Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
C’est ainsi que s’exprime notre Père Lamy. Et si on nous avait demandé quelle est pour nous la vertu caractéristique de la sainteté, nous n’aurions sans doute pas avancé celle-ci. Et pourtant, il y a beaucoup de profondeur dans ces quelques mots. Et je pense que les textes de ce jour nous invitent justement à essayer de sonder un peu plus ce qu’est la reconnaissance.
Pourquoi devons-nous remercier ?
Les textes du jour nous invitent à sonder cette vertu de la reconnaissance. Et tout d’abord nous invite à nous demander pourquoi rendre grâce. C’est certain que cela fait partie de l’éducation la plus fondamentale : dire « merci » et « s’il te plaît »…
Cela permet d’éviter de tomber dans un utilitarisme. Quand nous disons merci quand nous faisons nos courses, nous manifestons au marchand qui nous a vendu nos carottes, qu’il n’est pas simplement un distributeur automatique. Que nous le reconnaissons comme personne, nous reconnaissons son service, entre nous demeure une part de gratuité, et ça change tout !
Mais l’évangile nous permet de faire un pas de plus. Ces lépreux sont tout prêts dans leur détresse à se tourner vers Jésus, à Le confesser comme maître. Mais une fois guéris, ils l’oublient pour la plupart. Ils ont eu ce qu’ils voulaient, ils ne songent nullement à la gratitude. Ils ont fait de Jésus un thaumaturge, gratuit de surcroît…
Jésus nous fait réfléchir : un seul est revenu. Un seul a su faire le chemin inverse, un seul a eu assez de mémoire pour se souvenir de son histoire, de sa détresse pour se tourner vers Jésus et Le remercier. Mais ne croyons pas qu’il y perd : ceux qui n’ont pas remercié n’ont en fait pas reçu leur bienfait. Ils ont reçu la guérison, mais ils ne se la sont pas appropriée, comme un seau percé reçoit de l’eau puis la répand.
Peut être que le bienfait a touché leur corps - car désormais il est sain - mais pas leur cœur, pas leur âme. Et la soif plus profonde de leur cœur n’est pas étanchée. Car ce bienfait de Jésus, cette guérison, est signe d’un bienfait infiniment plus important encore : l’amour infini que Jésus nous porte, qui nous atteint dans toutes les dimensions de notre être, y compris les plus secrètes.
Qui ne remercie pas ne sera pas comblé :
« Vous mangez sans être rassasié »
Qui ne remercie pas sera toujours dans la revendication, et finalement dans l’amertume. Notre lépreux Samaritain, lui, n’a pas reçu cette guérison comme un dû, mais comme un don, et c’est pour ça qu’il est heureux…
« Il glorifie Dieu à pleine voix »
Pour que la réalité nous atteigne, nous soit bénéfique, remercions ! Il y a tant de raisons de le faire : la création qui nous entoure, la paix dont nous jouissons dans notre pays, la qualité de notre système de santé…
De quoi rendre grâce ?
Mais de quoi devons-nous rendre grâce ? Naaman est guéri, les dix lépreux également. Ce sont des bienfaits, voire des miracles. Mais s’il fallait attendre pareilles circonstances pour faire montre de reconnaissance, nos actions de grâce seraient quasi inexistantes…
Les psaumes nous indiquent d’autres chemins… tout d’abord ce grand psaume qu’on appelle le polyeleos en Grec, le psaume 134, qui signifie : « Dieu infiniment miséricordieux, » « les miséricordes de Dieu infinies »…
Il va décliner toute l’histoire d’Israël, de la création à l’installation en Terre Promise, en passant par la captivité en Egypte et l’exode au désert. Mais en ajoutant à chaque épisode, on entend comme un refrain :
« Car éternel est son amour ! »
Et rendre grâce pour ce temps au désert, c’est paradoxal. En réalité, tout le monde râlait à l’époque ! pas d’eau, ni de nourriture, mais les serpents pour compagnons…
Nous pouvons relire chacun des épisodes de nos vies en les faisant suivre de ces paroles : « car éternel est son amour ». nos joies : « j’ai rencontré celle qui sera ma femme, » « est né Jean mon aîné », car éternel est son amour ! Mais aussi nos peines, telle maladie, tel deuil ; voire tel péché, et nous rajoutons : « car éternel est son amour »…
Il faut le faire quand on est relativement apaisé par rapport à sa propre histoire. Et le fruit de cela c’est que notre vie s’unifie en profondeur. Tout, absolument tout en elle, devient le point d’application de l’amour de Dieu pour nous. Nous pouvons éprouver en notre for intérieur, vérifier, que « tout profite au bien de ceux qui aiment Dieu » comme dit Saint Paul, « même le péché » rajoute Augustin. Ou pour le dire autrement que « tout est grâce » !
Ce sont les derniers mots du curé de Campagne de Bernanos. Ce pauvre petit curé, dans son village du Boulonnais, infiniment seul, convaincu d’avoir échoué, moqué par les gamins du catéchisme, mais dont le cœur est absolument pur, et l’intention droite, et qui finalement aura transfiguré sa paroisse par sa sainteté, voilà qu’il déclare : « tout est grâce. » et qu’il meurt aussitôt.
Oui : pour arriver à dire « tout est grâce », il faut avoir longtemps et souvent rendu grâce.
Comment rendre grâce ?
J’aimerais terminer en évoquant un autre aspect : Comment remercier ? Nous en avons une belle illustration avec Naaman. Que fait-il ? il veut combler de bienfaits le prophète Élisée qui l’a guéri, il prépare ses cadeaux.
La réaction de Naaman est tout à fait juste. Nous voulons rendre grâce en donnant à notre tour. Mais voilà, nous voulons parfois, par ces bienfaits, être quitte, ne plus rien devoir, éteindre la dette. En fait, ça ne fonctionne pas : Élisée refuse ces cadeaux. Ce n’est pas le bon chemin.
Nous voulons donner quelque chose, mais c’est de notre être qu’il faut donner. Nous ne pouvons finalement rendre grâce sans nous donner à notre tour. C’est que fait maladroitement notre général syrien. Il emporte de la terre d’Israël sur laquelle il offrira des sacrifices et des holocaustes au Dieu des Hébreux, figures bien sûr d’un sacrifice plus intime : le don de lui-même.
Chers frères et sœurs, qu’est ce qui se passe en ce moment, dans cette célébration, cette eucharistie, action de grâce ? C’est Jésus qui est saisi par l’immense amour que le Père a pour les hommes ; cet amour qu’Il éprouve, Lui, Jésus, au plus profond de Son humanité.
Et que fait-Il ? Il rend grâce, trois petits mots juste avant les paroles de la consécration :
« Il prit le pain, Il rendit grâce. »
Mais Il va plus loin : Il Se dit que la seule façon de rendre grâce au Père, ce ne sont pas Ses paroles, Ses prières, c’est de S’offrir totalement à Lui. « Tu m’as façonné un corps, alors j’ai dit voici je viens pour faire ta volonté. »
Et voilà ce qu’est l’Eucharistie pour nous : partager l’action de grâce de Jésus, cet émerveillement devant la bonté du Père, et avec Jésus nous offrir à notre tour au Père, pour Lui dire notre reconnaissance.
Et plus le Père nous donnera, plus à notre tour nous serons amenés à nous donner.
Alors oui nous comprenons que la reconnaissance est la vertu des saints, la vertu du Saint, la vertu du Christ ! la vertu de Marie. Qu’elle soit aussi la nôtre. Que toute notre vie soit Eucharistie, offrande de reconnaissance, sacrifice d’action de grâce,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Deuxième livre des Rois 5,14-17.
- Psaume 98(97),1.2.3ab.3cd-4.
- Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 2,8-13.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 17,11-19 :
En ce temps-là, Jésus, marchant vers Jérusalem, traversait la région située entre la Samarie et la Galilée. Comme il entrait dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s’arrêtèrent à distance et lui crièrent : « Jésus, maître, prends pitié de nous. »
À cette vue, Jésus leur dit : « Allez vous montrer aux prêtres. »
En cours de route, ils furent purifiés.
L’un d’eux, voyant qu’il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix.
Il se jeta face contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce. Or, c’était un Samaritain.
Alors Jésus prit la parole en disant : « Tous les dix n’ont-ils pas été purifiés ? Les neuf autres, où sont-ils ?
Il ne s’est trouvé parmi eux que cet étranger pour revenir sur ses pas et rendre gloire à Dieu ! »
Jésus lui dit : « Relève-toi et va : ta foi t’a sauvé. »