La biographie de père André

Conférence donnée à l’occasion de la fête de la Congrégation (14 janvier 2017) - Père Eric

Père André est une figure marquante de notre congrégation puisqu’il a été supérieur général pendant près de 30 ans (de février 1959 à décembre 1988).

Dans cet article, vous pourrez ré-écouter la conférence que Père Eric a donnée à l’occasion des 25 ans du décès de Père André survenu le 27 janvier 1992.

(Photo de Père André habillé en cistercien à Hauterive en 1943.)

Père Éric

Enfance (1924-1940)

André Stœcklin naquit à Retzwiller (près de Mulhouse) le 29 février 1924, l’aîné d’une famille de trois garçons, de Henri Stœcklin et Marie Gœrg. Mamie Stœcklin aimait raconter comment, étant enceinte de son premier fils, elle avait fait une retraite dans une abbaye et, au moment du grand Salve Regina, elle avait dit à la Sainte Vierge :

« Si c’est un garçon, je te le donne… »

André sentit assez tôt l’appel à se donner à Dieu. A douze ans, il entra au petit séminaire, chez les prêtres du Sacré-Cœur de Saint-Quentin à Viry-Châtillon dans la banlieue parisienne. Mais là, son accent alsacien fut la cause de tellement de souffrances et de larmes, qu’au bout de quelques semaines, il dut se résigner à déranger son père pour venir l’y rechercher.

Ce dernier, chef de chantier pour un entrepreneur de Dannemarie, lui fit bientôt obtenir du travail. Quelques temps avant la guerre, André quitta de lui-même l’entrepreneur parce qu’un des employés « l’agaçait » et alla s’engager à Saint-Louis comme ramoneur.
La guerre le ramena dans sa famille et, l’employé étant mobilisé, il devint employé de bureau de son ex-patron, l’entrepreneur.

Fin 1939, Charles Emmenecker, que le Père Lamy considérait comme son successeur, était mobilisé et affecté aux PTT de Dannemarie. Tous les jours, André venait sur son vélo prendre le courrier de son patron. Un jour Charles fit remarquer à André qu’il avait une toile d’araignée dans le dos…

Une rencontre providentielle

C’est par la rencontre avec Charles Emmenecker que du Père André connut la Congrégation.
Nous pouvons écouter le récit que Père André fait lui-même de cette rencontre. Ce récit date de la fin de l’année 1989. Il est extrait d’un cours sur l’histoire de la Congrégation que Père André a donné aux postulants et novices de la communauté. Cela vous permet en même temps d’entendre (ou de réentendre, pour les anciens) la voix de Père André (cf conférence de Père Éric, de 6min55 à 17min35).

Cette rencontre avec Charles Emmenecker eut lieu pendant le mois de Marie. Charles prêta à Père André un livre sur le Père Lamy et ce dernier comprit que c’était ce qu’il voulait vivre. Le comte Biver, informé, envoya un mot de bienvenue au garçon de seize ans, qui répondit une lettre pleine de fraîcheur datée du 29 mai 1940, que le comte Biver nous a conservée.
Il lui écrit notamment :

« J’ai « dévoré » en un clin d’œil le livre du Père Lamy et, hier matin, au bureau de Charles, la Règle de la Congrégation. C’est tout à fait ce qui me convient et j’espère bien me conduire (en Alsacien et non pas en type de l’Intérieur).
Pour ma vocation je suis très décidé seulement l’occasion, jusqu’à présent, ne s’est jamais présentée pour que je puisse suivre l’appel de Dieu. »

Dans cette lettre, Père André exprime quelque chose qui se confirmera par la suite : la fidélité à la parole donnée.

Père André a pu avoir un laisser-passer en bonne et due forme pour le 10 août 1940. C’est alors qu’il rejoint les autres jeunes gens à Jouy-en-Josas chez le comte Biver.
La communauté était en nombre réduit en raison de tous ceux qui étaient mobilisés. Il y avait la prière du matin, le ménage, les études, la prière, le repas, le chapelet. Le soir il y avait complies ou vêpres.
Peu à peu, les uns et les autres reviennent. Comme les conditions que les cisterciens avaient fixées étaient réunies , dès la fin 1940, ils se mettent à chercher une abbaye cistercienne dans les alentours de Paris. Ils se sont intéressés à l’abbaye des Vaux-de-Cernay, à l’abbaye du Val, à celle de Royaumont mais elles n’étaient pas disponibles. Chaalis, près de Senlis était occupée aussi.

Arrivée et premières années à Ourscamp

Finalement, ils ont su qu’Ourscamp était libre et peut-être à vendre. L’ancien propriétaire de l’usine s’était réfugié en Suisse.
Le comte Biver a pu acheter l’abbaye d’Ourscamp. Lorsqu’il n’y eut plus rien à manger dans la région parisienne, on songea à déménager à la campagne. Les trois premiers, Charles Emmenecker en tête, arrivent le 2 octobre 1941. « Dédé », comme on l’appelle, arriva à Ourscamp le lendemain, traînant derrière son vélo l’une des deux remorques contenant les affaires des futurs S.J.M. Les ponts ayant été dynamités, c’est sur une petite passerelle qu’on traversait le canal de l’Oise. Quant à l’Oise elle-même, pas de passerelle du tout. Il fallut donc décharger pour traverser…

Aussitôt arrivé, en bon ramoneur, André vérifia les cheminées, puis il repartit avec sa remorque porter du blé à Jouy et ramener de Villiers-le-Bascle une douzaine de poules. C’est qu’il fallait manger ! Manger était la première préoccupation de tous.
Après les poules, ce furent une centaine de lapins, puis deux brebis et un mouton, les « fondateurs » du futur troupeau, et deux cochons.
C’est aussi le défrichage du potager pour la saison à venir. Sans oublier l’étude. À cette époque, ils ont été aidés notamment par la famille Richard.

A cette époque, l’abbaye est réquisitionnée en presque totalité pour les Chantiers de Jeunesse et occupée par les chômeurs. Les débuts de la cohabitation n’ont pas été très faciles. À Noël 1941, ils célèbrent clandestinement une messe de minuit. Ils sont alors 12 futurs SJM avec leur aumônier, un père cistercien.

En 1943, un certain nombre de jeunes viennent les rejoindre pour échapper au S.T.O. (Jean-Baptiste Stahl et Albert Noé par exemple). Ceux qui, comme Père André, risquent d’être réquisitionnés pour le service du travail obligatoire, bénéficient de travaux de rajeunissement sur leur carte d’identité puis de changement d’état civil.
Père André aura une carte d’identité au nom de Josselin Ledoux.
Un jour, un train a sauté. 120 carreaux de la maison ont volé en éclats…

Le 11 février 1944, frère Michel arrive à l’abbaye.
Lors de la bataille de Normandie, en juin 1944, le frère de Père André, qui avait été enrôlé de force dans les S.S., est grièvement blessé. Il avait une médaille miraculeuse. C’est pourquoi les paysans qui l’ont ramassé alors qu’il était plus ou moins dans le coma, ont eu une certaine bienveillance.
Il est important de rappeler que lorsqu’il avait été mobilisé, ses parents avaient fait un vœu : le papa de Père André avait promis de consacrer les dernières années de sa vie à une œuvre mariale si ses deux fils revenaient indemnes de la guerre. Ils allaient d’ailleurs tous les dimanches à pied à un pèlerinage marial à huit kilomètres de Dannemarie.

En 1945, Père André et son frère Robert rendent visite à leur famille à Dannemarie.
Quelques mois plus tard, les parents de Père André déménagent à Ourscamp où son papa sera chargé de la gestion matérielle de la ferme de l’abbaye.
Ils s’installeront dans l’actuelle maison saint Jean. À cette époque, la maman de Père André, que nous appelions « Mamie », ne parlait pas français.

Le noviciat à Hauterive

Le 30 avril 1946, les visas pour la Suisse arrivent. Le 6 mai 1946 s’organise alors le départ pour Hauterive pour l’année canonique de noviciat avec Jean-Pierre Christian, Henri Klem, Robert Dutilloy, René Ninin, André Stœcklin, Michel Nazare-Aga et Jean-Baptiste Stahl.

Pendant le noviciat, ils reçoivent une formation strictement cistercienne et mènent une vie strictement cistercienne. Les S.J.M. étaient envisagés comme une congrégation cistercienne avec des constitutions communes et avec des aspects particuliers. Au bout d’un an, l’affiliation à Cîteaux s’avéra impossible. Il fallait, ou bien faire profession sur la Règle de Saint Benoît et renoncer à l’apostolat indiqué par le Père Lamy, ou bien quitter le noviciat et redevenir des « civils, sans vue sur l’avenir ». La seconde solution fut adoptée.

Le noviciat à Hauterive a profondément marqué Père André. Jusqu’à ses derniers jours, il avait à cœur de souligner la dimension « monastique » en étant très attentif à la présence aux offices et au silence. Il voulait protéger la vie communautaire. Il accordait beaucoup d’importance au travail manuel. _ L’apostolat – notamment pour les frères – venait un peu en plus. Père André avait un grand sens de l’honnêteté que nous devions avoir : si nous n’avions pas de travail apostolique, il n’était pas question de « se la couler douce », il fallait travailler manuellement. Père André n’aimait pas les paresseux !

La reconnaissance canonique et les premières années de vie religieuse

Fin août 1947, lorsqu’ils rentrent à Ourscamp. les premiers frères se rapprochent de Mgr Roeder, évêque de Beauvais. Ils ont avec lui une rencontre décisive le 17 janvier 1948. C’est ainsi qu’il procédera à l’érection canonique de la Congrégation le 15 juillet 1948 lors d’une messe à la grande chapelle. C’est à cette occasion que Père André prononcera ses premiers vœux.
Dès le 21 septembre 1948, le frère André préside, comme maître des novices, à la prise d’habit d’Etienne Vernier (arrivé en septembre 1946), Pierre Henry, Colomban Mosley, Denis Cleary et Henri Kotowietz.
Le 10 octobre à Beauvais, Père André reçoit les ordres mineurs (portier et exorciste) et le 11 octobre, les deux autres ordres mineurs (acolytat et lectorat). Il deviendra sous-diacre en fin d’année à Elincourt-Sainte-Marguerite puis diacre à Moyenneville début 1949.

Le 16 avril 1949, Samedi-Saint, il est ordonné prêtre.

En 1950, Père André est atteint de tuberculose. Il a vraisemblablement contracté cette maladie en visitant un malade atteint de tuberculose à la cité d’Ourscamp, d’autant plus qu’après la guerre son organisme était affaibli. Père André part alors au sanatorium de Davos (Suisse) d’où il ne rentrera que le 25 avril 1952, juste après le décès du comte Biver survenu le 20 avril 1952 du fait d’un infarctus.
Entre temps, Père André était passé à l’abbaye, le 17 juillet 1951, pour prononcer ses vœux perpétuels.

Le 3 juillet 1953, le premier Chapitre Général des Serviteurs de Jésus et de Marie est célébré sous la présidence de Monseigneur Rœder. Le Père Jean-Pierre, réélu supérieur général, choisit le Père André comme vicaire général de l’Institut et sous-prieur d’Ourscamp. Père André s’associe, le 12 août 1953, à la joie de la fondation du prieuré de Chassigny (en Haute-Marne, à 10 kms de N-D des Bois).

Le 4 septembre 1954, Père André est de nouveau maître des novices avec la prise d’habit de Paul-Henri, René-Marie, Marie-Ernest et François.
À cette époque, en dehors de ses nombreuses responsabilités, Père André assure notamment un cercle d’études de la JEC à Notre-Dame de Noyon et accompagne le groupe régional de la Légion de Marie, ainsi que de multiples prédications occasionnelles. Le 2 mars 1954 Père André commence une activité de récollections pour les religieuses qu’il a accomplie pendant de nombreuses années, à Compiègne, Noyon et ailleurs.

Ces années correspondent également à une période de turbulences dans la vie de la Congrégation. Cela conduit Mgr Lacointe, évêque de Beauvais à déléguer un père Jésuite, le Père Chevalier, à faire une visite canonique en août 1957. Le 6 janvier 1958, Mgr Lacointe vient présider l’élection d’un nouveau prieur d’Ourscamp en la personne de Père André. Cela permet au Père Jean-Pierre Christian de résider à Chassigny pour la seconde moitié de son mandat de supérieur général, et ainsi de mieux travailler au développement de la Congrégation.

Dix ans après la fondation, les choses se présentent ainsi :

  • À Chassigny, il y a le Père Christian, le Père Pierre Henry et le Père Roger Caffray.
  • À Ourscamp, il y a le Père André, le Père Paul-Henri Vanderschelden, le Père Etienne, le frère René-Marie (qui n’est pas encore prêtre à cette époque), le Père Robert et le Père Denis ainsi que frère Ernest et frère Michel.

Ils sont douze dans la Congrégation. Père Etienne n’est pas encore prêtre.
Un an après, c’est la démission du Père Jean-Pierre Christian et la convocation d’un Chapitre général qui élit le Père André supérieur général, le 9 février 1959.

Supérieur général sans sujets (1959-1971)

Il y a 2 parties dans le supériorat de Père André (1959-1988) : une première partie très difficile puis une deuxième partie où des vocations arrivent relativement nombreuses.

La fidélité dans les tribulations de la Congrégation

Un an après son élection, Père André aura perdu un à un ses plus anciens collaborateurs : deux anciens de Hauterive, un novice de 1948 et enfin le sous-prieur, tous les quatre prêtres. Il reste seul à Ourscamp avec deux frères, un séminariste et un jeune prêtre ordonné en 1959.
En 1961, les trois prêtres de Chassigny (Jean-Pierre Christian, Pierre Henry et Roger Caffray), engagés dans un apostolat rayonnant dans toute la région, mais de plus en plus incapables d’assumer les exigences de la vie communautaire et de la liturgie au chœur, demandent leur incardination dans le clergé diocésain, et leur maison cesse d’être une maison des S.J.M. 

Voilà la Congrégation réduite à cinq membres : Père André, Père Etienne, Père René, frère Michel et frère Ernest avec John Hevey qui est le familier.
Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cette période est loin d’être, pour le Père André, une période de morosité et de repli. Au contraire, il est très demandé comme prédicateur de récollections et de conférences aux prêtres du diocèse, aux religieuses, aux laïcs, aux jeunes et aux mouvements divers. Ses sujets favoris sont pris dans la Bible, dans la vie spirituelle et théologale.
Aux prêtres, il parle de « la place des Psaumes dans la prière du prêtre », de « la place de la prière », puis, à partir du Concile : « Le prêtre dans la Constitution sur l’Église », etc… Aux sœurs, il donne des conférences mensuelles sur l’encyclique Mater et Magistra (1962), sur Pacem in Terris (1963), sur les textes du Concile.
En vrai fils du Père Lamy, il prend à cœur les enseignements du pape et cherche à les faire aimer par ses auditeurs. L’une de ses premières tâches, en 1959, a été de faire imprimer les Ecrits Spirituels du Père Lamy.

En 1963-1964 commencent les « Journées Spirituelles » pour nourrir la foi et la vie spirituelle des amis de la Congrégation.
En retour, ces amis, venant de toute la région de Compiègne, de Noyon et d’ailleurs, feront beaucoup de choses pour la survie de la Congrégation, par leurs conseils, par leur soutien moral et par toutes sortes de services bénévoles dans ces années 60.

En 1964, Père Jean entre dans la Congrégation, suivi en 1968 par Père Jean-Pierre, aumônier de scoutisme. _Cette même année, Jean Vanier fonde l’Arche à Trosly. Il y aura beaucoup de liens avec l’Arche dès sa fondation. Pendant les premières années, ils sont souvent venus faire des récollections à l’abbaye.

Le 6 août 1965, un nouvel évêque de Beauvais est nommé en la personne de Mgr Desmazières. Il se montra toujours, dès le début, un père, un ami et un « réconfort » pour Père André et la petite congrégation.

Pendant ces années 60 planent des inquiétudes sur l’avenir de la Congrégation. Au cours de ces années, Père André participe à des rencontres avec des responsables de divers « Instituts à effectifs faibles » qui étudient la possibilité de se fédérer.
D’un côté Rome est intervenu à au moins 2 reprises auprès de Mgr Desmazières l’évêque de Beauvais pour lui demander s’il ne serait pas opportun de supprimer la congrégation mais lui a répondu : " Je ne suis pas là pour supprimer mais pour faire grandir." (cf. témoignage de Père Bernard).
D’un autre côté, la société des Élevages - société civile immobilière à qui appartenait l’abbaye - se demandait si elle devait continuer à mettre l’abbaye à la disposition de la Congrégation. Sur le plan matériel, la situation était très précaire.
Par ailleurs, la période qui a suivi le concile Vatican II était très difficile. Père André a toujours gardé une grande ouverture tout en ne sacrifiant rien de ce qui était essentiel à la vie consacrée. On peut apprécier sa fidélité. Sans doute la formation à Hauterive l’a-t-elle aidé pour cela. En tout cas, il avait du mal à comprendre que l’on ne soit pas fidèle à ses engagements.

Le sens de l’Église

Père André avait un très grand sens de l’Église. Et aussi un grand sens de l’obéissance. Mgr Desmazières fera appel à lui pour prêcher de nombreuses récollections aux prêtres du diocèse. Dès que les documents conciliaires furent sortis, Père André les prit pour les lire et les relire, il les travailla même tant que son livre en était tout usé. Et ainsi de chaque encyclique, de chaque texte du Magistère, de chaque lettre de nos évêques : dès leur parution il s’en emparait et les assimilait avec une facilité qui faisait notre admiration.
C’était en tout cas là la base de tout son enseignement.

À partir de 1967, Père André fera partie du conseil presbytéral du diocèse pendant un certain nombre d’années. À l’automne 1968, il est nommé responsable du Secteur missionnaire du Noyonnais, nouvellement créé.
Il exerçait ce ministère comme un service de communion d’Église. Par ses lectures et la prière, il se nourrissait de l’Esprit de communion, d’autant plus qu’en 1969, Père André découvre et s’engage activement dans le mouvement des Focolari. La spiritualité de communion de ce mouvement va le nourrir beaucoup. Il avait à cœur de rester ouvert à tous et de faciliter les liens entre les personnes.

Martine Dhanger, aujourd’hui Mère abbesse du monastère de la Joie Notre-Dame à Campénéac, nous dit que deux points en particulier l’avaient touché dans la spiritualité des Focolari :

  • l’amour pour Jésus crucifié et abandonné, qui nous porte à être toujours des ressuscités, même dans la souffrance la plus grande. L’aimer comme le tout de notre vie…
  • l’amour pour Marie désolée au pied de la croix, qui nous apprend à tout perdre pour réaliser la volonté de Dieu dans le moment présent…

Père André était ouvert à tout ce qui se vivait dans l’Église ; il connaissait les courants spirituels les plus divers.
On peut remarquer que Père André accompagnait chacun selon sa grâce. Il ne ramenait pas les gens à lui.

En 1971, Père André est réélu pour un deuxième mandat au Comité Permanent des religieux. Il participe à toutes les instances de coopération entre religieux : l’Assemblée annuelle des Supérieurs majeurs de France, la réunion mensuelle du Comité Permanent des Religieux, auquel il est nommé, et le Comité de liaison des Supérieurs religieux avec les évêques de la région Nord. Il a travaillé à la rédaction du document « Mutuae relationes ».

Dans un témoignage qu’il a donné pour les 10 ans de la mort de Père André, Claude Cotart donne cette anecdote très parlante :

« Un jour que je viens voir Père André, je trouve dans l’allée vers la grande grille un prêtre en soutane qui récitait son bréviaire (dans les moments où la soutane devenait rare).
J’arrive dans le hall d’entrée : le père André est en conversation avec un homme torse nu, portant une croix, qu’il me présente comme étant prêtre…
Lorsqu’il a été parti, je dis une parole, plutôt malheureuse de ma part : « Tu reçois vraiment de tout et n’importe quoi : je viens d’en voir un en soutane, et là… »
Il m’a posé la main sur l’épaule et m’a dit : « Le jour où, dans l’Église on s’aimera avec nos différences, l’Église sera belle. »

J’ai su après coup que ce prêtre torse nu n’était autre que Guy Gilbert ! »

En 1971, ils sont 5 frères : Père André, frère Michel, Père Etienne, Père Jean et Père Jean-Pierre Pirlet.

Une famille qui grandit (1971-1988)

En 1971, l’arrivée des novices de la nouvelle génération apparaîtra comme préparée providentiellement de multiples manières :

Des travaux nécessaires pour accueillir

Au plan matériel d’abord, à partir de 1968, Père André tire de nouveau la sonnette des Amis pour une série de travaux importants :

  • C’est l’installation du chauffage au fuel, devant permettre d’accueillir au deuxième étage un foyer de lycéens dont on espère des vocations.
  • En 1969-1970, le foyer compte huit garçons. C’est l’aménagement d’un dortoir de vingt sept lits au-dessus des garages pour accueillir des groupes de jeunes.
  • Dans le courant de l’été 1970, c’est l’agrandissement de l’oratoire, toujours pour les retraitants.
  • En 1970-71, c’est la consolidation de la grande chapelle, l’aménagement de la salle des revues à la bibliothèque, etc …
  • L’oratoire est définitivement installé en janvier.

Pour le bien des âmes

Le travail spirituel n’est pourtant pas en reste :

  • À partir de 1968, Père André met à jour nos Constitutions selon les normes de Vatican II. Après les révisions, corrections et mises au point, la rédaction définitive de la Règle de Vie sera approuvée par Monseigneur Desmazières, le 29 juin 1971.
  • La Providence ajoute à ces préparatifs deux autres éléments : d’abord, sous l’impulsion du Père Jean, la Congrégation redécouvre qu’elle a été consacrée par son Fondateur au Cœur de la Vierge Marie. Les liens se développant avec la Fraternité de Marie-Reine-Immaculée, Père André approfondit l’enseignement de L’Église et du Concile sur la Vierge Marie, et sa prédication en est marquée, de même que la Règle de Vie rédigée à cette époque.
    Le 29 août 1971 aura lieu, dans l’oratoire rénové, l’intronisation solennelle de la statue de Marie-Reine-Immaculée.
  • Le 9 décembre 1971, 3 sœurs de la Congrégation de Saint-Thomas-de-Villeneuve fondent à Ourscamp une petite communauté qui, pendant dix ans, sera un soutien précieux dans bien des tâches matérielles, mais aussi pour l’accueil des hôtes.
  • L’ouverture du noviciat le 14 septembre 1971 avec quatre jeunes (Père Bernard Mutricy, Père Guy Tavignot, Père Pierrick Van Dorpe et Joël Leclerc) apparaît comme l’aboutissement de toute cette préparation menée dans la foi et reçue comme un don de la Providence. Avec ce noviciat, le chapelet d’abord pratiqué par Père Jean et ses novices, s’étendra à toute la communauté.
    Entre 1971 et 1980 en effet, quatorze jeunes gens prendront l’habit des S.J.M. Entre 1981 et 1985, dix, et entre 1986 et 1991, pas moins de vingt-et-un ! Pour Père André, la formation de ces jeunes religieux est la priorité des priorités, et c’est autour de ce service qu’il réorganisera peu à peu tout son emploi du temps. Auprès des noviciats successifs dont Père Jean sera chargé, Père André se montrera toujours présent et actif. En outre, c’est lui qui répartit le travail manuel, mettant lui-même la main à la pâte.
    Au moment des études cléricales des frères, il fait les démarches, à Paris et Trosly (1972), à Reims (1974), à Paray-le-Monial (1976), à Rome (1979)…

Quelques événements marquants :

Signalons, au fil des ans, quelques événements plus marquants et quelques tâches auxquelles le Père André s’est donné de façon plus particulière.
1972 : Un contact naît avec la fondatrice des Petites Sœurs de Marie Mère du Rédempteur. Père André les aidera à rédiger leurs Constitutions.
1973 : une fracture de la jambe, occasionnée par une chute en ski, garde le Père André hors-service pendant six mois.
1974 : en janvier, une tournée aux Etats-Unis pour prêcher une retraite aux sœurs de Saint Thomas. Il passera huit jours près de Chicago et de Washington pour des journées en l’honneur de Marie Reine Immaculée. En mai avec Père Jean, il a la grâce de faire un pèlerinage en Terre Sainte, pèlerinage qui lui est offert à l’occasion de son jubilé sacerdotal.
Du 9 au 14 septembre, il participe, comme délégué des Supérieurs religieux, à l’Assemblée des Evêques de France, sur le thème : « Libération des hommes et salut en Jésus-Christ », dont il faisait partie de l’équipe de préparation.
1975 : en août, Père André fait faire à toute la Congrégation, à l’occasion de la retraite de communauté, l’expérience du Renouveau charismatique en allant à Namur. La communauté restera marquée par les grâces reçues à cette occasion, et c’est depuis cette époque qu’une veillée de prière dont Père André fut jusqu’à la fin l’un des principaux animateurs, se réunit chaque semaine à Ourscamp avec les gens de la région.

Autodidacte (il aurait tellement aimé étudier à Rome !), Père André avait un esprit très ouvert. Il a beaucoup aimé les Focolari et le Renouveau Charismatique. Il savait rester très classique (ce qui n’était pas la mode à cette époque) tout en ne se cramponnant pas de façon rigide. En cette année sainte 1975, une bonne “floppée” demande à entrer au postulat puis au noviciat : frère Roger, Jean-Pierre Renardet, Père Thierry, Père Marie-Joseph, Père Stéphane et Michel-Marie Reynaud (24 ans).

Progressivement, il réduit ses activités à l’extérieur de l’abbaye, « en raison, précise-t-il dans le Bulletin n° 96 (déc. 1975), des taches nouvelles qui le sollicitent auprès des jeunes membres de notre communauté ». Afin d’être présent et disponible à tous, il se constitue pour ainsi dire prisonnier de son bureau : c’est là que les religieux le trouvent toujours au travail et prêt à les accueillir. C’est là aussi que les chrétiens, en quête d’un confesseur et d’un père spirituel, viennent de plus en plus nombreux le rencontrer. C’est de là qu’inlassablement il répond aux appels téléphoniques, au courrier abondant, aux démarches administratives.

Comme frères, nous étions impressionnés par sa patience dans l’écoute des personnes angoissées, déprimées, malades. Il savait accueillir avec le sourire et dans le respect des personnes très variées, aussi bien des pauvres que des personnes d’un milieu favorisé.
C’est là aussi qu’il continue à trouver le temps d’étudier : ses livres préférés demeurent la Bible et les enseignements des papes, comme en font foi tant d’articles dans le Bulletin (le Serviteur souffrant, l’Alliance, la Bénédiction, les Psaumes…) et de conférences. Chaque année, les documents pontificaux, aussitôt parus, sont lus, analysés, synthétisés, assimilés et redonnés sous forme de conférences mensuelles au groupe du Rosaire, aux assistants de l’Arche, aux nuits d’adoration, aux religieuses de la région, etc… Ce ne sera plus qu’occasionnellement qu’on le verra s’échapper, une heure ou deux, pour aller tailler les pommiers, faucher les hautes herbes dans le parc ou bêcher un carré de jardin… et avec quelle énergie !

Dès que la montée de la jeune génération le permettra, il partagera certaines tâches, comme la rédaction du Bulletin, et déléguera des responsabilités comme la direction des études, préparant peu à peu les plus jeunes à prendre les plus hautes responsabilités. En ce sens aussi Père André était un vrai père : il n’était pas jaloux des initiatives des uns et des autres (le chant liturgique, les éditions, la participation aux sessions d’été des béatitudes, les missions paroissiales, …). Il savait faire confiance.
En 1975 également, Père André participe à la préparation et à la célébration du Chapitre Général des Sœurs de Saint-Thomas-de-Villeneuve qui, outre les réunions préparatoires ou postcapitulaires, le retiendront absent un mois entier pendant l’été…
Expérience précieuse, puisqu’en 1976, ce sont les Serviteurs de Jésus et de Marie qui prépareront leur Chapitre. Ce Chapitre, célébré en février 1977, fut préparé intensément avec toute la communauté y compris les six novices : entre juin 1976 et février 1977, pas moins de quinze journées furent ainsi consacrées à découvrir et à approfondir le « charisme du Fondateur ». Le 14 février 1977, Père André est réélu supérieur général pour six ans, par les six électeurs du Chapitre.
1978 : c’est le début des nuits d’adoration. Mensuelles à l’origine, elles deviennent bientôt bimestrielles et le Père André en sera, jusqu’en 1991, le principal prédicateur. A partir de 1979 ont lieu des retraites pascales au cours de la Semaine Sainte. Parfois réservées aux jeunes et animées par plusieurs religieux, elles seront le plus souvent un moment de ressourcement ouvert librement aux chrétiens de la région, et prêchées par Père André.
En octobre 1980, après quatorze ans de présence au Comité Permanent des Religieux, Père André accepte un nouveau mandat de six ans. « Outre le travail sur le plan national, explique-t-il, il y a là, pour notre modeste famille, une occasion privilégiée de suivre l’actualité de la vie religieuse en ses diverses manifestations qui veulent être autant de réponses d’amour à celui du Père » (Bulletin 115, février 1981, p. 23).
1981 : Cinquantenaire de la mort du Père Lamy. L’exposition et les célébrations réalisées à cette occasion, de même que les Écrits Spirituels du Père Lamy, rendus accessibles à tous les religieux en 1980, donnent le goût de mieux connaître le Fondateur et sa spiritualité. Celle-ci deviendra le sujet des conférences aux Journées des Amis qui feront place, en 1985, au « Cercle du Père Lamy », réunion mensuelle animée par Père André. Ces conférences qui ont été enregistrées et dactylographiées constituent un héritage précieux qui nous est resté de Père André. Il faut avouer que les textes du Père Lamy sont quelquefois un peu austères. Avec sa culture biblique et spirituelle, Père André a su les présenter de façon simple et nourrissante.
Le 12 janvier 1982, après les démarches nécessaires, est obtenue la reconnaissance légale de la Congrégation. Cette démarche administrative, à laquelle a beaucoup contribué Michel Laurent décédé en 2016, a permis à la Congrégation d’être dans une situation moins précaire au niveau matériel. Il faut dire que dans les années 1960-70, la congrégation a connu de grandes difficultés matérielles qu’a affrontées Père André. Grâce à cette reconnaissance légale, nous avons pu être propriétaires de l’abbaye et recevoir des dons et legs.
Le 23 décembre 1982, Père André est réélu supérieur général, cette fois par treize capitulants. Il organise le Chapitre général qui a lieu l’été suivant, pour approfondir encore l’étude de notre charisme et de notre mission dans l’Eglise. Le 11 février, les sœurs de Saint Thomas de Villeneuve quittent l’abbaye.
1983 : Le chapitre approfondit le travail du chapitre précédent. La maman de Père André décède.
1984 : c’est le début d’une nouvelle série de conférences mensuelles du Père André à un groupe d’assistants de l’Arche de Trosly-Breuil. Elles portent principalement sur les divers enseignements de Jean Paul II.
1985 : En plus du Cercle du Père Lamy, cette année voit commencer les soirées d’initiation à la prière auxquelles Père André prend une part active.
Le 3 mai 1987, au cours d’une journée mariale, est bénie solennellement la nouvelle statue de la Vierge Puissante, offerte à la communauté à l’occasion de l’année mariale.
1988 : Père André accepte de contribuer largement au projet d’érection de la statue de Notre-Dame-de-France qui sera inaugurée au cours de la cérémonie grandiose du 15 octobre.

Les grands départs

Pour Père André, il y aura 3 grands départs.

La passation de sa charge de supérieur général

Le 21 décembre 1988, au Chapitre Général, les quinze électeurs choisissent Père Thierry pour succéder au Père André comme supérieur général. Père André n’était pas du tout un homme de pouvoir. Il était heureux de transmettre le flambeau à un plus jeune que lui et il a vraiment joué le jeu. Du coup, la passation s’est faite en douceur. Pour le jeune frère que j’étais à l’époque, j’étais très impressionné de voir – dès l’élection de Père Thierry – Père André venir demander avec beaucoup de simplicité des permissions à son successeur qui avait la moitié de son âge et alors qu’il avait été supérieur général pendant quasiment 30 ans.
Père André n’est pas au chômage : il est nommé aussitôt maître des novices.

La fondation d’Ottmarsheim

Cette fondation, que l’on entrevoyait depuis longtemps, mais que Père André reportait en attendant son successeur, voilà que c’est lui-même qui en sera le pilier. Le 10 septembre 1991, c’est le grand départ pour Ottmarsheim en Alsace, à quelques kilomètres à peine de son village natal. Père André y sera maître des novices et supérieur d’une communauté de dix religieux. Dès l’arrivée, il se donne comme toujours, sans compter, à la rencontre des chrétiens, du clergé, des communautés religieuses, surtout des contemplatives à qui il demande leur prière.

Le départ vers le Ciel

Le 23 décembre 1991, troisième départ, cette fois vers l’hôpital. Après une période de grande fatigue et des examens, l’opération révèle un cancer trop avancé pour qu’on puisse faire quoi que ce soit. A l’hôpital aussi, il fut un Serviteur de Jésus et de Marie, heureux de partager avec d’autres une chambre de quatre lits, heureux encore d’inviter ses compagnons à recevoir avec lui, le 1er janvier, le sacrement des malades, à la fin duquel il demanda qu’on chante : « Sous l’abri de ta miséricorde, nous cherchons refuge, Sainte Mère de Dieu… ». Aux visiteurs, aux infirmières, il continue de parler de l’amour de Dieu. Après quinze jours, conscient de son état, il rentre au couvent d’Ottmarsheim pour vivre ses derniers jours dans l’intimité de sa communauté. « Je vous bénis, tous, tous, tous », furent les dernières paroles qu’il prononça.

Le 27 janvier 1992, vers 19 heures, c’est le grand départ pour la rencontre définitive avec ce Jésus et cette Marie dont il s’est efforcé d’être le serviteur sur la terre.