Homélie du 6^e dimanche du Temps Ordinaire

Texte de l’homélie

Frères et sœurs bien-aimés, comme vous le savez, dans l’Ancien Testament et dans la tradition juive, aux temps bibliques mais aussi encore dans certaines parties du Judaïsme contemporain, la question du pur et de l’impur est très importante. Et l’on ne peut comprendre cet évangile que si l’on rentre un peu davantage dans la compréhension de ce qui, pour nos oreilles chrétiennes et modernes, est difficile d’accès.

On le sait bien, Jésus a fait imploser la notion de pur et d’impur avec ce commandement nouveau. Il nous est donc difficile de voir comment une personne peut être déclarée impure ou une maladie pourrait apporter une impureté, mais cela peut être l’occasion de travailler sur cette question là.

Faisons un bref rappel : dans la tradition biblique, est déclaré pure cette conscience de la séparation des limites, d’une certaine lumière qui vient de la distinction, être distinct de l’autre. Et l’on voit, dans certaines familles ultra orthodoxes, en Israël ou ailleurs, l’importance de séparer le lacté du carné, de séparer les hommes des femmes – il y avait même une demande des partis religieux de réserver dans les bus des places pour les femmes – de séparer les Juifs et les non-Juifs…

Dans la tradition juive, le pur consiste beaucoup en une séparation, à reconnaître les limites et les frontières. En revanche, l’impur c’est l’inverse : le flou, la porosité, l’effondrement des séparations et des limites, une certaine rupture d’étanchéité qui empêche de distinguer les choses. Ces éléments là peuvent nous aider à comprendre un peu mieux l’évangile de ce jour.

Dans la tradition juive, au temps biblique en tous cas, il y avait trois choses qui vous rendaient automatiquement impur :

• le contact avec le sang, et d’une façon générale, tout ce qui émane du corps.,
• le contact avec une personne morte
• le contact avec la lèpre.

Pour la lèpre, c’était particulier car il fallait voir le prêtre qui déclarait à la fois l’état de "léprosité" et la sortie de la maladie. Il fallait aller voir le prêtre pour déclarer l’état de la peau. Comme vous le savez, la cause de la maladie a été clairement identifiée, il s’agit d’un bacille connu. Or, le derme est marque la limite entre l’intérieur et l’extérieur.

Ainsi, au temps biblique, on disait que cet état extérieur manifestait ce que la personne vivait à l’intérieur, c’est à dire une réalité de péché. Donc, il fallait aller voir le prêtre, offrir un sacrifice suivant les demandes de Moïse – je vous passe toute la liste des choses à faire pour la purification – parce qu’il y avait l’idée que la lèpre était le signe d’un péché, et que seul Dieu pouvait pardonner ce péché.

Aujourd’hui, il n’y a plus de prêtre à Jérusalem, il n’y a plus de prêtre de l’ancienne alliance, et il n’y a plus de lèpre sous nos latitudes. Mais, cet évangile peut cependant être une vraie lumière pour nos vies.

Si la peau sépare l’intérieur de l’extérieur, elle nous met en relation avec les autres, c’est tout le sens du toucher. Vous le savez, ce sens est si fondamental qu’on ne peut en être privé sur la totalité de notre corps. Le sens du toucher nous donne la sécurité d’exister, d’être en relation et d’être aimé. De nos jours, il est largement conseillé pour nourrissons de pratiquer ce que l’on appelle le peau à peau non seulement pour exprimer la tendresse des parents mais pour dire à l’enfant qu’il est vivant. Si nous étions privés du sens du toucher sur la totalité de notre corps, nous n’aurions d’autre possibilité que de mettre fin à nos jours tellement le sens du toucher est central dans notre vie. Si l’on peut être privé du sens de l’ouïe et de celui de la vue, le sens du toucher qui vient de notre peau est absolument fondamental.

Je vous propose une autre lecture par rapport à cette question de lèpre qui n’est plus d’actualité. Si la peau est la séparation entre l’intérieur et l’extérieur, elle est aussi le lieu du contact et de la relation. Ainsi, l’écoute de cet évangile ne serait-elle pas l’occasion de faire l’analyse de nos relations lépreuses. Quelles sont nos relations où on n’a pas mis suffisamment de distance avec l’autre, ou au contraire où on en a mis trop, où on a envoyé l’autre en dehors camp, en dehors de nos vie ?

De relations lépreuses, il peut y en avoir au moins de deux sortes :

• trop grande proximité
• trop grande distance

Pour ce qui est de la trop grande proximité, cela nous rapporte à l’impur caractérisé par un effondrement des séparations qui fait qu’on n’a pas cette capacité de dire « je », dans notre personnalité, on ne met pas les limites, on se laisse regarder l’intérieur plus facilement, ou au contraire, on rentre dans l’imité de l’autre plus facilement. C’est quelque chose qui est appelé à évoluer car c’est signe d’une certaine immaturité.

Mais aussi, il peut y avoir une « relation lépreuse » lorsqu’on met trop de distance : on exclue de notre vie comme aux temps bibliques on excluait du temple les personnes lépreuses sous prétexte qu’on ne veut plus de contact avec elle, qu’elle ne fasse plus partie de notre vie. Je vois alors l’autre comme un lépreux, comme quelqu’un qui peut me faire du mal et me rendre impur.

On voit bien que cette grande séparation n’est pas de l’ordre de l’évangile, au contraire. Jésus n’a eu de cesse que de faire rentrer en communion ce qui était séparé.

Ainsi, il est bon de pouvoir identifier ces relations lépreuses, ces trop grandes proximités dans lesquelles on n’a pas la marge de sécurité, notre espace vital préservé où l’on rentre trop facilement dans l’intimité de l’autre et aussi cette autre relation lépreuse de rejet, cette tentation de mettre l’autre en dehors de notre vie. Comment guérir de ça ?

Il est intéressant de voir qu’aux temps bibliques, il fallait aller voir le prêtre car, dans l’ancienne alliance, ils étaient liés au Temple qui est le lieu du Dieu Un. Au fond, ce que nous dit la Bible, et aussi le Seigneur d’une autre manière, pour guérir de la lèpre – pas celle qui atteint notre épiderme, mais cette lèpre intérieure – et de ces relations lépreuses, il est nécessaire de se mettre en contact avec Dieu qui est un, avec la transcendance, se mettre en contact pour être sauvé, pour récupérer en nous les limites, cette unité intérieure. Parce que le salut est cette unité intérieure, il nous unifie à nouveau alors que nous avions laissé s’effondrer les séparations, nous avions effacé les limites avec ces ruptures d’étanchéité que nous avons dans nos personnalités. Le fait d’être en contact avec un Dieu Un va re donner à notre personnalité la capacité de dire « Je », la capacité à dire « Non », dire non à quelqu’un qui voudrait rentrer trop avant dans notre intimité.
Nous savon bien que nous avons besoin d’un espace vital, et, vous en avez peut-être fait l’expérience, quelqu’un qui s’approcherait trop de vous, qui ne soit ni un enfant ni un conjoint, vous fait ressentir de l’inconfort.

Au fond, le Salut nous donne la bonne distance par rapport à l’autre. Il nous donne une manière d’être en contact avec l’autre qui n’est ni intrusive, ni exclusive. Cette juste distance n’est pas facile à trouver. Dans notre société, nous voyons en effet une manière d’aimer sous forme d’amour fusionnelle : on ne fait pas de différence entre toi et moi, tu commences une phrase et je la termine, nous ne sommes qu’un, etc…
Non, nous sommes deux personnes et ces amours fusionnelles sont vouées à l’échec, vous le savez chers amis, car on ne met pas la distance et la séparation qui marque la manière de respecter l’autre qui lui laisse la capacité de dire « Je ». Ces amours possessives vont dans le mur, et on peut dire qu’elles sont lépreuses, d’une certaine manière.

Si le rapport avec un Dieu Un nous unifie, celui avec un Dieu relation nous permet de ne pas exclure. Comme Chrétiens, nous avons la grâce et la bénédiction de découvrir un Dieu qui est Trinité, un Dieu Un mais qui n’est pas solitaire, un Dieu unique qui est communion. Et Jésus nous révèle ce Dieu communion pour dire que la distinction, la séparation des personnes divines permet de les rendre identifiées et identifiables dans la Foi n’empêche pas qu’elle soit en communion l’une avec l’autre bien plus que n’importe quelle personne humaine ne le sera. Elle est également distincte de l’autre bien plus que n’importe quelle personne humaine ne l’est.

Ainsi, pour guérir en nous ces rejets, ces relations lépreuses de mise à l’écart, nous avons à découvrir que nous sommes habités par cette présence plus grande que nous, la Trinité qui est en nous et qui nous permet à la fois de dire « Je » et à la fois de dire « Nous ». C’est au fond toute la vie avec le Christ : découvrir que le Seigneur vient à l’intérieur de nous-même, Il vient descendre, nous purifier et extirper de notre vie et de nos manières d’agir ce qui pourrait s’opposer à la communion, que ce soit par le trop proche ou le trop lointain. Il vient nous redonner cette capacité de ne pas être un obstacle, comme le dit Saint Paul dans la deuxième lecture :

« Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs ni pour les païens, ni pour l’Église de Dieu. »

Ne pas être un obstacle, c’est avoir la juste distance et laisser l’autre être autre que moi, c’est ce qu’on appelle l’altérité. L’autre n’est pas moi et n’a pas à le devenir. Et ça, je le découvre parce que je suis en contact avec le Dieu unique, qui est le Tout-Autre.

Mais aussi, je peux voir que je ne suis pas un obstacle parce que je n’exclue personne de ma vie, c’est une chose que l’on peut demander. Alors que nous nous apprêtons à rentrer dans le Carême, il est bon de revisiter les rancœurs qui font partie des relations lépreuses, elles qui nous font exclure et mettre de côté, ces durcissements de cœur sur lesquels Jésus a des propos très fermes. C’est d’ailleurs ce que Jésus dit aux Pharisiens qui font du pur et de l’impur un absolu, car à rejeter une impureté, vous rejetez la personne elle-même… et Jésus nous demande de n’exclure personne, de ne pas être de ceux qui mettent un obstacle dans la rencontre avec le Seigneur.

Ainsi, pour nous, c’est une source de conversion, c’est une grâce. Et c’est pour cela que nous participons à la messe : nous contemplons un Dieu unique, nous contemplons un Dieu communion, un Dieu qui nous fait redevenir nous-même, raffermir les vraies limites de notre personnalité qui nous fait dire « Je », mais nous contemplons un Dieu communion qui nous fait dire « Nous ».

Alors, dans cette eucharistie, nous allons demander cette grâce particulière de revisiter nos relations, celles qui sont complexes, particulièrement avec le prochain proche – nos familles, nos amis, nos relations professionnelles – car c’est là que se jouent souvent des relations lépreuses. Demandons au Seigneur qu’Il vienne, par Son Saint-Esprit, revisiter ces relations, qu’Il vienne les guérir et les apaiser, qu’Il vienne nous redonner une sensibilité alors que la lèpre vient faire perdre la sensibilité aux parties atteintes de la peau.
Nous allons demander à Jésus comme des pauvres de nous présenter à Lui comme le lépreux :

« Si tu le veux, tu peux me purifier. »

Nous avons besoin d’être purifié de toutes ces scories, de tous ces malentendus, de toutes ces duretés de cœur, de toutes ces manières inadaptées de rentrer en lien avec les autres. Écoutons le Seigneur nous dire à chacun :

« Je le veux, sois purifié. »

Amen !

Références des lectures du jour :

• Livre du Lévitique 13,1-2.44-46.
• Psaume 32(31),1-2.5.11.
• Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,31-33.11,1.
• Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,40-45 :

En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit :
— « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit :
— « Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié. Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant :
— « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »

Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.