Homélie du 27e dimanche du Temps Ordinaire

6 octobre 2025

« De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »

Cette homélie a été prononcée au cours de la messe dominicale célébrée à l’église Saint-Germain de Compiègne.

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Texte de l’homélie

Nous sommes encore dans le chapitre XVIIe de Saint Luc, et vous le savez, ce passage que nous lisons depuis quelques dimanches, c’est la pédagogie du Seigneur qui s’installe et qui forme Ses disciples. Nous avions vu les questions relatives à l’argent dans les dimanches précédents, et cette fois-ci il s’agit d’autre chose. Il s’agit de la foi et du service.

Le signe de la mer

J’aimerais méditer avec vous sur la première analogie que le Seigneur prend avec l’arbre qui se plante dans la mer. Vous le savez, dans la Bible, il y a beaucoup de mentions d’arbres. Bien sûr, on pense au livre de la Genèse avec l’arbre de vie, cet arbre auquel le Seigneur demande de ne pas toucher. Mais il y a plusieurs arbres dans la Bible.

En me renseignant un peu, il y a une trentaine d’espèces d’arbres, que ce soit les chênes, les saules, les figuiers, plusieurs sont mentionnés. À chaque fois c’est le retour à cet arbre de la Genèse, à cet arbre de vie. Parce que qu’est-ce qu’un arbre, sinon un lieu où la sève coule et permet aux branches de grandir et au feuillage de pousser ?

« Dites à cet arbre de se planter dans la mer. »

Et quand Jésus dit cela, Il fait au contraire référence à la mort : vous le savez, dans la Bible, la mer est le signe du mal. Le peuple d’Israël n’est pas un peuple marin, c’est un peuple d’agriculteurs, c’est un peuple de pasteurs de troupeaux, et donc il voit dans les eaux un signe de souffrance, un signe de peur, un signe de ténèbres. Les grands monstres, ce sont des monstres marins.

Et qu’est-ce que dit Jésus ?

« Si vous aviez de la foi comme une graine de moutarde, qui est la plus petite des graines, et bien vous diriez à cet arbre de se planter dans la mer, et il vous obéirait. »

C’est-à-dire, si vous avez une attitude prophétique, un regard différent, et que vous voyez, oui, le monde des ténèbres, le monde de la souffrance devant vous, mais vous avez aussi cette grâce particulière de découvrir une source de vie, vous diriez à la source de vie de se planter dans la mort.

Au fond, à travers cette comparaison de l’arbre et de l’eau dans lequel il doit se tremper, c’est le mystère pascal. Comme dans le mystère pascal, ce qui est mort peut redevenir vivant. Quelle est la condition ? La condition, c’est d’avoir un regard différent parce que la foi, c’est le chemin du regard.

Dans nos existences, il y a des lieux à la fois de vie, et le Seigneur nous demande d’en prendre soin. Il y a des arbres aussi qui poussent, l’œuvre de Dieu qui grandit en nous et autour de nous, mais aussi dans nos vies, il y a des moments de ténèbres, il y a des moments de difficulté et d’incompréhension. Soit on peut dire que notre vie est absurde, soit on peut dire que notre vie est mystère. Et les deux peuvent se dire, et vous pourrez trouver des arguments dans les deux sens.

Nous qui sommes ici, à tâtons, nous choisissons le mystère. Il y a quelque chose qui nous dépasse. Et qu’est-ce que le Seigneur nous donne dans cette pédagogie ? Il nous donne d’avoir un regard différent, différent par rapport à ce monde d’absurde aussi qui est en nous et autour de nous : des choses que nous avons vécues, des choses dont nous sommes témoins, des choses que nous expérimentons où le monde se fait l’écho. On se dit : « mais pourquoi ? Pourquoi la souffrance du juste ? Pourquoi tant d’injustice ? Pourquoi tant de violence ? » etc.
Oui, on peut regarder ça et se laisser attirer par les ténèbres, se laisser attirer par la mer, qui est le lieu de l’incompréhension, le lieu des monstres, le lieu de la souffrance et de la violence.

Mais le Seigneur nous dit : « si vous aviez un regard différent, de la foi, autre chose que ce que vous montre la réalité, si vous alliez au-delà du visible pour aller dans l’invisible, alors oui, vous pourriez dire à ce qui est mort : « tu peux revivre et remonter à la surface si tu acceptes de découvrir que ce qui est vivant en toi peut aussi donner vie à d’autres. »

Alors, je trouve que c’est beau cette parabole de l’arbre et de l’eau, parce que précisément c’est la parabole de nos vies. Il y a un combat intérieur. La foi, c’est un combat. La foi, c’est quelque chose qui nous demande de découvrir un autre regard, c’est le chemin du regard de la foi, c’est des lunettes particulières, c’est un aspect prophétique. Celui qui a la foi, il voit autre chose que la réalité immédiate.
Certes, dans sa réalité, il voit les ténèbres, il voit la souffrance et la violence. Oui, bien sûr, nous la voyons - et la foi n’est pas une assurance-vie car nous sommes éprouvés comme les autres - mais il ne voit pas que ça. Il découvre que le Seigneur a semé dans son cœur une source de vie, une puissance de vie, un arbre qui pousse. Mais c’est aussi à nous d’avoir une attitude prophétique, un regard particulier pour découvrir justement cette source de vie et capable de vivifier tant et tant autour de nous.

Le signe de l’arbre

Mais dans la Bible, l’arbre - s’il est une référence à l’arbre de la Genèse, à cette source de vie - il est signe d’une verticalité. Parce que qu’est-ce que c’est qu’un arbre ? Si vous voyez un horizon et qu’un arbre pousse, c’est sur l’horizontalité, une verticalité qui émerge.
Les deux ne sont-ils pas liés ? L’arbre c’est celui qui fait le lien entre le ciel et la terre. Et c’est pour cela qu’il arrive que l’on compare les humains à des arbres. Je ne sais pas si vous vous souvenez ce passage où Jésus guérit un aveugle et qu’Il s’y reprend à plusieurs fois Il lui demande :

« Mais qu’est-ce que tu vois ? »
« Je vois comme des arbres qui s’agitent. »

En fait, il n’a pas la claire vision, parce que les arbres et les humains, c’est ce rapport entre le ciel et la terre, ils sont plantés pour faire le lien entre les deux.

En d’autres termes, cette verticalité est source de vie. Elle est condition de vie. Si on ne va pas au-delà de soi-même, si on ne va pas au-delà de ce qui est actuellement atteignable par nos propres forces, si on ne voit pas un chemin, un ailleurs, un au-delà qui nous donne et remplit d’espérance, il est impossible de se plonger dans la mer.
L’arbre c’est la verticalité, et au fond, quand vous voyez verticalité et source de vie, vous avez quoi ? L’Eucharistie.

Le signe de l’Eucharistie

L’Eucharistie, vous le savez, c’est le pain de vie. Devant l’Eucharistie on dit :

« Mon Seigneur et mon Dieu. »

Les deux sont là, et c’est pour ça qu’on participe de l’Eucharistie, car elle est en elle-même une pédagogie.
Comme Jésus forme Ses disciples au chapitre 17e de Saint Luc, à chaque Eucharistie, Il nous forme, car ce n’est pas intuitif. Mettre la vie là où il y a la mort est à l’inverse de notre intuition, tout comme ce n’est pas intuitif de se rappeler que nous sommes créatures face au Créateur.

En effet, il y a en nous quelque chose qui s’oppose à Dieu. Il y a en nous quelque chose qui est attiré de façon mortifère par le mal et l’injustice. C’est pour cela que l’on vient aux pieds du Seigneur, comme de simples serviteurs : nous venons recevoir sa parole et communier à Son corps et à Son sang, parce que, précisément, là est la source de vie et de la vie véritable, de la vie éternelle.

Quelle grâce d’être disciples de Jésus ! Quelle grâce ! Tant et tant voudraient vivre ce que nous vivons. Tant et tant voudraient aussi avoir accès à une espérance. Et donc, c’est l’occasion aussi pour nous de nous rappeler du témoignage que nous avons à donner, et demander au Seigneur que nous soyons assez courageux, avec assez de force. C’est ce que dit Saint Paul dans la deuxième lecture, de prendre et d’avoir assez des paroles solides :

« Tiens-toi un modèle donné par les paroles solides que tu m’as entendu prononcer. »

La force, c’est le courage. Pour choisir la vie, il faut du courage.
Vous vous rappelez ce passage de Deutéronome :

« Je mets devant toi la malédiction et la bénédiction, la mort et la vie, choisis la vie ! »

Oui le Seigneur nous exhorte : « Choisis la verticalité ! Choisis l’espérance ! »

La foi, c’est un choix. À un moment donné, il faut choisir. Absurde ou mystère, c’est un choix. Alors oui, c’est pas si simple tous les jours, certainement. Parfois, nous sommes comme le prophète Habacuc qui, précisément, il crie :

« Partout j’entends crier violence sans que tu ne sauves. Pourquoi me fais-tu voir le mal et regarder la misère ? »

Oui, bien sûr, il y a des moments comme ça dans nos vies où on désespère de Dieu, où Il peut même devenir notre ennemi. Mais il y a aussi des moments lumineux.

Ainsi, faisons mémoire de ces moments lumineux, de ces moments où l’on entrevoit un ailleurs, car, même si c’est modeste – comme une graine de moutarde – il y a quelque chose que l’on entrevoit qui va au-delà de nous-même, sinon nous ne serions pas dans cette assemblée. Si nous sommes venus, c’est que nous avons entrevu entre-vu, à tâtons, qu’il y a quelque chose qui va au-delà de nous-mêmes.

Alors, frères et sœurs bien-aimés, c’est une très belle page d’Évangile que le Seigneur nous donne, et à chaque fois que nous participons de l’Eucharistie, du partage de ce pain de vie, nous demandons à devenir des témoins d’un Dieu qui nous appelle des ténèbres à Son admirable lumière,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Habacuc 1,2-3.2,2-4.
  • Psaume 95(94),1-2.6-7ab.7d-8a.9.
  • Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 1,6-8.13-14.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 17,5-10 :

En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. »
« Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ?
Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ?
Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” »