Homélie du troisième dimanche de Pâques

3 mai 2022

Jésus lui dit : « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »

Écouter l’homélie

Texte de l’homélie

Chers frères et sœurs : il faut du temps ! Il faut du temps pour reconnaître Jésus ressuscité ; il faut du temps pour se lancer dans la mission ; il faut du temps pour vraiment aimer Jésus.

Bien sûr, il y a des étincelles, des éclairs, des moments d’illumination. Mais il faut relier tous ces points pour former une ligne. Il faut beaucoup de points pour faire une ligne. Nous ne sommes pas des anges qui font tout dans l’instant ; nous sommes des humains bien incarnés. Il faut du temps pour grandir et s’affermir.

Je vais donc souligner plus particulièrement le temps que les apôtres ont mis pour reconnaître Jésus ressuscité ; le temps qu’ils ont mis pour se lancer dans la mission ; le temps qu’il a fallu pour purifier l’amour de Pierre pour Jésus.

Reconnaissance de Jésus ressuscité

Lenteur à reconnaître Jésus

Nous pouvons être surpris par la lenteur des apôtres dans l’évangile de ce jour. En effet, dimanche dernier, nous avons entendu le récit évangélique des deux premières apparitions au Cénacle. Thomas qui n’était pas là à la première apparition voulait en avoir le cœur net et déclara :

« Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l’endroit des clous, si je ne mets la main dans son côté, non, je n’y croirai pas. »

Quand Jésus lui apparaît 8 jours plus tard, il lui dit :

« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant. »

Reconnaissance à sa manière d’agir

Les disciples sont donc bien au courant que Jésus est ressuscité. Pourtant, dans l’évangile de ce jour, ils ne le reconnaissent pas tout de suite. Au début du récit, on nous dit :

« Jésus était là, sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. »

A la fin du récit, on nous dit quelque chose d’un peu étrange :

« Aucun des disciples n’osait lui demander : ’Qui es-tu ?’ Ils savaient que c’était le Seigneur. »

Cela laisse à penser qu’ils savent que c’est Jésus ; ils en ont la conviction intérieure. Cependant, ils ne le savent pas en vertu d’une connaissance expérimentale : il ne reconnaissent pas à ses traits physiques, à son apparence extérieure ou au timbre de sa voix ; ils le reconnaissent à sa manière de parler, d’agir. Cette pêche miraculeuse leur remet en mémoire une autre pêche miraculeuse, au moment où ils se sont mis à la suite de Jésus (Luc 5).
A ce moment-là, Jésus avait dit à Pierre :

« Avance au large, et jetez les filets pour prendre du poisson. » (Lc 5, 4)

Il en va de même pour nous : ce n’est pas en voyant une apparition mais plutôt la manière de faire du Christ que nous pouvons le reconnaître comme vivant et agissant. S’il y a eu un certain nombre d’apparitions après Pâques, c’est pour que, petit à petit, les apôtres apprennent à mieux discerner la présence du Ressuscité lorsqu’il se manifeste.
Pour nous, ce temps de Pâques, c’est un temps particulier où nous sommes appelés à discerner la présence du Ressuscité dans nos vies.

Connaître Jésus ressuscité plus que la résurrection

Nous voyons qu’il ne s’agit pas tant de connaître une idée : « la résurrection » mais de rencontrer une personne : « le Ressuscité ». C’est tout différent. Or dans les récits après Pâques, l’accent n’est pas mis tant sur la conviction de la résurrection mais sur la reconnaissance de la personne du Ressuscité.
Pour nous aussi, il ne s’agit pas tellement d’avoir des idées claires sur la résurrection mais de rencontrer le Christ Ressuscité.

Cela apparaît très clairement dans la première lecture de ce jour. Les apôtres ne sont pas attachés à une idée – la résurrection –, ils sont attachés à une personne – Jésus – dont ils parlent avec chaleur et conviction. Ce n’est pas un discours sur la résurrection mais sur Jésus.
Comme aime le dire José Prado Flores, fondateur d’une école d’évangélisation :

« Paul a échoué à l’Aéropage car il a parlé de la Résurrection mais non de Jésus ressuscité » ! (cf. Ac 17,16-34)

S’adonner à la mission

Lenteur à se mettre à l’œuvre

Les disciples ne sont pas lents seulement pour reconnaître le Ressuscité mais aussi pour se mettre à l’œuvre pour la mission. Dès le soir de Pâques, Jésus envoie sur eux son Esprit. Il leur confie une très belle mission de réconciliation :

« Recevez l’Esprit Saint. Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus. » (Jn 20, 23)

Il y a un vrai envoi :

« De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » (Jn 20, 21)

Mais on les voit là, un peu désœuvrés, qui suivent Pierre à la pêche.

Sans doute les apôtres ne savent-ils pas très bien comment s’y prendre pour assumer leur mission. En tout cas, ils attendent un peu passivement que leur mission se réalise.
Nous voyons là toute l’inertie de notre humanité : nous avons souvent besoin de temps pour assimiler les grâces reçues. Nous sommes souvent longs à la détente lorsqu’il s’agit de la mission. Les Apôtres croyaient déjà en Jésus ressuscité mais une chose est de croire, une autre de commencer à témoigner de lui.

Pêche miraculeuse

Cette pêche miraculeuse donne l’impression que Jésus a voulu pour ainsi dire imager, donner un contenu plus concret à la demande qu’il a déjà faite d’évangéliser, afin qu’ils se mettent en route. Déjà, lors de la pêche miraculeuse de leur appel Jésus avait dit à Pierre :

« Sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras. » (Lc 5, 10)

La pêche symbolise ce qu’ils sont appelés à faire et qu’ils n’ont pas encore compris en Jn 20. On voit bien que laissés à leurs seules forces, les apôtres rentrent bredouilles. C’est lorsqu’ils jettent les filets sur l’ordre de Jésus qu’ils font une pêche abondante. On voit l’impuissance humaine quand il s’agit de conversions. Seul Dieu peut convertir.

  • Universalité : le nombre de poissons (153) a donné lieu à diverses interprétations. Selon saint Jérôme, cela correspond au nombre des espèces de poissons répertoriées dans la Méditerranée par les zoologistes grecs à cette époque. Cette image de la pêche des 153 poissons indique donc l’évangélisation avec sa dimension d’universalité.
  • Unité : un deuxième miracle s’ajoute à celui de la pêche : le fait que le filet ne se déchire pas. Il ne suffit pas d’évangéliser tous azimuts. Encore faut-il maintenir dans l’unité ceux qui se convertissent. Pierre a là un rôle très important pour veiller à l’unité de l’Eglise. Saint Jean a déjà évoqué cette unité à plusieurs reprises : dans la prière sacerdotale (Jn 17, 19-20), dans la parabole du bon berger qui travaille à un seul troupeau (Jn 10, 16), dans la tunique non déchirée (Jn 19, 23-24).

Amour pour Jésus :

Une deuxième image vient compléter celle de la pêche pour parler de la mission des apôtres. Jésus établit un lien extrêmement clair entre l’amour que Pierre est appelé à avoir pour Jésus et sa mission de pasteur : « m’aimes-tu ? » … « paix mes brebis » ! Ce qui est premier par rapport à la mission, c’est la relation personnelle avec le Christ.

La purification de l’amour de Pierre

La générosité présomptueuse de Pierre

À diverses reprises, dans l’évangile, que ce soit après sa confession de foi – « Tu es le Christ, le Messie » – ou la multiplication des pains, nous voyons Pierre réagir avec l’élan de son cœur généreux :

« Seigneur, vers qui pourrions-nous aller ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu » (cf. Jn 6, 66-69)

La générosité impétueuse de Pierre ne le sauve pas des risques liés à la faiblesse humaine. Le moment vient où Pierre cède à la peur et tombe : il trahit le Maître (cf. Mc 14, 66-72). Comme le disait très bien Benoît XVI (24 mai 2006) :

« L’école de la foi n’est pas une marche triomphale, mais un chemin parsemé de souffrances et d’amour, d’épreuves et de fidélité à renouveler chaque jour. Pierre, qui avait promis une fidélité absolue, connaît l’amertume et l’humiliation du reniement : le téméraire apprend l’humilité à ses dépends. Pierre doit apprendre lui aussi à être faible et à avoir besoin de pardon. Lorsque finalement son masque tombe et qu’il comprend la vérité de son cœur faible de pécheur croyant, il éclate en sanglots de repentir libérateurs. Après ces pleurs, il est désormais prêt pour sa mission. »

L’humble amour de Pierre pour Jésus

Les trois questions de Jésus visent la purification de l’amour de Pierre.

« M’aimes-tu plus que… ? »

D’abord Jésus lui demande :

« Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? »

Ce comparatif a du faire un peu mal à Pierre qui, avant son triple reniement, n’hésitait pas à dire :

« Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais. » (Mt 26, 33 ; cf. Jn 13, 37)

Là, il laisse tomber le comparatif dans sa réponse à Jésus.

« Comment m’aimes-tu ? »

Il y a encore un deuxième acte d’humilité qui transparaît à travers un jeu de verbes très significatif. En grec le verbe filéo exprime l’amour d’amitié, tendre mais pas totalisant, alors que le verbe agapáo signifie l’amour sans réserves, total et inconditionnel. La première fois, Jésus demande à Pierre : « Simon… m’aimes-tu (agapâs-me) avec cet amour total et inconditionnel (Jn 21, 15) ? Avant l’expérience de la trahison l’Apôtre aurait certainement dit : « Je t’aime (agapô-se) de manière inconditionnelle ». Maintenant qu’il a connu la tristesse amère de l’infidélité, le drame de sa propre faiblesse, il dit avec humilité : « Seigneur, je t’aime bien (filô-se) », c’est-à-dire « je t’aime de mon pauvre amour humain ».
La troisième fois, Jésus dit seulement à Simon : « Fileîs-me – tu m’aimes bien ? ». Simon comprend que son pauvre amour suffit à Jésus, l’unique dont il est capable.

« Tu sais combien je t’aime ! »

Et enfin, Pierre ne se regarde pas lui-même mais laisse le soin à Jésus de sonder son cœur :

« Tu sais tout, tu sais que je t’aime. »

Il ne s’appuie plus sur lui-même mais sur Jésus. Pierre sait qu’il lui faudra s’appuyer non pas sur ses pauvres forces mais sur la puissance infinie de la grâce (cf. Mt 16, 17 ; 2 Co 12, 7-10). On ne peut bien œuvrer à la mission que dans la mesure où nous sommes conscients de notre propre fragilité tout en sachant que nous pouvons compter sur la présence du Ressuscité à nos côtés. Lorsqu’il pensait être fort, Pierre a renié le Christ ; lorsque, conscient de sa faiblesse, il s’est remis au Christ, il a pu être fidèle jusqu’à la mort, la mort de la Croix.

Chers frères et sœurs, il faut du temps pour reconnaître Jésus ressuscité, pour se lancer dans la mission, pour mieux aimer Jésus. Mais Jésus est patient et pédagogue. L’important, c’est de faire le pas qu’il attend de nous aujourd’hui.

Concrètement, cela peut être de prendre chaque soir un temps de prière pour discerner l’action de Jésus ressuscité dans la journée que nous venons de vivre. Cela peut être de voir ce que je peux faire concrètement pour témoigner de Jésus.

Par Marie, demandons la grâce de ne pas attendre pour nous lancer dans ce long apprentissage en nous laissant conduire docilement par Jésus.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre des Actes des Apôtres 5,27b-32.40b-41.
  • Psaume 30(29),3-4.5-6ab.6cd.12.13.
  • Livre de l’Apocalypse 5,11-14.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Jean 21,1-19 :

En ce temps-là, Jésus se manifesta encore aux disciples sur le bord de la mer de Tibériade, et voici comment. Il y avait là, ensemble, Simon-Pierre, avec Thomas, appelé Didyme (c’est-à-dire Jumeau), Nathanaël, de Cana de Galilée, les fils de Zébédée, et deux autres de ses disciples. Simon-Pierre leur dit :
— « Je m’en vais à la pêche. »
— Ils lui répondent :
— « Nous aussi, nous allons avec toi. »
Ils partirent et montèrent dans la barque ; or, cette nuit-là, ils ne prirent rien.

Au lever du jour, Jésus se tenait sur le rivage, mais les disciples ne savaient pas que c’était lui. Jésus leur dit :
— « Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? »
Ils lui répondirent :
— « Non. »
Il leur dit :
— « Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. »
Ils jetèrent donc le filet, et cette fois ils n’arrivaient pas à le tirer, tellement il y avait de poissons.
Alors, le disciple que Jésus aimait dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! »
Quand Simon-Pierre entendit que c’était le Seigneur, il passa un vêtement, car il n’avait rien sur lui, et il se jeta à l’eau.
Les autres disciples arrivèrent en barque, traînant le filet plein de poissons ; la terre n’était qu’à une centaine de mètres. Une fois descendus à terre, ils aperçoivent, disposé là, un feu de braise avec du poisson posé dessus, et du pain.
Jésus leur dit : « Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre. »
Simon-Pierre remonta et tira jusqu’à terre le filet plein de gros poissons : il y en avait cent cinquante-trois. Et, malgré cette quantité, le filet ne s’était pas déchiré.
Jésus leur dit alors : « Venez manger. »
Aucun des disciples n’osait lui demander : « Qui es-tu ? » Ils savaient que c’était le Seigneur.
Jésus s’approche ; il prend le pain et le leur donne ; et de même pour le poisson. C’était la troisième fois que Jésus ressuscité d’entre les morts se manifestait à ses disciples.

Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? »
Il lui répond :
— « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le berger de mes agneaux. »
Il lui dit une deuxième fois :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? »
Il lui répond :
— « Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le pasteur de mes brebis. »
Il lui dit, pour la troisième fois :
— « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? »
Pierre fut peiné parce que, la troisième fois, Jésus lui demandait : « M’aimes-tu ? »
Il lui répond :
— « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. »
Jésus lui dit :
— « Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. »
Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Sur ces mots, il lui dit : « Suis-moi. »