Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs, l’objet de la parabole est clair : « la nécessité de toujours prier sans se décourager ». En effet, comme nous en faisons l’expérience il y a un vrai combat dans la prière, et en particulier dans la prière de demande. À partir de ce passage d’évangile, je désire porter mon attention sur trois choses :
- la prière comme lieu de purification sur ce que nous demandons ;
- la prière comme lieu de croissance de notre foi et de notre confiance en Dieu ;
- la prière comme lieu de collaboration avec Dieu.
La prière est un lieu de purification
Quand Jésus dit : « est-ce qu’il les fait attendre ? » nous aurions envie de dire « oui ». Même si Dieu « fait promptement justice », cela ne veut pas toujours dire immédiatement selon nos critères de temps. Dieu agit en profondeur, souvent de manière invisible.
Le fait de ne pas être exaucés tout de suite est éprouvant. L’attente nous apprend à purifier nos désirs. Il s’agit d’entrer dans la patience du Royaume (le temps de Dieu n’est pas le nôtre). Comme le dit saint François de Sales :
« Dieu ne refuse jamais la prière, mais il exauce à sa manière. »
Peut-être connaissez-vous cette phrase de C.S. Lewis, écrivain et penseur chrétien britannique (1898–1963), dans ses réflexions sur la prière — notamment dans Les Lettres à Malcolm :
Nous sommes appelés à nous décrisper par rapport à nos demandes, c’est à dire finalement laisser à Dieu sa liberté qui peut nous surprendre.
Au lieu de combler immédiatement nos manques, Dieu nous apprend à désirer mieux, à ordonner nos désirs à ce qui est vraiment bon, à chercher d’abord le Royaume (cf. Mt 6, 33). Ce processus est parfois douloureux : on commence la prière avec une demande bien précise, et on la termine avec une paix inattendue — sans avoir obtenu ce qu’on voulait, mais en ayant reçu quelque chose de plus profond : la présence de Dieu.
Autrement dit : la prière de demande devient un chemin de transformation intérieure. Ce que nous voulions au départ (un résultat, une faveur, une issue) devient moins important que Celui à qui nous nous adressons. Nous commençons la prière en voulant quelque chose ; nous la terminons en découvrant quelqu’un.
La prière est un lieu de croissance de notre foi et de notre confiance en Dieu
La parabole se termine par un « couplet » sur la foi. :
« Mais quand le Fils de l’homme viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Cette question finale de Jésus déplace l’attention. L’enjeu n’est plus : Dieu répond-il ? Mais : le croyant garde-t-il la foi jusqu’à la fin ?
La prière de demande est le lieu aussi d’un approfondissement de la confiance. Elle devient alors un apprentissage de la liberté intérieure : non plus dépendre du résultat, mais demeurer dans la confiance : Dieu agit au-delà de ce que nous voyons. Dieu n’est pas à notre botte pour exécuter ce que nous voulons ; il agit d’une manière beaucoup plus profonde que nous ne comprenons souvent pas de prime abord.
Croire, ce n’est pas seulement affirmer que Dieu existe ; c’est continuer à lui faire confiance quand tout semble démentir sa présence. C’est la foi d’Abraham, d’Anne (la mère de Samuel), ou de la Cananéenne (Mt 15, 21-28), une foi obstinée, humble, tenace, qui dit :
« Seigneur, je ne te lâcherai pas tant que tu ne m’auras pas béni. » (Genèse 32,26)
Cette foi ne se mesure pas à la rapidité de la réponse, mais à la constance de la confiance.
La grande tentation, quand on voit que Dieu semble ne pas répondre à notre prière, c’est de délaisser la prière au profit de l’action humaine. Nous voyons cela avec Saraï, la femme d’Abram lorsque l’enfant promis tarde à venir :
« Elle avait une servante égyptienne, nommée Agar, 02 et elle dit à Abram : ‘Écoute-moi : le Seigneur ne m’a pas permis d’avoir un enfant. Va donc vers ma servante ; grâce à elle, peut-être aurai-je un fils.’ Abram écouta Saraï. » (Gn 16)
Deux critères peuvent nous aider à voir où nous en sommes :
- combien de temps est-ce que je consacre du temps à la prière ? Le psaume responsorial est très beau : est-ce que je continue à aller chercher auprès de Dieu mon secours ?
- est-ce que j’agis dans l’angoisse du résultat ? avec agitation, peur de l’échec, besoin de tout contrôler ? Notre action peut cacher une volonté de tout maîtriser au lieu d’être plus abandonné entre les mains de Dieu. Où en suis-je de la paix intérieure ?
Saint François de Sales disait joliment :“Fais tout ce que tu peux calmement, et laisse le reste à la Providence.”
Ce calme, c’est la marque d’une foi vivante.
La prière est un lieu de collaboration avec Dieu
Sans doute connaissez-vous cet adage ?
« Prier comme si tout dépendait de Dieu ; agir comme si tout dépendait de toi… »
Cette phrase, souvent attribuée à saint Ignace de Loyola, dit en substance : Reconnais que tout vient de Dieu — la vie, la force, la réussite, la grâce ; mais ne te décharge pas sur Dieu de ce que tu dois faire toi-même ; tiens ensemble ces deux vérités : Dieu agit, et tu agis. C’est une spiritualité de la coopération : Dieu ne fait pas à notre place, mais il fait avec nous.
Prier ne dispense jamais d’agir. La foi authentique se traduit en actes concrets, dans l’effort, le courage, le travail, la persévérance. La prière ne remplace pas l’action — elle l’inspire. Autrement dit : ne te retranche pas derrière la Providence pour ne rien faire. De ce point de vue la première lecture (Ex 17,8-13) en est une excellente illustration biblique : Moïse prie les bras levés pendant que Josué combat . La victoire vient de Dieu, mais aussi du combat humain.
Agir comme si tout dépendait de toi peut cacher un manque de foi : comme je ne suis pas sûr que Dieu intervienne, j’agis. La nuance est fine mais essentielle : Cela ne consiste pas à dire : “Je vais agir parce que Dieu ne fait rien.” mais à dire : “Je vais agir parce que Dieu agit en moi.”
Saint Paul l’exprime parfaitement :
“Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement, car c’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire selon son dessein bienveillant.” (Ph 2,12-13)
D’un côté, il s’agit de vivre dans la confiance absolue, le cœur tourné vers le don gratuit de la grâce. D’un autre côté, il s’agit de vivre dans la responsabilité, l’effort, la fidélité au quotidien. En fait, il s’agit de tenir en même temps les deux bouts de la chaîne. Il ne faut pas opter pour l’un au détriment de l’autre. Cela se vérifie dans notre foi où nous sommes appelés non pas à choisir entre deux termes mais à vouloir en même temps et l’un et l’autre, un peu comme Jésus vrai Dieu et vrai homme. Il s’agit de garder une forme de tension féconde entre foi et responsabilité, abandon et engagement, grâce et liberté.
Cette tension est justement le lieu où la foi mûrit.
La prière devient relation. Dans la rencontre de ces deux mouvements, le croyant découvre que : ce qu’il fait, c’est Dieu qui le fait en lui.
« Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2,20)
Cela libère de l’orgueil (je ne suis pas maître de tout). Cela donne la paix (je ne porte pas seul le poids du monde). Cela oriente l’action : je ne cherche pas à imposer ma volonté, mais à collaborer avec celle de Dieu. Il y a une synergie entre la grâce et la liberté humaine.
Conclusion :
Demandons à Marie de nous aider à ne pas nous décourager mais au contraire à persévérer car c’est là que mûrir notre désir, que grandit notre foi ainsi que notre union à Dieu,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de l’Exode 17,8-13.
- Psaume 121(120),1-2.3-4.5-6.7-8.
- Deuxième lettre de saint Paul Apôtre à Timothée 3,14-17.4,1-2.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 18,1-8 :
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager :
« Il y avait dans une ville un juge qui ne craignait pas Dieu et ne respectait pas les hommes. Dans cette même ville, il y avait une veuve qui venait lui demander : “Rends-moi justice contre mon adversaire.”
Longtemps il refusa ; puis il se dit : “Même si je ne crains pas Dieu et ne respecte personne, comme cette veuve commence à m’ennuyer, je vais lui rendre justice pour qu’elle ne vienne plus sans cesse m’assommer.” »
Le Seigneur ajouta : « Écoutez bien ce que dit ce juge dépourvu de justice !
Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ? Les fait-il attendre ?
Je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice. Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »