Homélie du premier dimanche de l’Avent

2 décembre 2013

« Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra. »

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Texte de l’homélie :

Même si je la respecte la démarche de ces personnes, j’ai souvent eu du mal à comprendre pourquoi des Chrétiens se convertissent au Bouddhisme. Vous le savez, plus qu’une religion, le Bouddhisme est une philosophie qui a pour objectif d’anéantir la souffrance qui vient du désir.

Ce n’est pas faux, lorsque nous désirons quelque chose et que nous ne l’avons pas, cela nous cause de la frustration, une certaine forme de souffrance comme le décrivent les psychologues. Et cette philosophie asiatique amène la personne humaine à tout un cheminement intérieur pour qu’elle apprenne progressivement à ne plus rien désirer, pour arriver à un état de stabilité et de paix intérieure qui fait que, progressivement, de réincarnation en réincarnation, elle atteigne le Nirvana.

Pourquoi les Chrétiens suivraient-ils la démarche du Bouddhisme ?

On peut se poser cette question, car c’est le rebours complet de ce que Jésus est venu apporter sur Terre. Lorsque Jésus rencontre quelqu’un, c’est tout à fait l’inverse : Il ne vient pas éteindre son désir, mais le rallumer, l’encourager, le réveiller. Aujourd’hui, l’écriture nous dit :

« Réveillez-vous ! ne soyez pas somnolents ! »

On le voit très clairement dans le récit de la Samaritaine, avec cette femme qui a du mal à trouver le bonheur – elle en est à son cinquième mari – Jésus l’amène progressivement à l’adoration, elle se pose la question :

« Où doit-on adorer ? »

Jésus est venu là réveiller son désir de bonheur. La même chose avec Zachée : alors que son désir de bonheur était comme tari avec l’accumulation des biens, Jésus réveille son cœur pour pouvoir donner le meilleur qu’il a en lui-même.

« Je rendrai jusqu’à quatre fois ce que j’ai volé, et tout le tord que j’ai fait, j’essaierai de le réparer. »

Notre religion est une religion du désir !

Et nous pouvons d’autant plus en parler en ce jour, au cœur d’un week-end famille, car c’est important dans l’éducation des enfants d’avoir cet objectif d’éveiller le désir.

Vous rappelez-vous de ce film ancien qui s’appelait l’Élu. Dans une famille juive, un fils est très doué de grâces et de dons intellectuels et d’un humanité très riche. Et le père, dans ce contexte, avait décidé de ne pas adresser la parole à son fils parce que cette humanité très riche l’empêchait d’aller vers le Seigneur. Au cours du film, on voit combien le fils souffre de ce mutisme paternel qu’il ne comprend pas.
Et à la fin, le père explique enfin : « J’ai voulu creuser cette en toi cette blessure pour que tu puisses te tourner vers Dieu ».
Cela peut paraître cruel à première vue, mais il y a une certaine beauté à ce choix. En d’autres termes : « Ton humanité si riche aurait pu faire que tu te contentes de toi même et de tes dons naturels sans te tourner vers le Seigneur ni avoir le désir de l’Au-delà, sans avoir le désir de la communion avec le Très-Haut. »

Frères et sœurs bien-aimés, ce temps de l’Avent est de très loin le temps du désir : à commencer par le désir de la femme qui attend la venue de l’Enfant, mais aussi le désir de cet avènement du Seigneur que nous allons contempler avec la crèche le jour de Noël.

Où en sommes-nous du désir de voir Dieu ?

Vous qui participez à notre retraites, où en êtes-vous de la transmission et de l’éveil du désir dans le cœur des enfants. Voilà une grande différence avec les personnes qui ne croient pas à l’au-delà : lorsque l’on met un enfant au monde, ce n’est pas seulement pour cette vie terrestre : on le met au monde pour l’Éternité.
Et au fond, la finalité de sa vie va être la contemplation de Dieu. Et, c’est important d’éveiller ce désir chez l’enfant, progressivement, pas forcément de façon si difficile que dans le film que j’ai cité, mais de faire en sorte qu’ils ne soient pas comblés. C’est là l’opposé de l’« enfant roi » à qui on donne « tout-tout de suite ».

Le fait qu’il garde aussi un désir, quelque chose qui le pousse en avant. Voilà qui l’aidera à réaliser ses projets. Le psaume dit :

« L’homme comblé ne dure pas ! Il ressemble au bétail que l’on abat. »

Voilà : il est repus. Et l’on voit bien que notre société nous gave bien plus qu’elle nous nourrit ! elle veut faire de nous des repus, des personnes qui n’attendent plus rien, qui sont tout à fait satisfaites du matérialisme ambiant et de cette accumulation de biens, comme Zachée qui pensait qu’il allait trouver le bonheur dans tout cela.

Nous-mêmes, faisons attention de ne pas tomber dans cette attitude de repus, d’autosatisfaction, autosatisfaction de nous-mêmes par l’orgueil, d’autosatisfaction par l’accumulation de biens matériels…

Quelle place laissons-nous au manque dans notre vie

Au fond, c’est vrai, le désir vient du manque, du manque qui nous pousse à aller de l’avant.
Le Père Lamy, notre fondateur dit à plusieurs reprises :

« Je ne suis heureux que quand il me manque quelque chose. »

Et l’esprit de pauvreté qui traverse le temps de l’Avent - ce même esprit qui nous fait nous tourner vers Dieu - m’appelle à laisser une place au manque dans ma vie, à ne pas chercher tout de suite à combler les choses dans nos vies, à répondre à mes désirs immédiatement, mais plutôt à laisser – c’est une ascèse personnelle – une place à ce que Dieu seul va pouvoir me donner : cette communion.

Il faut ainsi renoncer à se laisser combler par l’autre, refuser cela. N’y a-t-il pas une fragilité, un piège dans l’amour matrimonial ainsi que dans l’amitié, c’est de demander à l’autre ce que Dieu peut nous donner : nous combler. On demanderait ainsi à l’autre de nous donner ce bonheur, cette plénitude qu’il n’a pourtant aucun moyen de nous apporter. Seul Dieu peut nous combler.

Laissons-nous interroger sur notre désir de salut

Avons-nous pris conscience à quel point nous avons besoin d’être sauvé ? On le voit bien à quel point les consciences s’obscurcissent et baissent dans leur niveau d’acuité : on ne voit même plus le péché ! le péché lui-même paraît comme quelque chose de désuet. Mais serait-ce seulement une manière culpabilisante que l’Église aurait trouvé pour dominer les consciences des uns et des autres ?

Le péché ? Comme prêtre, il m’arrive de rencontrer des personnes dans la confession qui ne trouvent rien à dire. Alors, je dis souvent : « Demandez à votre femme, elle aura certainement toute une liste formidable à vous présenter ».
Parce que je vois plus à quel point j’ai besoin de contempler la face de Dieu, je ne vois pas non plus que j’ai besoin d’être sauvé.

Frères et sœurs bien-aimés, nous pouvons nous interroger dans ce sens aujourd’hui : où en suis-je de mon besoin de salut ? Un peu comme cet homme qui se noie et tend la main hors de l’eau espérant qu’une main secourable va la saisir pur l’enlever de la mort :

« Viens nous sauver ! »

C’est cela le Salut : c’est quelqu’un qui me tire de l’abîme ! Sommes-nous confortablement installés dans notre prière, dans notre vie chrétienne, mais sans cette blessure qui nous fait désirer vraiment Jésus comme Celui qui vient nous sauver.
Et c’est beau : pourquoi Jésus est le vrai sauveur ? c’est parce que le Salut doit venir à la fois de l’intérieur et de l’extérieur ; à la fois de l’intérieur car c’est à la manière humaine que l’on a besoin d‘être sauvé ; mais aucun homme ne peut rendre à l’autre le salut – payer la rançon – pour un autre homme : le salut doit venir de l’extérieur de l’humanité, c’est à dire de Dieu Lui-même.

Nous avons besoin de nous réveiller, frères et sœurs. Et l’écriture nous le redit aujourd’hui :

« Réveillez-vous ! ne vous laissez pas endormir. »

Quels moyens allons-nous prendre pour réveiller en nous ce désir de contempler Dieu. Quels moyens allons-nous prendre pour vivre dans une certaine modestie de vie. Le mot pauvreté est sans doutes excessif, car on sait combien nous sommes privilégiés de maintes manières ; mais n’y a-t-il pas des moyens de sentir ce manque, pour ensuite l’offrir à Dieu, pour se tourner vers Lui comme un pauvre qui a besoin.

Le mariage est l’union de deux pauvres qui se tournent vers le Seigneur.
De même, la communauté religieuse n’est que faite de pauvres qui se mettent ensemble pour cheminer vers Dieu.
La vie communautaire, tout comme la vie matrimoniale, au fur et à mesure des années, nous fait comprendre à quel point notre capacité d’amour est limitée, et à quel point nous avons besoin d’être sauvés.

Tous seuls, nous ne nous en sortirons pas. De nos humanités lourdes, qui se cherchent et avancent à pas lents…. Viens Seigneur Jésus !

Frères et sœurs bien-aimés, dans ce temps de l’Avent, demandons d’être plus ardents ! Demandons d’être des ardents chercheurs de Dieu… et de transmettre ce désir de Dieu aux enfants dont vous avez la charge. Lui-même peut venir répondre à cette quête de bonheur qui nous habite.
Et Jésus en parle dans les béatitudes : cette quête de bonheur commence par la première des béatitudes : celle des pauvres, qui se conjugue au présent :

« Heureux les pauvres, le Royaume des Cieux est à eux ! »

Frères et sœurs, laissons-nous toucher la parole du Seigneur. Laissons-nous toucher par nos difficultés, en ne voyant pas ce manque comme une menace mais au contraire comme un tremplin,

Amen !


Références des lectures du jour :

  • Livre d’Isaïe 2,1-5.
  • Psaume 122(121),1-2.3-4ab.4cd-5.6-7.8-9.
  • Lettre de saint Paul Apôtre aux Romains 13,11-14a.
  • Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu 24,37-44 :

Jésus parlait à ses disciples de sa venue :
« L’avènement du Fils de l’homme ressemblera à ce qui s’est passé à l’époque de Noé.
À cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu’au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l’avènement du Fils de l’homme.
Deux hommes seront aux champs : l’un est pris, l’autre laissé.
Deux femmes seront au moulin : l’une est prise, l’autre laissée.

Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra.
Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison.

Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra.