Jésus oui, l’Eglise non ?

« Je crois en l’Église » : il n’est guère d’article de foi qui suscite autant d’incompréhension, de contradiction et même d’hostilité que celui-ci.
Même des catholiques pratiquants ont des réticences à propos de l’Église.
Certains ne considèrent scientifique qu’une approche qui se démarque, voire qui disqualifie d’avance, l’approche de la foi.
A cet égard, la série « Apocalypse » sur Arte est symptomatique : à priori, le Christ de la foi ne peut être le Jésus historique ; à priori l’Église n’a rien à voir avec le Royaume prêché par Jésus.
Et nous, que croyons-nous ?


Accusée : à la barre !

L’objection principale contre l’Eglise est qu’elle aurait, au cours de son histoire, trahi le message primitif de Jésus.

  • Jésus, dit-on, était pauvre et a pris parti pour les pauvres ; l’Eglise, au contraire, serait riche, elle aurait fait alliance avec les riches et les puissants, et elle se serait dérobée face à la question sociale.
  • Jésus prêchait l’amour poussé jusqu’à l’amour des ennemis ; l’Eglise, au contraire, serait intolérante et persécuterait ses adversaires avec cruauté, comme le montre notamment l’Inquisition.
  • Jésus appelait les hommes à le suivre, d’abord en pratiquant la charité ; l’Eglise, au contraire, réclamerait l’obéissance à des dogmes infaillibles.
  • Jésus se comportait sans préjugé, il était ouvert et plein de compréhension à l’égard des femmes ; l’Eglise, au contraire, aurait déprécié la femme et considéré la sexualité comme diabolique ; elle refuserait à l’homme le bonheur sur terre et le consolerait vaguement par la promesse de l’au-delà.
    Pour d’autres encore, l’Eglise serait intellectuellement, culturellement et scientifiquement rétrograde ; elle serait en fin de compte irrémédiablement dépassée.

Que peut répondre un catholique face à un tel catalogue de péchés ?
Il n’a rien à farder ni à cacher.
L’Eglise, précisément parce qu’elle proclame le pardon des péchés, n’hésite pas à confesser ses péchés, confiante dans le pardon de Dieu. C’est ce qu’ont fait, par exemple, le pape Adrien VI à la diète de Nuremberg (1522-1523) et le pape Paul VI pendant le deuxième concile du Vatican (1962-1965).
Le chrétien n’a donc pas à nier les pages sombres de l’histoire de l’Eglise. Mais il peut aussi, en toute modestie, rappeler les pages lumineuses de cette histoire :

  • l’Eglise des martyrs, qui ont résisté aux puissants ;
  • l’Eglise des saints, qui ont vécu l’Evangile d’une manière héroïque ;
  • les témoins du Christ, qui se sont succédé jusqu’à notre siècle : le Père Maximilien Kolbe, Mère Teresa et bien d’autres ;
  • les oeuvres caritatives de toutes les époques et notamment aujourd’hui le service des pauvres dans le Tiers Monde ;
  • les contributions de l’Eglise à la paix, aussi bien au Moyen Age que dans le présent ;
  • l’apport du christianisme à l’affirmation de la dignité unique de la personne humaine, à la reconnaissance de la dignité de la femme et à la défense de la liberté de conscience…
    Qu’on pense un seul instant à ce que serait, sans l’Eglise, l’histoire de notre civilisation occidentale, et qu’on se demande ce qu’il en resterait encore. Qu’on imagine que les organisations sociales et caritatives des Eglises n’existent pas dans notre société actuelle, et qu’on se demande si tout irait mieux dans ce cas.
    Mais ce n’est pas encore le plus important. Avant tout, l’Eglise a conservé jusqu’à nos jours le souvenir de Jésus-Christ. Sans elle, il n’y aurait pas d’Evangile ni d’Ecriture Sainte ; sans elle, nous ne saurions rien de Jésus-Christ ni de l’espérance qu’il nous a apportée.

Deux erreurs sont à éviter : exalter tellement l’Eglise jusqu’à la confondre purement et simplement avec le Christ ; la disjoindre à ce point du Christ qu’on en oublie qu’elle en est le corps visible, sacrement du salut offert par le Christ.

Entre le Christ et l’Eglise, donc, ni confusion, ni séparation !

Ni confusion…

L’Eglise est le sacrement d’un salut qui la dépasse, d’un Royaume plus grand qu’elle.
C’est Dieu qui sauve et il est capable de sauver les hommes bien au-delà des frontières visibles de l’Eglise.

Cela ne vaut pas seulement, dit le concile Vatican II, pour ceux qui croient au Christ, mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le coeur desquels, invisiblement, agit la grâce. En effet, puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit-Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal." (Constitution Gaudium et spes, n°22)

En s’identifiant à tout homme en détresse, croyant ou non, le Christ se laisse côtoyer sur tous les chemins des hommes, et pas seulement dans la sphère du religieux. La parabole du bon Samaritain dans l’évangile de Luc (Luc 10/25-37) et celle du jugement dernier dans l’évangile de Matthieu (Matthieu 25/31-46) se plaisent à nous montrer que ceux qui rencontrent en vérité le Christ ne sont pas nécessairement ceux auxquels on aurait pu penser. Il ne suffit pas en effet de se prétendre proche de Jésus pour l’être vraiment (Luc 8/19-21 ; Matthieu 7/21-23) et il y aura beaucoup de gens surpris au jour du Jugement !

Enfin, les commandements de Dieu et ceux de l’Eglise ne sont pas à confondre. Seuls les premiers ont un caractère pérenne et universel. Les autres ne sont que des repères ecclésiastiques, présentés sous forme de commandements aisément mémorisables mais susceptibles de connaître de légères adaptations.

Ceci étant posé, il convient de ne pas perdre de vue la conception catholique de l’Eglise, laquelle ne se laisse pas aisément disjoindre de Jésus, et ceci pour de multiples raisons.

… ni séparation

Le Jésus des évangiles, c’est celui de l’Eglise !

Dans mon intérêt affiché pour Jésus, comment pourrais-je ignorer l’Eglise ? N’est-ce pas elle qui depuis vingt siècles fait résonner sa parole et me le fait connaître aujourd’hui ? Voudrais-je m’en tenir aux seuls évangiles que je serais encore renvoyé à l’Eglise, puisque c’est elle qui les a rédigés, retenus dans son canon parmi plusieurs autres écrits, puis transmis et commentés au fil des siècles !
Impossible de séparer le « Jésus de l’histoire » du « Christ de la foi » : dès le début, les évangiles traduisent la foi de l’Eglise en Jésus Ressuscité.

Les gestes de l’Eglise remontent aux gestes de Jésus lui-même.

Si le Concile de Trente a tenu à dire de Jésus qu’il était l’auteur des sacrements, il n’est pas nécessaire pour autant (pour n’évoquer ici que le sacrement de pénitence et de réconciliation) de l’imaginer fabriquant, dans son atelier de Nazareth, les premiers confessionnaux !
Les modalités par lesquelles les sacrements de l’Eglise ont été conférés au fil de l’histoire ont pu changer (et certes elles ont, de fait, souvent changé, surtout pour le sacrement de la pénitence et de la réconciliation !), l’Eglise n’en n’a pas moins la certitude de prolonger ainsi des gestes et paroles du Christ lui-même (en l’occurrence, cf. St Jean 20/22 ; St Matthieu 16/19 ; St Matthieu 18/18).

Bien des exigences morales de l’Eglise remontent à Jésus lui-même.

Ceux qui se plaisent à opposer, en matière matrimoniale par exemple, un Jésus plein de compréhension et de douceur à une Eglise inhumaine et intraitable à l’égard des divorcés-remariés, n’ont probablement jamais lu de près l’Evangile et notamment le chapitre 19 de l’évangile de Matthieu. Ce qu’y dit Jésus de l’union de l’homme et de la femme choque en effet tout autant ses auditeurs que la prétendue intransigeance actuelle de l’Eglise ! (cf. St Matthieu 19/10).

L’Eglise de Jésus

On connaît la célèbre et méchante boutade d’Alfred Loisy : « Jésus annonçait le Royaume… et c’est l’Eglise qui est venue ! ». La formule est plaisante et séduit d’autant plus qu’elle va dans le sens de l’individualisme ambiant. Mais elle oublie volontairement quelques données essentielles de l’histoire, de l’Ecriture et de la théologie.

Si en effet l’Eglise est née à la Pentecôte et est oeuvre de l’Esprit, elle n’en est pourtant pas moins née aussi d’une volonté expresse de Jésus lui-même dont la mission, au dire de Jean, était de « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés » (St Jean 11/52).

N’en déplaise à Loisy, c’est bien Jésus qui a voulu et constitué le groupe des Douze disciples (cf. St Marc 3/13-19), qui les a formés au cours d’une vie commune de trois ans environ, qui les a ensuite rassemblés à nouveau lorsque l’épreuve de sa mort les avait dispersés, avant enfin de les envoyer en mission dans le monde entier.
Et comment ne pas voir dans ce chiffre hautement symbolique de douze le rappel des douze tribus d’Israël, le signe embryonnaire du nouveau peuple de Dieu qui doit embrasser aussi l’ancien ?
Et que penser du nouveau nom donné par Jésus à Pierre, sinon qu’il exprime on ne peut plus clairement le rôle que Jésus voulait lui voir tenir dans l’édifice qu’il voulait construire ? (cf. St Matthieu 16/18-19 ; St Luc 22/32 ; St Jean 21/15-17).

Non, l’Eglise n’est pas un accident de l’histoire, mais bel et bien la communauté voulue et fondée par Jésus, le grand sacrement du Christ qui prolonge son oeuvre de salut (St Jean 20/21-23).

L’Eglise, sacrement du salut !

L’Eglise est dans le Christ comme un sacrement ou, si l’on veut, un signe et un moyen d’opérer l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain".


Cette expression du dernier concile (Constitution Lumen Gentium n°1) fait écho à deux très fortes images des écrits de saint Paul : d’une part l’Eglise est le temple de Dieu édifié sur le Christ (1re lettre aux Corinthiens 3/10-17 ; 2è lettre aux Corinthiens 6/16ss : lettre aux Ephésiens 2/20ss) ; d’autre part, elle est le corps du Christ (1re lettre aux Corinthiens 10, 16ss et 12/12 ; lettre aux Romains 12/5 ; épître aux Colossiens 1/18 et 2/19 ; lettre aux Ephésiens 5/23,30).

Les deux images soulignent à l’envi à la fois la solidarité entre les chrétiens (associés à la même construction ou membres d’un même corps) et la seigneurie du Christ sur son Eglise : il est soit le fondement ou la clef de voûte, soit la tête par rapport au corps.

Elles permettent à St Paul de transcrire quelque-chose de sa conversion sur le chemin de Damas et de la bouleversante expérience qu’il y fit, le Seigneur Jésus s’identifiant alors à ses disciples persécutés :

Je suis Jésus, c’est moi que tu persécutes" (Actes des Apôtres 9/4-5)

Mais bien avant que ceci ne soit thématisé par St Paul, on notera que Jésus lui-même établissait déjà un lien direct avec son Eglise :

Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux." (Mt 18/20)

Et plus tard, au cours de son procès, face aux théologiens qui l’interrogeront, Jeanne d’Arc saura s’en souvenir et dire sans complexe avec ses mots tout simples : « M’est avis que Jésus et l’Eglise, c’est tout un ! ».

Parce que l’Eglise n’est pas un accident de l’histoire, mais bel et bien la communauté voulue et fondée par Jésus, y adhérer, pour celui que Jésus attire, n’est pas une option personnelle facultative et accessoire, mais la réponse qui s’impose dès lors qu’il s’agit de répondre à l’appel de Jésus lui-même :

Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps." (St Matthieu 28/19-20)

Pour les mêmes raisons, s’en redécouvrir solidaire et vouloir y prendre toute sa place, lorsqu’on est un baptisé de la première heure et qu’on avait quelque peu délaissé le rendez-vous dominical et perdu de vue les repères traditionnels d’une saine vie en Eglise n’est pas un luxe superfétatoire, mais le plus sûr moyen de rester greffé sur le Christ comme les sarments sur le cep (St Jean 15/1-6).

Mais allons plus loin, ou plus profond…

Pourquoi dirais-je « ils » en parlant des chrétiens et de l’Eglise, quand Jésus m’invite à prier en disant « notre Père » ?
Que gagnerais-je donc à me désolidariser de ce peuple de pécheurs ? _ Est-il d’ailleurs si sûr que cela que je ne commette jamais les péchés que je dénonce à juste titre chez certains chrétiens ?
Qui sait si je n’ai pas moi-même été cause de scandale et obstacle à la foi pour mes proches ? Et quand bien même cela ne serait pas le cas, n’ai-je pas au contraire intérêt à me reconnaître dans le publicain de la parabole (St Luc 18/9-14) plutôt que dans le pharisien satisfait de lui-même, aveugle sur ses péchés et donc incapable d’accueillir l’Evangile de Jésus comme une bonne nouvelle ?
Mon rejet de l’Eglise ne vient-il pas d’une méconnaissance de ce qu’elle est réellement ? Ou ne provient-il pas d’une certaine paresse ? N’est-il pas en effet un peu facile de se déclarer, sans l’ombre d’un scrupule et sans le moindre désir de conversion, « croyant ou catholique non-pratiquant » et s’installer confortablement dans cette nouvelle et très honorable catégorie de croyants dispensés de toute remise en question ?

Beaucoup de nos contemporains n’ont pas encore opéré la conversion mentale à laquelle le concile Vatican II nous conviait à propos de l’Eglise : quand on leur parle d’Eglise, ils pensent au pape et aux évêques, bref à une institution hiérarchique dont ils ne font pas partie et dans les déclarations de laquelle ils ont parfois du mal à se reconnaître.
Il est temps de resituer le magistère du pape et des évêques à sa juste place comme service de l’ensemble du corps ecclésial.
Il est surtout temps, pour chaque catholique, d’assumer les responsabilités et les solidarités qui sont les siennes depuis le jour de son baptême.

L’Eglise n’est pas cette institution extérieure à moi ; elle est ce peuple de croyants, cette communauté des frères de Jésus dans laquelle je m’insère, ma vraie famille de la terre et du ciel.
Dans la mesure où elle m’a fait naître à la foi, je puis même la considérer comme ma mère… une mère qui, portant les cicatrices de ses péchés plus que de ses années, a pris des rides et parfois n’est pas vraiment belle… mais qui n’en demeure pas moins ma mère !