Homélie du 22e dimanche du Temps Ordinaire

3 septembre 2012

« Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses… »

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Texte de l’homélie :

Frères et sœurs bien-aimés,

nous avons dans ce passage un élément central du Christianisme. Et peut-être nous ne nous rendons pas compte à quel point cette parole a façonné nos sociétés, nos civilisations européennes et au-delà.

Le pur et l’impur

Dans la tradition juive, c’était une notion qui traversait la vie quotidienne. Une question de tous les jours : « Est-ce que c’est pur ? Est-ce que c’est permis ? Est-ce que c’est licite, est-ce que ça ne l’est pas ? ». Nous le savons bien, il y avait des aliments qui étaient impurs, non autorisés. Le porc, bien sur, mais aussi les crustacés, le lapin étaient déclarés impurs. Tout animal qui avait une difformité, ainsi que des choses, des vêtements qui auraient touché des personnes impures.

La pureté et l’impureté allait bien au-delà des choses matérielles. Cela pouvait en effet concerner les personnes : les lépreux étaient impurs, les femmes en leurs périodes aussi, ainsi qu’après l’accouchement etc… Le pur et l’impur traverse le monde de la Bible, le monde Juif. Et Jésus vient dire, au fond, que le pur et l’impur n’est pas dans l’extérieur. Il est à l’intérieur de nous-même. Et nous ne mesurons pas à quel point c’est un bouleversement radical.

La parole de Jésus nous libère

Par exemple, nous pouvons manger de toute forme d’alimentation. Et le fait de pouvoir manger de tous les aliments, qu’aucun ne soit déclaré impur, cela rend la fraternité universelle possible ! A contrario, si vous en pouvez pas manger de tous les aliments – la notion de pureté avait justement pour fonction de séparer – nous ne pouvons pas nous mélanger ; nous ne sommes pas comme les autres. Le peuple d’Israël n’est pas comme les autres…

Réfléchir sur le pur et l’impur nous invite donc à revisiter nos propres catégories. Ce n’est pas parce que Jésus a déclaré que ce n’est pas l’extérieur qu’il fallait travailler, mais d’abord l’intérieur, que nous sommes sauvés de ces dérives. Dans le cours du Christianisme, il y a eu plusieurs dérives concernant le pur et l’impur.

C’est la Grâce qui nous purifie

Prenons l’exemple du catharisme qui le décrit bien : « Tout ce qui est du monde est du diable ». Préservons-nous donc de ce monde pour être purs face à Dieu. On retrouve la même idée dans le Judaïsme, celle d’être en plénitude, en accord avec Dieu. Et on peut le comprendre : pour être convenable devant Dieu, je ne vais pas toucher à un certain nombre de choses. Plus récemment, nous avons connu le jansénisme dans l’Église, avec l’idée que c’est par nos actes que nous obtenons le Salut et non pas par la Grâce.

Parce que la différence entre le pur et l’impur conçue dans le monde du Judaïsme, comme dans celui de l’Islam, est présentée complètement différemment par Jésus : on vit sous la Grâce. C’est la Grâce qui nous rend capables de rentrer en relation avec Dieu. C’est la Grâce qui nous purifie, c’est la vie de prière, c’est la participation aux sacrements, c’est la vie spirituelle intérieure. Et nous voyons bien que nous devons toujours rappeler cette urgence de l’intériorité. Parce qu’il y a des résurgences dans l’Église tout autant qu’à l’extérieur de l’Église. La tentation de chercher la « race pure ».

En méditant un peu, je pensais à notre hymne national qui invite les citoyens à abreuver les sillons « d’un sang impur ». Comment définir un « sang impur » de nos jours en France ? Vous comprenez bien ce qui se produit si l’on ne remet pas les choses à leur propre valeur, c’est à dire dans l’intériorité, mais si on les met dans l’extériorité, c’est à dire dans quelque chose qui est à portée d’homme.

« Vous préférez vos traditions humaines à la parole de Dieu. »

Les prophètes l’ont dit également. Ces règles du pur et de l’impur avaient aussi pour but de préparer intérieurement le cœur. Demandons au Seigneur nous aussi d’avoir cette attitude de vraiment parier sur une vie spirituelle profonde. Demandons cette attitude de nous purifier intérieurement et de nous méfier de chosifier notre relation à Dieu, de chosifier notre relation aux autres, d’une manière ou d’une autre. On le voit bien, ce pur et cet impur divise les hommes entre eux : ceux qui sont purs, et ceux qui ne le sont pas. Et du temps de Jésus, par exemple, ceux qui étaient atteints d’une difformité n’étaient pas purs. Concrètement, cela veut dire qu’ils ne pouvaient aller au Temple pour offrir un culte. Il ne pouvaient pas avoir de relation avec Dieu.

Dans ce sens, on comprend alors la parabole du Bon Samaritain avec le prêtre et le lévite qui passent devant l’homme blessé et ne s’arrêtent pas. S’ils s’arrêtaient, ce serait pour toucher cet homme et être en contact avec le sang, ce qui impliquerait sept jours de purification. Comme ils allaient en direction du Temple pour remplir leur office, ils ne le pouvaient donc pas, mais non pas par manque de compassion.

On voit bien combien le Seigneur bouleverse radicalement, mais de façon extraordinaire, la catégorie du pur et de l’impur. Il l’a fait comme imploser de l’extérieur :

« Vous êtes sous la Grâce. »

C’est la Grâce qui prime

Vous n’êtes plus sous la loi : vous êtes sous la Grâce de Dieu. Vous n’êtes plus à vouloir atteindre une certaine perfection. Il faut se méfier de cette perfection que l’on voudrait se donner à soi même pour être impeccable face à Dieu, pour être capable de Dieu… non ! si c’est le but de notre vie, cela peut vite tourner au désespoir car on le voit bien, nous sommes faits de creux et de bosses. Nous avons tant de difficultés à pardonner, de difficultés dans notre caractère, de difficultés dans nos relations. On voit bien que c’est compliqué, et on va demander au Seigneur en ce jour de vraiment nous redonner cette confiance dans le primat de la Grâce. Ce terme un peu compliqué de théologie signifie que ce qui est premier, c’est la Grâce de Dieu.

Bien sur, c’est à nous aussi de mettre en action un certain nombre de choses : si nous sommes dans cette assemblée, c’est que nous avons pris la décision de nous lever ce matin et de venir à l’église. Cette Grâce de Dieu ne remplace pas notre propre décision ou nos propres efforts, au contraire. Demandons au Seigneur à travers cette parole de revisiter tout ce qui pourrait en nous être une forme de désir d’impeccabilité, notamment face au regard des autres ou face au regard de Dieu, n’est-ce pas le même ?

On voit bien que si ces relations fraternelles et cette relation avec le Seigneur prennent un tour tout à fait différent avec cette question du pur et de l’impur, c’est que nos propres difficultés, nos propres misères, nos propres blessures peuvent devenir un lieu de la rencontre avec Dieu, et non pas un lieu d’éloignement de Dieu, comme dans l’Ancien Testament.

Alors, frères et sœurs, en ce jour, demandons vraiment d’être profondément dans la confiance par rapport à nous mêmes, par rapport à nos frères défunts aussi, supplions la prière de la Vierge Marie pour qu’Elle puisse nous redonner cet espoir qui vient de l’Évangile, qui est le cœur même de l’Évangile, et qui a aussi façonné notre mentalité. Qu’Elle nous donne cet espoir, si parfois nous sommes attaqués d’une manière ou d’une autre par une forme de perfectionnisme, que le Seigneur nous en délivre et qu’Il nous donne la confiance dans sa Miséricorde

Amen


Références des lectures du jour :

  • Livre du Deutéronome 4,1-2.6-8.
  • Psaume 15(14),1a.2.3b-4b.5.
  • Lettre de saint Jacques 1,17-18.21b-22.27.
  • Évangile de Jésus-Christ selon saint Marc 7,1-8.14-15.21-23 :

Les pharisiens et quelques scribes étaient venus de Jérusalem. Ils se réunissent autour de Jésus, et voient quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des mains impures, c’est-à-dire non lavées.

Les pharisiens en effet, comme tous les Juifs, se lavent toujours soigneusement les mains avant de manger, fidèles à la tradition des anciens ; et au retour du marché, ils ne mangent pas avant de s’être aspergés d’eau, et ils sont attachés encore par tradition à beaucoup d’autres pratiques : lavage de coupes, de cruches et de plats.

Alors les pharisiens et les scribes demandent à Jésus :
— « Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leurs repas sans s’être lavé les mains. »
Jésus leur répond :
— « Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous, hypocrites, dans ce passage de l’Écriture : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi.
Il est inutile, le culte qu’ils me rendent ; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes. »

Il appela de nouveau la foule et lui dit :
« Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui pénètre en lui ne peut le rendre impur.
Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses : inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure.
Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur. »