Homélie du 6e dimanche du temps ordinaire

14 février 2018

« La lèpre le quitta et il fut purifié. »

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Je ne sais pas si vous êtes comme moi, dans nos mémoires de ce que nous avons pu lire enfants, nous avons très souvent ces images des lépreux dans les récits du Moyen-Âge. On les voit avancer avec ce bruit qui les précède de la crécelle, ou des clochettes. Avec ces vêtements amples qui cachent leur visage, leurs extrémités. Il y a toute une espèce de mise en scène impressionnante, comme si il y avait là l’incursion d’un monde qui n’a pas lieu d’être dans le nôtre, celui de la mort.

Vous avez peut-être vu aussi ce film qui évoque l’accompagnement de cette religieuse à un condamné à mort aux États-Unis, qui va petit à petit lui permettre de se convertir. Le titre de ce film est aussi très impressionnant : « Dead man walking », l’homme mort est en marche. C’est cette espèce de phrase un peu fétiche qu’on prononce lors d’une exécution capitale aux États-Unis, lorsque celui qui va être exécuté franchit le couloir de la mort.

Voici ce que peut suggérer en nous cette image de la lèpre, peut-être dans tout un imaginaire qui peut nous faire peur. Voilà aussi pourquoi, entre autres choses, il y a dans le livre du Lévitique cette mise à l’écart très stricte du lépreux. La reconnaissance de sa lèpre pour commencer, un espèce d’examen mais pas par le médecin, c’est le prêtre qui le fait. Et puis un examen a contrario pour vérifier qu’il est bien guéri, ou plus exactement qu’il est purifié et qu’il peut être réintégré dans la communauté des croyants, de ceux qui rendent un culte à Dieu.

La lèpre, c’est vrai, va occasionner en nous une vraie répulsion.
Le mal physique, d’une manière générale, va aussi provoquer en nous ce dégoût.

Vous avez sans doute entendu parler du Père Damien de Veuster, ce prêtre belge qui s’est fait l’apôtre des lépreux à Hawaï. En 1873 l’évêque d’Honolulu lance un appel missionnaire parce que les lépreux qui sont relégués sur cette île de Molokai n’ont pas de prêtre avec eux, n’ont pas de missionnaire et meurent sans les sacrements. Ceux qui ne sont pas baptisés et qui le désirent ne le sont pas non plus. Alors il cherche des volontaires et parmi eux le Père Damien se lève et dit qu’il veut aller sur cette île pour assister les lépreux. Les malades arrivent à navire entier à Molokai.

Dans cet enfer, le Père Damien va devenir leur Pasteur, le pasteur de 800 lépreux. Il va aller comme au cœur de l’enfer de l’enfer.
Au milieu de cette île il y avait un lieu réservé pour les lépreux en agonie, c’était un lieu terrible. Il ne voulait pas s’y rendre dans un premier moment, avec la répulsion que cela lui produisait. Ces maudits qui étaient là rassemblés et qui étaient condamnés à mourir loin de tous, avec cette dégradation du corps particulièrement impressionnante, ces odeurs pestilentielles, est-ce que c’était encore des hommes ?

Cependant le Père Damien va vaincre sa répulsion. Il va vaincre sa répulsion parce qu’il voit que ces personnes ont besoin d’une présence, d’un pasteur. Il va voir aussi que petit à petit il consent à s’identifier à eux. Il finira dans ses lettres en disant : « nous autres lépreux », avant même de contracter cette maladie.

Que faut-il pour vaincre cette répulsion devant ces maladies physiques impressionnantes, ou même ces maladies physiques incurables qui ne cessent pas de nous émouvoir, de nous ébranler, pour vaincre ce dégoût, ces disgrâces physiques, comment aller au-delà de la peur ?

Il faut un grand amour.

C’est ce qui habitait le cœur du Père Damien. Je me souviens aussi d’une petite anecdote concernant Mère Teresa. Elle évoquait son œuvre à un journaliste en racontant comment dans les années 46-47, elle a eu ce premier acte dans les bidonvilles de Calcutta, d’aller chercher un un homme qui était sur le bord de la route en train de mourir et qu’elle a ramené à l’hospice pour qu’il puisse mourir paisiblement. Elle raconte comment elle l’a lavé, comment elle l’a purifié de tous ces vers qui commençaient à ronger sa chair. Le journaliste lui dit que pour des millions de dollars il ne le ferait pas, elle lui répond avec son aplomb habituel : « moi non plus pour des millions de dollars je ne le ferai pas, je le fais pour le Christ ».

Cela ne veut pas dire qu’elle n’aime pas la personne de ce lépreux, qu’elle superpose la personne du Christ en se bouchant le nez, ou que le Christ s’identifie tellement à cette personne que cela ne fait qu’un. Mais parce qu’elle aime le Christ, qu’elle aime cet homme dans le Christ, voilà ce qui lui permet de franchir cette distance.

C’est cette immense charité qui nous permet d’aller au-delà de notre sensibilité et de voir en chacun le trésor d’humanité qui est là. Cela n’est pas du tout facile.

Il y a aussi ce beau titre d’un livre d’un juif qui s’appelle primo Levi : « Si c’est un homme ». Ce juif a été emmené dans les camps et il a vu cette dégradation des êtres humains. Il se demande si c’est un homme encore cette chose là qui est tellement dégradée.

L’amour nous donne cette sagacité du regard pour voir en chacun de tous ceux qui sont les plus dégradés que quelque chose d’intact, d’intègre, cette beauté de l’humanité est toujours là.

Mais il faut aller un peu plus loin parce qu’on sait que la lèpre, du temps de Jésus, comme c’est évoqué dans l’Évangile et dans le livre du Lévitique, est très fortement liée au péché. C’est pourquoi on appelle la guérison de la lèpre la purification, au sens religieux du terme si on est lépreux c’est qu’on a péché. Elle est là comme un châtiment.

Même pour le Père Damien c’est intéressant de voir comment cette pensée s’est prolongée. On était persuadé que le Père Damien avait eu des relations sexuelles sur l’île parce qu’il avait contracté la lèpre, parce qu’on associait la lèpre à la syphilis. Il y avait cette pensée qui peut nous coller à notre cœur : la maladie est le signe d’une impureté et d’une impureté morale. C’est peut-être relégué très loin derrière, mais c’est peut-être encore affleurant parfois.

Jésus, lui va encore plus loin, parce qu’il va affronter la lèpre, non seulement celle du corps mais aussi celle de l’âme. Il va affronter cette lèpre du péché. Qu’est-ce que c’est que le péché ? Ce n’est plus le corps qui est en putréfaction, c’est notre âme. Cc’est notre âme qui sent mauvais. C’est notre âme qui est livrée aux forces du mal, parce qu’on l’a bien voulu. La réaction spontanée, c’est de dire bien fait pour toi, bien fait pour le pécheur !

Jésus n’a pas cette attitude. Il dit : « voilà quelqu’un qui souffre » et ils s’émeut. Le terme dans le texte grec et toujours très beau, quand Jésus voit ce lépreux, il s’émeut. Quand il voit cette femme adultère, il s’émeut. Ses entrailles se retournent, parce qu’il voit, avec son amour immense, non seulement l’humanité intacte dans celui qui est malade, mais aussi dans le pécheur, grâce à ce regard et à cet amour qui lui vient du Père, le Fils de Dieu en qui aussi quelque chose d’intact et de magnifique demeure. Il y a en chacun comme une innocence absolument inaccessible, qu’on ne peut pas violer. On peut toujours être pécheur, on peut même aller en enfer, mais il restera en nous cette trace de Dieu. Cette trace ne disparaît jamais.

Voilà ce que voit Jésus, parce qu’il aime, parce qu’il ne condamne pas et que son regard fait comme la continuité de notre vie et nous rappelle à chaque moment que nous sommes fils et filles de Dieu.
Voilà le chemin que nous donne notre Seigneur.

Mais le Seigneur s’est approché de ce lépreux parce qu’il n’en avait rien à craindre. C’est magnifique d’ailleurs de voir les deux gestes que fait le Seigneur : il s’approche et bien plus il va toucher le lépreux. Le Seigneur brave là un interdit qui est réel : dans la loi de Moïse on ne touche pas les lépreux.

Le Seigneur ça cela parce qu’il est le maître de la vie. Le Seigneur de la vie n’a rien à craindre de ce lépreux.
On peut se demander si c’est la même chose avec le péché. D’un certain côté oui, Jésus n’a pas à craindre la contagion du péché. Nous, les mauvaises influences nous affectent.

Jésus certes n’a rien à craindre de cette contagion du péché, mais cela ne veut pas dire qu’il se soustrait aux conséquences du péché.
Ce lépreux qu’il a devant lui, d’une certaine manière, c’est l’image de ce que sera le Christ dans quelques temps :

Comme un homme devant qui on se voile la face, il n’a plus ni beauté ni éclat.

Voilà ce que sera Jésus dans sa passion. Lui qui va se faire péché, lui qui va se faire malédiction, lui qui va être ce maudit qui pend au gibet de la croix. Voilà aussi pourquoi Jésus à cette émotion si forte quand il regarde, quand il s’approche de ce lépreux.

J’ai envie de dire devant ce Seigneur qui est là devant nous qui guérit le lépreux, qu’il est deux attitudes :
- ne pas avoir peur de se laisser approcher par lui, qu’il touche notre lèpre de notre péché.
- ne pas avoir peur de lui ouvrir notre cœur, de lui découvrir nos plaies avec une franchise et un naturel de celui qui se sait pécheur et qui a besoin de son sauveur. C’est important cette simplicité.

Mais n’en restons pas là.
Sainte Marguerite-Marie avait entendu Jésus lui dire : « les péchés qui me font le plus souffrir, ce sont les péchés de mes amis. Pas forcément les péchés des grands pécheurs, mais les péchés de ce qui demeurent en moi, de ceux qui m’ont suivi et qui me renient ». Il pensait notamment aux religieux et religieuses.
Jésus doit être notre Sauveur, mais il faut aussi que nous le considérions comme notre ami. Quand on a un ami, on ne veux pas le faire souffrir.

Faisons un pas de plus : tu peux recourir sans cesse à la miséricorde de Dieu, cela t’est demandé, mais tu dois aussi demeurer en Dieu. Ce n’est pas cela qui fera de toi un présomptueux ou un arrogant, c’est ce que le Seigneur te dit : « Demeurez en moi, comme moi en vous, demeurez ». « Cesse d’en rajouter à ma passion ».

C’est ce qu’on peut demander aujourd’hui au Seigneur, à la Vierge Marie, elle qui a su demeurer dans l’amitié de son fils, dans cette absolue intimité. Qu’elle nous enseigne à faire ce pas de plus dans la maturité de la foi, de l’intimité avec Dieu et notre vie sera féconde.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre du Lévitique 13,1-2.44-46.
  • Psaume 32(31),1-2.5.11.
  • Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,31-33.11,1.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 1,40-45 :

En ce temps-là, un lépreux vint auprès de Jésus ; il le supplia et, tombant à ses genoux, lui dit : « Si tu le veux, tu peux me purifier. »
Saisi de compassion, Jésus étendit la main, le toucha et lui dit : « Je le veux, sois purifié. »
À l’instant même, la lèpre le quitta et il fut purifié.
Avec fermeté, Jésus le renvoya aussitôt en lui disant : « Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »
Une fois parti, cet homme se mit à proclamer et à répandre la nouvelle, de sorte que Jésus ne pouvait plus entrer ouvertement dans une ville, mais restait à l’écart, dans des endroits déserts. De partout cependant on venait à lui.