La prière chrétienne - Le Notre-Père

Père Eric - Mars 2006

Le sujet qui nous est proposé n’est pas la prière en général mais la prière chrétienne.
Or, le modèle par excellence de la prière chrétienne est le Notre Père puisque c’est Jésus lui même qui l’a enseigné à ses apôtres.
Entrons donc dans la prière de Jésus.



 Pour compléter, écoutez la 2e partie : La prière chrétienne - La vie de prière

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Père Éric

(Durée totale : 53 minutes)
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Commentaire du Notre-Père

Il advint, comme Jésus était quelque part à prier, quand il eut cessé, qu’un de ses disciples lui dit : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean l’a appris à ses disciples »

(Luc 11, 1) (cf. Cardinal Christoph Schönborn, Aimer L’Église). Le principe de base : Dans le Notre Père, Jésus ne nous a pas appris seulement une prière mais il nous a appris à prier. « L’Oraison dominicale est la plus parfaite des prières … En elle non seulement nous demandons tout ce que nous pouvons désirer avec rectitude, mais encore selon l’ordre où il convient de le désirer. De sorte que cette prière non seulement nous enseigne à demander, mais elle forme aussi toute notre affectivité » (St. Thomas d’Aquin, II-II 83,9). [Catéchisme de l’Église Catholique n° 2763] Le Notre Père conforme de manière optimale toute notre vie affective. Il établit les vraies priorités dans notre volonté et notre désir, et par là dans notre prière. La prière est le lieu privilégié de l’action de Dieu en moi. C’est pourquoi je vais m’attacher à commenter le Notre Père.

Préliminaires

Notre Père Dès les premiers mots, le ton est donné : la prière chrétienne n’est pas un dialogue avec un Dieu lointain et abstrait, un Dieu devant qui il nous faut trembler, mais avec un Père. Dans la prière, nous entrons dans le mouvement du fils qui s’adresse à son Père. Notre place est celle du fils. Nous lui sommes comme une humanité de surcroit. Notre prière s’insère dans celle du Christ ; elle entre dans la prière qui est sienne sans cesse au sein de la Trinité. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique (CEC), qui se divise en quatre grandes parties, nous donne, en dernier lieu, après le credo, les sacrements et la vie dans le Christ, une réflexion importante sur la prière chrétienne et sur le Notre Père en particulier :

« Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler », c’est-à-dire « aux tout petits » ( Matthieu 11,25-27). La purification du coeur concerne les images paternelles ou maternelles, issues de notre histoire personnelle et culturelle, et qui influencent notre relation à Dieu. Prier le Père c’est entrer dans son mystère, tel qu’Il est, et tel que le Fils nous l’a révélé. [CEC n° 2779] « Si les chrétiens appellent Dieu »Père« , ce n’est pas parce qu’ils auraient fait un choix parmi les divers noms possibles de Dieu, mais parce que Jésus l’a appelé »Père« . Par conséquent, ce n’est pas le mot »père", mais la vie et la prière du Christ qui nous disent qui est Dieu.

Nul ne sait qui est le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler"

(Luc 10.22). Nous ne devons pas nous fixer sur ce que, à partir de nos expériences personnelles, nous associons au mot « père » (ou « mère », « ami » etc.). C’est ce que Dieu a été pour Jésus qui définit le sens de son nom, « Père ». Dans sa langue maternelle, en araméen, Jésus disait « abba » (Marc 14.36), ce qui se traduit par « Père ». Certains ont aussi proposé la traduction familière « papa », pour souligner que Jésus a fait confiance à Dieu comme un enfant. Mais il ne faut pas oublier que abba signifie aussi « Mon Père » (Matthieu 26.39), et que, dans l’Ancien Testament, c’est le privilège du roi de s’adresser à Dieu avec ces mots. A l’investiture du roi, Dieu proclame : « Il m’appellera ’Mon Père’ » (Psaume 89.27). Dans la version araméenne du même psaume : « Il m’appellera abba. » Comprise avec cet arrière-fond, la relation entre Dieu et Jésus n’est pas seulement de confiance filiale. Dans cette relation, c’est d’abord Dieu qui fait confiance à Jésus. Au moment du baptême de Jésus et sur la montagne de la transfiguration, la voix de Dieu se fait entendre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur » (Matthieu 3.17 et 17.5). Comme il avait jadis donné le pouvoir aux rois d’Israël, Dieu donne à Jésus l’autorité légitime et les pleins pouvoirs pour sa mission. C’est pour quoi à la place de « Mon Père », Jésus peut aussi dire « Celui qui m’a envoyé » (Jean 5.25) ou « le Père qui m’a envoyé » (Jean 12.49).

Appeler Dieu « Notre Père », c’est savoir que Dieu nous aime. Le Christ, en tant que Fils, nous révèle quel est cet amour. Ce n’est pas un amour qui retient. L’amour du Père envoie son Fils dans le monde. Ce même amour nous envoie chacun dans la vie, libérant en nous des forces et une dynamique.

La voix du Père : « Tu es mon enfant bien-aimé, je me réjouis de ce que tu es » autorise tout être humain à aimer la vie et à la créer avec Dieu."

(Frère Roger - Lettre de Taizé n° 5 ; octobre-novembre 1999) Dans la même ligne que ce que dit frère Roger de Taizé, le père est celui qui “reconnaît” ses enfants. Comme le dit bien Georgette BLAQUIÈRE dans son livre "Oser vivre l’amour", l’homme reçoit de la part de Dieu le pouvoir de "nommer". Cette grâce est une grâce proprement "paternelle". La paternité est d’abord une aventure spirituelle, la "reconnaissance" de l’enfant, le don du nom. "Nous sommes là devant une réalité quotidienne très importante : vous les hommes, vous avez pouvoir de faire exister vos enfants quand vous les nommez, c’est-à-dire quand vous acceptez de les reconnaître, de les regarder dans ce qu’ils sont et dans ce qu’ils ont d’unique. Vous les avez déclarés à la mairie le jour de leur naissance, vous leur avez donné un nom officiel, vous êtes allés les "reconnaître" dit-on. Mais cela ne suffit pas… (…) Les jeunes ont un besoin radical d’être regardés par leur père, d’exister à ses yeux dans leur identité propre, d’être reconnus par leur nom et pas seulement par leurs succès ou leurs échecs. Ils ont un besoin vital de se sentir "engendrés" par leur père. De leur mère, ils attendent autre chose. On a trop souvent réduit le rôle du père à punir et à corriger, alors qu’il est d’abord et avant tout de reconnaître, d’encourager, de confirmer."

C’est ainsi que, par la Prière du Seigneur, nous sommes révélés à nous-mêmes en même temps que le Père nous est révélé [CEC n° 2783]. L’un des aspects fondamentaux de la prière chrétienne, c’est de prendre conscience de l’amour de Dieu pour nous. Beaucoup de nos tristesses viennent de ce que nous ne savons pas combien nous sommes aimés de Dieu. Mais pour le savoir, il faut nous mettre sous son regard.

Qui es aux cieux La prière chrétienne est vraiment une relation personnelle avec Dieu. Cependant, un père, ce n’est pas un grand-père ! La religion chrétienne n’est pas une religion sentimentale qui s’adresse à un "super-grand-père". S’adresser à Dieu comme “notre Père”, ce n’est pas oublier non plus qu’il est Dieu, qu’il est au ciel. La prière implique de se détacher de la terre, d’élever notre cœur vers Dieu.

Cette expression biblique ne signifie pas un lieu (« l’espace »), mais une manière d’être ; non pas l’éloignement de Dieu mais sa majesté. Notre Père n’est pas « ailleurs », il est « au-delà de tout » ce que nous pouvons concevoir de sa Sainteté. [CEC n° 2794] La prière comporte donc toujours une attitude d’adoration. Elle respecte la transcendance de Dieu.

Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant ses chemins sont élevés au-dessus de nos chemins et ses pensées au-dessus de nos pensées"

(Isaïe). Dieu est Dieu. Lorsque Moïse, émerveillé par ce qu’il entrevoyait de Dieu lui demanda : « De grâce montre-moi ton visage », Dieu lui répondit : « Tu ne peux me voir, l’homme ne peut me voir et demeurer en vie. Quand je passerai devant toi, je te mettrai dans la fente du rocher, je t’abriterai de ma main, puis j’écarterai ma main et tu me verras de dos, mais mon visage on ne peut le voir » (Exode 33, 18-23). Dieu est Dieu. Il est le Tout-autre. Dans la liturgie romaine, l’assemblée eucharistique est invitée à prier Notre Père avec une audace filiale : « nous osons dire » ; les liturgies orientales utilisent et développent des expressions analogues : « Oser en toute assurance », « Rends-nous dignes de ». Devant le Buisson ardent, il fut dit à Moïse : « N’approche pas. Ote tes sandales » ( Exode 3,5). Ce seuil de la Sainteté divine, Jésus seul pouvait le franchir, lui qui, « ayant accompli la purification des péchés » ( Hébreux 1,3), nous introduit devant la Face du Père : « Nous voici, moi et mes enfants que tu m’as donnés » ( Hébreux 2,13) [CEC n° 2777]

« Notre » (Père) Quand nous disons « notre » Père, nous reconnaissons d’abord que nous sommes devenus « son » Peuple et il est désormais « notre » Dieu. (…) Grammaticalement, « notre » qualifie une réalité commune à plusieurs. L’Eglise est cette nouvelle Communion de Dieu et des hommes : unie au Fils unique devenu « l’aîné d’une multitude de frères » ( Romains 8,29). En priant « notre » Père, chaque baptisé prie dans cette Communion : « La multitude des croyants n’avait qu’un seul coeur et qu’une seule âme » ( Actes des Apôtres 4,32). [CEC n° 2787 & 2790] Si nous prions en vérité « Notre Père », nous sortons de l’individualisme. Le « notre » du début de la Prière du Seigneur, comme le « nous » des quatre dernières demandes, n’est exclusif de personne. Pour qu’il soit dit en vérité (cf. Matthieu 5,23-24 ; Matthieu 6,14-16), nos divisions et nos oppositions doivent être surmontées. [CEC n° 2791] Les baptisés ne peuvent prier « notre » Père sans porter auprès de lui tous ceux pour qui il a donné son Fils bien-aimé. L’amour de Dieu est sans frontière, notre prière doit l’être aussi. Prier "notre" Père nous ouvre aux dimensions de Son amour manifesté dans le Christ : prier avec et pour tous les hommes qui ne Le connaissent pas encore, afin qu’ils soient "rassemblés dans l’unité" ( Jean 11,52). [CEC n° 2793]

La structure du Notre Père

Il y a deux grandes parties dans le “Notre Père”. Il commence par trois souhaits qui regardent Dieu. On se détourne de soi-même pour se tourner vers Dieu. Dans la deuxième partie, on expose nos demandes à Dieu. D’ailleurs, on trouve cette même composition dans le “Je vous salue Marie” : la première partie a plus trait à la louange, la salutation ; la deuxième à la demande. La première vague nous porte vers Lui, pour Lui : ton Nom, ton Règne, ta Volonté ! C’est le propre de l’amour que de penser d’abord à Celui que nous aimons. On vient pour l’autre : On ne va pas à la prière pour soi mais pour Dieu : il y a une dimension de gratuité. Cela n’exclut pas de demander mais cela vient après. En chacune de ces trois demandes, nous ne « nous » nommons pas, mais c’est « le désir ardent », « l’angoisse » même, du Fils bien-aimé pour la Gloire de son Père, qui nous saisit (cf. Luc 22,14 ; Lc 12,50) : « Que soit sanctifié … Que vienne … Que soit faite … ». [CEC n° 2804] La seconde vague de demandes se déroule dans le mouvement de certaines épiclèses eucharistiques : elle est offrande de nos attentes et attire le regard du Père des miséricordes. [CEC n° 2805]

TROIS INVOCATIONS Les trois premières invocations correspondent aux trois vertus théologales :

  • La foi permet de connaître Dieu
  • L’espérance fait désirer la venue du règne
  • L’amour fait vouloir ce que Dieu veut

« Que ton nom soit sanctifié » Notre premier désir concerne Dieu et non pas nous-mêmes. On désire la gloire de Dieu et non pas la nôtre. Il dépend inséparablement de notre vie et de notre prière que son Nom soit sanctifié parmi les nations : « Nous demandons à Dieu de sanctifier son Nom, car c’est par la sainteté qu’il sauve et sanctifie toute la création… Il s’agit du Nom qui donne le salut au monde perdu, mais nous demandons que ce Nom de Dieu soit sanctifié en nous par notre vie. Car si nous vivons bien, le nom divin est béni ; mais si nous vivons mal, il est blasphémé, selon la parole de l’Apôtre : ’Le Nom de Dieu est blasphémé à cause de vous parmi les nations’ ( Romains 2,24 ; Ezéquiel 36,20-22). Nous prions donc pour mériter d’avoir en nos âmes autant de sainteté qu’est saint le nom de notre Dieu » (S. Pierre Chrysologue, sermon 71). [CEC n° 2814]

« Que ton règne vienne » C’est aussi ce qui apparaît dans la lettre de saint Paul aux Philippiens (Philippiens 2, 9-11) : « Aussi Dieu l’a-t-il exalté et lui a-t-il donné le Nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout, au nom de Jésus, s’agenouille, au plus haut des cieux, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue proclame, de Jésus Christ, qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père. » Dans un discernement selon l’Esprit, les chrétiens doivent distinguer entre la croissance du Règne de Dieu et le progrès de la culture et de la société où ils sont engagés. Cette distinction n’est pas une séparation. La vocation de l’homme à la vie éternelle ne supprime pas mais renforce son devoir de mettre en pratique les énergies et les moyens reçus du Créateur pour servir en ce monde la justice et la paix. [CEC n° 2820]

« Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel » C’est la Volonté de notre Père « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » ( 1Timothée 2,3-4). Il « use de patience, voulant que personne ne périsse » (Matthieu 18,14). Son commandement, qui résume tous les autres, et qui nous dit toute sa volonté, c’est que « nous nous aimions les uns les autres, comme il nous a aimés » ( Jean 13,34 cf. 1Jean 3 ; 1Jean 4 ; Luc 10,25-37). [CEC n° 2822] C’est dans le Christ, et par sa volonté humaine, que la Volonté du Père a été parfaitement et une fois pour toutes accomplie. Jésus a dit en entrant dans ce monde : « Voici, je viens faire, ô Dieu, ta volonté » ( Hébreux 10,7 ; Psaume 40,7). Jésus seul peut dire : « Je fais toujours ce qui Lui plaît » ( Jean 8,29). Dans la prière de son agonie, il consent totalement à cette Volonté : « Que ne se soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne ! » ( Luc 22,42 cf. Jean 4,34 ; Jean 5,30 ; Jean 6,38). Voilà pourquoi Jésus « s’est livré pour nos péchés selon la volonté de Dieu » ( Galates 1,4). [CEC n° 2824] Nous demandons à notre Père d’unir notre volonté à celle de