Homélie du 14e dimanche du Temps Ordinaire

13 mai 2022

Jésus leur dit : « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire. »

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Texte de l’homélie :

Chers frères et sœurs,

Dans les textes de ce jour, il semble que le Paradis soit à portée de la main. Si vous avez fait attention, c’est dans la première lecture qu’Isaïe annonce le fleuve qui doit irriguer la ville de Jérusalem. Le fleuve est un élément de vie d’une ville et autrefois, pour les prendre d’assaut, on détournait l’eau pour faire périr les habitants.

Un fleuve irriguera la nouvelle Jérusalem. centre

Le Seigneur nous annonce aussi qu’il doit aller rencontrer tous ceux auprès de qui Il envoie Ses apôtres. Il est Lui-même le règne de Dieu incarné, Il est au milieu de nous.

Selon une autre image pour décrire cette plénitude qui est à portée de notre main, Il parle de la moisson :

« La moisson est abondante ! »

La moisson c’est le richesse, c’est le bonheur. Et quand on veut donner une image de joie dans la Bible, c’est celle de la moisson.

« Ils s’en vont, ils rapportent les gerbes. »

Il reviennent avec ce signe de cette prospérité, de ce bonheur.

Ainsi, le Paradis est à portée de la main, avec cette plénitude et cette joie. Mais, dans le concret c’est plutôt décevant. Quelqu’un disait :

« On croirait plus à leur sauveur s’ils avaient l’air sauvés… »

Alors, je me suis demandé pourquoi, si le Paradis était à portée de main – comme c’est annoncé dans les textes de ce jour - pourquoi n’arrive-t-il pas à faire le chemin jusqu’à nous ? Ou encore, pour reprendre les termes d’un concours de poésie à la Renaissance :

« Pourquoi est-ce que je meurs de soif auprès de la fontaine ? »

Il me semble que la grande réponse, c’est que nous avons une fausse image de ce Paradis. Une vision du Paradis qui est très présente dans notre pensée contemporaine est une vie exempte de toute souffrance, de tout conflit, où règne l’harmonie : ce n’est pas faux, mais c’est insuffisant. Parce que ce monde trop lisse ne correspond pas à notre expérience concrète. Autrement dit : le Paradis que nous sommes appelés à instaurer sur cette terre n’élimine pas la Croix ni la souffrance. Et nous rêvons d’une vie sans souffrance, et c’est une erreur, car on est trop souvent déçu. Nous voyons bien que tous les efforts sont faits pour éliminer la souffrance quitte à opacifier sa conscience jusqu’à éliminer une vie si elle nous gêne. Mais, s’il n’y a pas de souffrance, c’est mieux comme ça. Est-ce vraiment ce que l’on veut ?

Le fait que nous ne voulions plus de la souffrance dans notre vie est le signe que l’on a plus de courage, que l’on est plus prêt à affronter la vie telle qu’elle est.

En 1978, Soljenitsyne durant un discours resté célèbre dénonçait le déclin du courage : on attendait qu’il oppose pied à pied le monde occidental et le monde communiste. Et il disait que les occidentaux étaient en train de perdre ce courage qui permet d’affronter l’adversité, de porter les croix et de ne pas en être brisé, de garder cette joie au milieu même de la contradiction.

Pour cela, j’aime rappeler l’exemple de ce psychiatre juif, Victor Frankel, qui, ayant vécu en camp de concentration, a pu admettre qu’il y avait un sens à sa présence dans ce camp. Sa pensée est entièrement biblique, il est même imprégné de l’Évangile et en donne les justifications sur un plan psychiatrique :

« Le sens qu’il y a à ma vie permet de me tenir debout. »

Il constatait d’ailleurs dans les camps que ceux qui ne respectaient pas les droits communs – comme de faire davantage d’argent en commettant des vols – se laissaient emporter par la mort et par le malheur parce qu’il n’y avait pas de sens.
Autrement dit, il faut intégrer le fait que notre vision du bonheur doit intégrer cette souffrance. Certes, ce sont des belles paroles, et elles sont difficiles à appliquer. Dans la difficulté, le deuil, les problèmes de santé, comment cela peut-il m’aider ?

Il me semble que toute la pédagogie du Seigneur, ce n’est pas de nous laisser dans la parole, dans les belles exhortations, mais c’est de permettre que le Ciel habite sur la terre, avec Jésus qui marche au milieu de nous.

Jésus au milieu de nous, c’est Celui qui accepte la contradiction, les souffrance et garde une joie extrêmement profonde. Jésus est Celui qui fait passer le Ciel sur la terre.

Le curé d’Ars est un homme extraordinaire. Un pèlerin plutôt agnostique qui avait voulu partir à sa rencontre par curiosité a déclaré après l’avoir aperçu :

Dans nos vies – dans la mienne en tous les cas – nous pouvons être marqués par ces rencontres fortes de personnes dont on sent qu’elles ont pu intégrer dans leur vie la souffrance sans que cela n’altère leur bonheur profond. Ces personnes à côté desquelles on comprend que le monde a un autre sens, qu’il y a comme un présence à côté de nous qui fait que, tout d’un coup, notre regard sur le monde est différent.

J’aime aussi à citer Saint Paul. Il avait certes un fort caractère, mais il était très aimé. Et quand il parle aux Éphésiens, il les laisse tout en pleurs sur la plage. Pourquoi ? parce qu’il portait un regard sur le monde qui permettait à tous ceux qui vivaient avec lui de continuer d’espérer et d’être heureux malgré toutes les contradictions que rencontraient les premiers Chrétiens.

« Nous ne perdons plus ton visage… »

Cela veut dire : nous perdons ton regard sur le monde qui nous permet d’espérer.

Un autre exemple un peu plus récent : l’an dernier, quelques baptêmes ont eu lieu ici. Une jeune fille nous racontait comment elle avait été convertie. Ses parents agnostiques ne l’ont jamais amenée à l’église et, faisant un babysitting, elle regardait la télévision et voit Jean-Paul II qui visite la France. Et, voyant cet homme à l’écran, c’est comme un concentré du Ciel qui lui apparaît, cette densité, ce sens, toute la présence que le Saint Père apportait lors de ses visites. La jeune fille fond en larmes et elle va demander le baptême.

Et justement, l’Évangile de ce jour nous exhorte à devenir missionnaires. Mais, qu’est-ce que la missionnaire sinon justement celui qui fait descendre le Ciel sur la Terre. Ne songeons pas à une autre mission si on ne passe pas par là. On ne fera qu’accumuler des fardeaux sur le dos des gens.
A travers notre vie, nous sommes appelés à reproduire ce visage du Christ, Celui qui justement exulte, continue son chemin sans une confiance absolue en Son Père alors que tout s’effondre et qu’il n’y a plus que ténèbres à la Passion.

Comment être ces missionnaires ? Si nous, frères de communauté, sommes appelés à l’être, vous aussi vous l’êtes, chacun d’entre vous ! Et quelles sont les conditions ?
La première est d’être heureux. C’est le premier service que nous pouvons rentre à notre monde ! Et il nous faut pour cela connaître les pièges du monde.

Le premier piège est que l’on attend trop du monde, on voudrait qu’il nous comble. On absolutise les conditions économiques et affectives de notre existence. Et Saint Paul nous donne ce remède : le monde est réglé pour lui.

« Le monde est à jamais crucifié pour moi. »

Il veut dire qu’il n’en fait pas la source exclusive de son bonheur, il l’a mis à sa juste place. Et pour contrer cela, Voltaire s’est exprimé, pardonnez ce détour littéraire…

« Le paradis terrestre est où je suis ! »

C’est tout de même discutable… Puis-je ainsi considérer que les conditions extérieures vont faire de moi un homme heureux ?
A l’inverse, le Père Lamy disait :

« Je ne suis bien que lorsqu’il me manque quelque chose… »

Par ce paradoxe, il voulait dire qu’accepter un manque peut permettre d’être heureux, que ce manque n’est pas dramatique. Il le disait encore d’une autre façon :

« L’instant du plaisir est l’instant du sacrifice… »

Cela semble très rigoureux, très sévère, mais quand on le vit au quotidien, on voit que c’est un secret de liberté intérieure. Il faut pouvoir s’interroger sur ce à quoi on est attaché, pouvoir se demander si cela ne va pas nous rendre captif et malheureux. Alors avançons sans tensions, soyons libres et heureux.

Le missionnaire c’est celui qui a su intégrer cette contradiction que notre bonheur peut intégrer la souffrance.

Concernant le missionnaire, le discours de Jésus nous montre des missionnaires particulièrement finalisés comme la flèche qui va directement à son but.

« Ne vous attardez pas en chemin. »

Ne perdez pas de temps en salutations : vous avez à annoncer le Royaume et non pas faire des mondanités. Mon expérience me dit aussi que plus notre vie a de jeu, de temps morts, de moments non finalisés, moins ma vie sera heureuse. Par exemple, une recherche excessive de divertissement fait perdre de vue sa finalité. Cela peut être aussi arriver à un religieux qui perd de vue la mission en s’enfonçant dans les mondanités. C’est la grande préoccupation du Pape François pour les serviteurs de l’Eglise. Il nous faut échapper à tout ce qui nous disperse, tout ce qui nous divise, tout ce qui nous fait perdre notre unité et notre but ultime qui est, à la place où nous sommes, de permettre que le Royaume s’instaure.
Selon les mots d’un poète, il faut que notre vie soit droite comme une tige de roseau, simple comme un chant d’alouette. Que nous portions sur le monde ce regard tranquille qui semble venir de loin et s’en aller plus loin encore, jusqu’au fond des conscience, et par delà l’horizon.

Parfois, cela peut impliquer que nous remettions quelques priorités à leur juste place pour que nous nous laissions comme attirés par cet amour du Christ si fort, si puissant, comme un aimant, qui nous purifie de toutes nos scories et de tous nos chemins de traverse.

Portons alors le regard sur la Vierge-Marie, Celle qui n’a rien laissé au hasard dans Sa vie, rien laissé à la négligence, à la recherche de soi. Elle a vécu et incarné cette netteté de vie, celle qui nous repose, qui nous apaise, qui correspond à la soif de notre cœur.

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 66,10-14abc.
  • Psaume 66(65),1-3a.4-5.6-7a.16.20.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Galates 6,14-18.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 10,1-12.17-20 :

En ce temps-là, parmi les disciples, le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre. Il leur dit :
« La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin. Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Dans toute ville où vous entrerez et où vous serez accueillis, mangez ce qui vous est présenté.
Guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : “Le règne de Dieu s’est approché de vous.” »
Mais dans toute ville où vous entrerez et où vous ne serez pas accueillis, allez sur les places et dites : “Même la poussière de votre ville, collée à nos pieds, nous l’enlevons pour vous la laisser. Toutefois, sachez-le : le règne de Dieu s’est approché.”
Je vous le déclare : au dernier jour, Sodome sera mieux traitée que cette ville. »

Les soixante-douze disciples revinrent tout joyeux, en disant :
— « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom. »
Jésus leur dit :
— « Je regardais Satan tomber du ciel comme l’éclair. Voici que je vous ai donné le pouvoir d’écraser serpents et scorpions, et sur toute la puissance de l’Ennemi : absolument rien ne pourra vous nuire.
Toutefois, ne vous réjouissez pas parce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous parce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. »