Texte de l’homélie
Chers frères et sœurs,
Vous le savez peut-être, mais hier, le pape Léon a reçu des acteurs de cinéma à Rome. Alors, ça va me permettre de vous parler un peu de cinéma parce que ça peut toujours être intéressant. Et dernièrement, peut-être le savez-vous aussi, est sorti un film qui s’appelle Chien 51, si je ne me trompe pas. C’est une dystopie, une espèce de fable sur l’avenir qui essaie de prévoir ce que pourrait être Paris en 2050, alors que les rapports sociaux sont entièrement régentés par l’intelligence artificielle, et que Paris a été sectorisée en différentes zones selon les classes sociales : le centre, l’immédiate périphérie et les lointains qui sont réservés au prolétariat le plus humble.
La tentation de percer l’avenir
Que veut faire ce film ? Et c’est ça qui m’intéresse aujourd’hui. Comme bien d’autres films d’ailleurs. Et bien, il veut percer l’avenir parce que c’est une aspiration du cœur de l’homme, si on s’en rend compte. Et aujourd’hui, c’est ce qui se passe dans l’Évangile. Les interlocuteurs de Jésus veulent percer l’avenir :
« Maître, quand cela arrivera-t-il ? Comment ça va se passer ? Quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
Ils ont une espèce de fringale de nouveauté, de sensation, de révélation sur l’avenir, peut-être une inquiétude aussi. Et on s’aperçoit que en consultant un tout petit peu internet, et quand on tape sur Google « voyant », vous avez une avalanche de sites les plus variés et les plus riches les uns que les autres pour nous aider à prévoir de quoi demain sera fait.
En fait, cette curiosité sur l’avenir, elle est enracinée profondément dans le corps de l’homme.
Vous vous souvenez quand le démon dans la Genèse propose à Adam et Ève d’être comme des dieux. Il leur fait aussi miroiter la connaissance du futur qui transcende les limites humaines, qui se place de l’autre côté du temps.
Quelle sagesse adopter face à l’inconnu qui nous attend ?
Alors, Jésus va aller à cette racine justement, et nous enseigner la sagesse face à l’inconnaissable, c’est-à-dire cette fin du monde.
L’amour au cœur de tout
Premier point que j’aimerais souligner : c’est que Jésus nous enseigne à ne pas oublier notre cœur.
Voyons comment Jésus répond à ses interlocuteurs qui lui demandent :
« Quand cela va-t-il arriver ? Comment ça va se passer ? »
Que dit Jésus ?
« Prenez garde de ne pas vous laisser égarer. »
Magnifique réponse ! « Vous voulez regarder le monde à venir ? Moi, je dis de regarder votre cœur. Prenez garde à vous ! »
Car dans les moments de catastrophe, dans les moments de grand changement, de trouble, de guerre, la tentation c’est de cesser de prendre garde à soi.
J’aime beaucoup cette réplique de Maximilien Kolbe. Dans un de ses derniers entretiens avec ses frères à Niepokalanow, alors que dans quelques jours la Gestapo va venir, et ses frères l’interrogent sur le futur tellement incertain et tellement terrible qui peut-être les attend, il dit simplement cette phrase :
« N’oubliez pas l’amour. »
Autrement dit, n’oubliez pas votre cœur. Que votre anxiété, votre curiosité, votre angoisse ne détruisent pas votre cœur. Nous savons que c’est quelque chose qui peut nous être très familier.
Purifier notre regard
Deuxième point, après que Jésus nous a enseigné à ne pas oublier son cœur, c’est qu’Il va nous enseigner une ascèse du regard. Jésus va évoquer cette ruine du Temple, mais bien plus encore : ces tremblements de terre en divers lieux, ces famines, ces épidémies, ces phénomènes effrayants, ces grands signes venus du ciel.
Pourquoi dire tout cela alors que la question ne portait que sur le Temple ? Jésus nous teste. La première des choses qu’il nous dit, c’est ceci : « C’est moi qui annonce ces événements. » Si c’est moi qui l’annonce, c’est donc moi le Verbe, qui en suis l’organisateur.
Ils sont donc régentés par le Logos, la sagesse de Dieu. Alors pourquoi craindre ? Tout ce qui est annoncé par Dieu échappe à l’absurde.
C’est un point important de voir que Jésus nous dit aussi : « Tout est dans ma main, y compris chacun de vos cheveux. » Alors pour certains c’est un peu compliqué, pour d’autres c’est plus facile, mais Il nous met justement en garde contre cette tentation, celle de rester fasciné par ces malheurs.
Devant le malheur, on peut rester comme hypnotisé. Jésus nous dit aussi un tout petit plus haut dans l’Évangile de Luc :
« Souvenez-vous de la femme de Lot. »
Qu’est-ce qui s’était passé avec cette femme de Lot ? Dieu avait annoncé la ruine de Sodome et Gomorrhe, le feu du ciel était tombé sur ces villes. Lot et toute sa famille en avaient fui, mais dans la fuite, la femme de Lot s’était retournée vers ce brasier terrible et était devenue statue de sel. Peut-être s’était-elle laissé gagner par la nostalgie de ce qu’elle perdait, ou fascinée par l’horreur de la scène qu’elle avait devant elle. La paralysie en a été le lot.
C’est un des grands enseignements de l’Évangile de Saint Luc à partir du chapitre 9, au verset 51, il nous est dit que :
« Jésus Tourna résolument le regard vers Jérusalem. »
Il ne se laisse pas ni gagner par le souvenir peut-être consolateur mais paralysant de sa jeunesse, de son enfance en Galilée, qui l’aurait empêché d’avancer. Il ne se laisse pas non plus fasciner par l’horreur de la croix, qu’il sait dépasser pour voir quel en est le fruit, la glorification du Père et la sienne propre dans l’Esprit Saint. Jésus voit plus loin. Voilà ce qu’il veut aussi nous enseigner : cette véritable ascèse du regard qui ne se fixe pas sur l’horreur du moment présent, mais qui sait enjamber le temps pour rejoindre la gloire de demain.
Accepter que les choses matérielles ne sont pas éternelles
Troisième élément que Jésus nous donne pour que nous puissions aborder avec sagesse ce qui nous est dérobé à notre connaissance : c’est que Jésus veut nous familiariser avec la fin du monde. Pourquoi Jésus évoque-t-il cette ruine du Temple, alors qu’on faisait simplement des compliments sur les ex-voto ? Certains étaient magnifiques, et Hérode le Grand avait offert un cep en or massif qui avait été déposé là.
Jésus veut nous dire : « Oui, ce Temple va être détruit. »
Imaginez-vous ce qu’a représenté la destruction du Temple pour les Juifs de l’époque : les machines de guerre, le siège, les incendies, la famine au cœur de Jérusalem. Mais plus grave encore que la famine, il n’y a plus d’animaux à offrir sur l’autel des sacrifices dans le Temple, donc la fin du sacrifice perpétuel, donc la fin d’un culte, la fin d’une religion, la fin d’un monde.
C’est cela que Jésus met devant les yeux de ses interlocuteurs. Pour leur dire : « Habituez-vous. Les choses ne sont pas éternelles. Habituez-vous à la fin d’un monde. Les empires naissent et disparaissent avec fracas et fureur. »
La ruine de Sodome, c’est aussi la fin d’un empire, la fin d’un monde. Et plus tard, au 5e siècle après Jésus Christ - quand disparaît l’Empire romain - c’est aussi la fin d’un monde.
Saint Jérôme en pleurs, Saint Augustin voit plus loin et il voit les prémices d’un monde nouveau. Et aujourd’hui, frères et sœurs, pour actualiser cela, la fin de la chrétienté pour reprendre le titre d’un livre célèbre de ces derniers temps, c’est aussi la fin d’un monde.
Comment réagir ?
Comment devons-nous réagir ? Appliquons-nous ces leçons du Christ à la situation que nous traversons.
Ces soubresauts de l’histoire ne sont que les accouchements d’un monde nouveau, car c’est cela dont il est question, lentement le monde passe par une Pâque, mais une Pâque qui dure. Ces bouleversements cosmiques, ces tremblements de terre, ces guerres, c’est la gestation du monde nouveau.
Alors, Jésus veut nous dire : ne t’attache pas à la figure de ce monde qui passe pour reprendre l’expression de Saint Paul, attache-toi au Christ !
Si l’Église s’était attachée à une forme culturelle précise - disons celle de l’Empire chrétien de Constantin converti au 4e siècle - alors elle se serait trouvée paralysée, disqualifiée pour accueillir les barbares du 5e siècle, pour les intégrer à l’Église et à cette civilisation qui va devenir admirable qui est celle du Moyen Âge chrétien européen. Admirable synthèse générée par une attitude complètement imprégnée de souplesse, celle que donne l’Esprit Saint. C’est en cela que l’Église peut éclairer l’histoire.
Le Christ pour rempart ultime
Dernier point : Jésus nous demande aussi d’assumer notre solitude :
« Vous serez livrés par vos parents. »
Ces mots sont terribles, ils se réfèrent bien sûr aux persécutions et on sait que cela a eu lieu. Mais plus encore peut-être, on peut les lire ainsi : une invitation à ne nous attacher qu’au Christ, à faire disparaître les logiques de clan, de parti, d’idéologie, voire des réseaux affectifs dont le Seigneur ne serait pas le centre.
Pourquoi ? Pour être tout à fait libre. Ce monde en perpétuel bouleversement requiert des personnes tout à fait libérées, appuyées sur le seul point fixe qui demeure : le Christ Jésus. Tout autre appui se déroberait à nous et nous plongerions aussitôt dans l’abîme.
Frères et sœurs, tel est notre combat, comme un homme jeté dans un torrent qui n’aurait pour survivre qu’une bouée à laquelle se raccrocher. Il faut s’accrocher au Christ tout au long de ce tumulte jusqu’à arriver aux rives de l’éternité. Le Seigneur nous dit encore :
« Celui qui persévère ainsi jusqu’au bout est sauvé. »
Quand tout change, que notre attachement au Christ ne change pas. Quand les jeunes autour d’eux voient leur environnement changer, qu’ils restent fidèles au Christ jusqu’à la mort.
Alors nous pourrons paraître face à lui avec assurance et recevoir de ce soleil la guérison,
Amen !
Références des lectures du jour :
- Livre de Malachie 3,19-20a.
- Psaume 98(97),5-6.7-8.9.
- Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Thessaloniciens 3,7-12.
- Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 21,5-19 :
En ce temps-là, comme certains parlaient du Temple, des belles pierres et des ex-voto qui le décoraient, Jésus leur déclara : « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. »
Ils lui demandèrent :
— « Maître, quand cela arrivera-t-il ? Et quel sera le signe que cela est sur le point d’arriver ? »
Jésus répondit :
— « Prenez garde de ne pas vous laisser égarer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux !
Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. »
Alors Jésus ajouta : « On se dressera nation contre nation, royaume contre royaume. Il y aura de grands tremblements de terre et, en divers lieux, des famines et des épidémies ; des phénomènes effrayants surviendront, et de grands signes venus du ciel. »
Mais avant tout cela, on portera la main sur vous et l’on vous persécutera ; on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous fera comparaître devant des rois et des gouverneurs, à cause de mon nom. Cela vous amènera à rendre témoignage.
Mettez-vous donc dans l’esprit que vous n’avez pas à vous préoccuper de votre défense. C’est moi qui vous donnerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront ni résister ni s’opposer.
Vous serez livrés même par vos parents, vos frères, votre famille et vos amis, et ils feront mettre à mort certains d’entre vous. Vous serez détestés de tous, à cause de mon nom.
Mais pas un cheveu de votre tête ne sera perdu. C’est par votre persévérance que vous garderez votre vie. »