qui travaille à un seul troupeau (Jn 10, 16), dans la tunique non déchirée (Jn 19, 23-24).

Pierre, berger des brebis

Une deuxième image vient compléter celle de la pêche pour décrire la mission des apôtres. Il s’agit de l’image du pasteur qui doit prendre soin de chaque brebis en particulier. Si la pêche décrit davantage la dimension d’universalité, la brebis indique la sollicitude personnalisée pour chaque personne évangélisée. L’une peut indiquer un premier moment de la mission, l’autre un soin particulier apporté à chacun. Dans cette deuxième image, il est davantage question de l’amour.

On a vu la spontanéité de Pierre et son amour de Jésus. Mais cet amour doit aussi se reporter sur les brebis. Au moment où Il confie aux apôtres et à Pierre en particulier leur mission auprès des autres, Il recentre les choses sur l’amour. L’évangélisation ne peut jamais être un métier comme les autres. Il faut s’y donner tout entier.

La Résurrection ne supprime pas la faiblesse

Ce qui est premier par rapport à la mission, c’est la relation personnelle avec le Christ. Aussi il est beau de voir l’itinéraire de Pierre. Il est passé d’une profession de foi à une profession d’amour. Mais surtout, il ne s’appuie plus sur ses pauvres capacités mais sur la grâce de Dieu.

L’amour de Pierre avant la mort et la résurrection

Il y a l’appel sur les rives du Lac de Galilée, puis la confession de foi :

« Tu es le Christ, le Messie. »

Un autre événement significatif est la multiplication des pains. Lorsque Jésus demanda aux Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », Pierre réagit avec l’élan de son cœur généreux, guidé par l’Esprit Saint. Au nom de tous, il répondit par les paroles immortelles, qui sont aussi les nôtres :

« Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu/ » (cf. Jn 6, 66-69)

La générosité impétueuse de Pierre ne le sauve pas des risques liés à la faiblesse humaine. C’est d’ailleurs ce que nous pouvons reconnaître nous aussi en observant notre propre vie. Pierre a suivi Jésus avec élan, il a surmonté l’épreuve de la foi, en s’abandonnant à Lui. Toutefois, le moment vient où lui aussi cède à la peur et tombe : il trahit le Maître (cf. Mc 14, 66-72).
L’école de la foi n’est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et d’amour, d’épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait promis une fidélité absolue, connaît l’amertume et l’humiliation du reniement : le téméraire apprend l’humilité à ses dépends. Pierre doit apprendre lui aussi à être faible et à avoir besoin de pardon.
Lorsque finalement son masque tombe et qu’il comprend la vérité de son cœur faible de pécheur croyant, il éclate en sanglots de repentir libérateurs. Après ces pleurs, il est désormais prêt pour sa mission.

L’amour de Pierre après la mort et la Résurrection

  • On voit une certaine purification de l’amour de Pierre. Jésus lui demande : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Ce comparatif a du faire un peu mal à Pierre qui, avant son triple reniement, n’hésitait pas à dire : « Seigneur, je donnerai ma vie pour toi ! » (Jn 13, 37). Mais, il laisse ensuite tomber le comparatif dans sa réponse à Jésus :

    « Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais. » (Mt 26, 33)

  • Il y a encore un deuxième acte d’humilité qui transparaît à travers un jeu de verbes très significatif. En grec le verbe filéo exprime l’amour d’amitié, tendre mais pas totalisant, alors que le verbe agapáo signifie l’amour sans réserves, total et inconditionnel. La première fois, Jésus demande à Pierre : « Simon… m’aimes-tu ? (agapâs-me) avec cet amour total et inconditionnel (Jn 21, 15) ? »
    Avant l’expérience de la trahison l’Apôtre aurait certainement dit : « Je t’aime (agapô-se) de manière inconditionnelle ». Maintenant qu’il a connu la tristesse amère de l’infidélité, le drame de sa propre faiblesse, il dit avec humilité : « Seigneur, je t’aime bien (filô-se) », c’est-à-dire « je t’aime de mon pauvre amour humain ».
    La troisième fois, Jésus dit seulement à Simon : « Fileîs-me ?, « tu m’aimes bien ? ». Simon comprend que son pauvre amour suffit à Jésus, l’unique dont il est capable, mais il est pourtant attristé que le Seigneur ait dû lui parler ainsi. Il répond donc : « Seigneur, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime (filô-se) ». On pourrait dire que Jésus s’est adapté à Pierre, plutôt que Pierre à Jésus !
  • Et enfin, Pierre ne se regarde pas lui-même mais laisse le soin à Jésus de sonder son cœur : « Tu sais tout, tu sais que je t’aime ». Il ne s’appuie plus sur lui-même mais sur Jésus. A partir de ce moment, Pierre a « suivi » le Maître, clairement conscient de sa propre fragilité ; mais cette conscience ne l’a pas découragé. Il savait en effet qu’il pouvait compter sur la présence du Ressuscité à ses côtés.
    De l’enthousiasme naïf de l’adhésion initiale - en passant à travers l’expérience douloureuse du reniement et des pleurs de la conversion - Pierre est arrivé à mettre sa confiance en ce Jésus qui s’est adapté à sa pauvre capacité d’amour. Et il nous montre ainsi le chemin à nous : nous savons que Jésus s’adapte à notre faiblesse. Nous le suivons, avec notre pauvre capacité d’amour et nous savons que Jésus est bon et nous accepte.

Il est important d’observer que la faiblesse de Pierre (et de Paul) montre que l’Église est fondée sur la puissance infinie de la grâce (cf. Mt 16, 17 ; 2 Co 12, 7-10). C’est comme si le Seigneur lui-même avait voulu lui dire :

« Souviens-toi que toi aussi tu es faible, que toi aussi tu as constamment besoin de te convertir. Tu ne peux affermir les autres que si tu as conscience de ta propre faiblesse. » (Jean-Paul II, Entrer dans l’espérance, Paris 1994, p. 231)

« La confiance et le pardon du Maître ont fait de Pierre une personne nouvelle, forte, fidèle jusqu’à la mort. (…) Pierre sera enfin en mesure de tenir sa promesse de donner sa vie pour le Christ. » (Cantalamessa)

Lorsqu’il pensait être fort, Pierre a renié le Christ ; lorsque, conscient de sa faiblesse, il s’est remis au Christ, il a pu être fidèle jusqu’à la mort, la mort de la Croix.

Que la rencontre du Ressuscité nous aide à aller de l’avant, avec nos faiblesses, mais en sachant que nous pouvons compter sur la grâce de Dieu !

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 5,27b-32.40b-41.
  • Psaume 30(29),3-4.5-6ab.6cd.12.13.
  • Lettre de l’Apocalypse 5,11-14.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 21,1-19 :

En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment.
Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples.
Simon-Pierre leur dit :
— « Je m’en vais à la pêche. »
Ils lui répondent :
— « Nous aussi, nous allons avec toi. »
Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.

Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit :
— « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? »
Ils lui répondirent :
— « Non. »
Il leur dit :
— « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. »
Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons.
Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre :
— « C’est le Seigneur ! »
Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.
Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres.

Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain.
Jésus leur dit :
— « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »
Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.
Jésus leur dit alors :
— « Venez manger. »
Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? ». Ils savaient que c’était le Seigneur.
Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson.
C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.
Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
Il lui répond :
— « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le berger de mes agneaux. »
Il lui dit une deuxième fois :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? »
Il lui répond :
— « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le pasteur de mes brebis. »
Il lui dit, pour la troisième fois :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »
Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? » Il lui répond :
— « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »